
Il est temps de payer un scénariste à Gareth Evans.
Le mec cumule les casquettes et pour ce qui est du visuel, y a rien à redire.
Il signe la chorégraphie des combats et elle est démentielle. Il signe la mise en scène et elle sait mettre ces chorégraphies en valeur. Il signe le montage et il parvient à rendre le tout encore plus efficace.
Mais faut qu'il arrête de signer ses scénarios.
Ou alors faut retourner au
ride épuré à partir d'un pitch simple mais plein de potentiel, comme l'était le premier film, parce que là...en gros, c'est comme si Evans avait voulu faire
Infernal Affairs avec des scènes d'action de ouf, sauf qu'il n'y a pas le début d'un iota d'intérêt dans cette intrigue faussement dense d'agent
undercover au sein du crime organisé en pleine guerre des gangs pour faire tomber des flics corrompus. Y a même pas une enquête, juste une succession de séquences mille fois vues qui servent de transition entre chaque scène d'action.
Je n'ai strictement aucun souci avec l'idée d'un scénario prétexte à l'action mais dans ce cas-là, faut pas que le film dure DEUX HEURES VINGT-HUIT (le premier faisait 1h40) dont quasiment la moitié est consacré à des scènes PLUS BATEAU TU MEURS de criminels en costards qui blablatent des poncifs et se trahissent de façon convenue.
Que
The Raid ne raconte rien, ça ne gêne pas vraiment, on était dans du jeu vidéo. Mais cette suite se rêve des ambitions de grand polar épique sans jamais avoir les épaules scénaristiques pour assurer la moindre scène hors-combat qui ne soit pas chiante. C'était déjà un peu le souci de
Merantau, qui veut lorgner vers le drame autour d'un récit initiatique pour incarner ses scènes d'action en racontant quelque chose mais se contente d'enfiler les lieux communs. Ici, c'est même pas que ça ne raconte rien, c'est que c'est vraiment relou entre chaque scène d'action.
Et non seulement ça ne raconte rien mais ça le raconte mal.
On a par moments l'impression qu'Evans avait juste une série de concepts, que ce soit dans l'action (genre
"alors là y a une meuf avec deux marteaux qui dézingue plein de gars dans un wagon de métro") ou dans la caractérisation (genre
"alors lui il tue avec une batte et une balle de base-ball") et qu'il a inventé une intrigue tout autour mais en liant ces scènes et ces personnages un peu n'importe comment.
Le meilleur exemple, c'est le personnage de Kosa, qui est carrément dans un film à lui. Un film qui commence de manière inopinée au bout de 35 minutes et se termine 20 minutes après. 20 minutes durant lesquelles notre protagoniste DISPARAÎT COMPLÈTEMENT (en même temps, c'est tellement une coquille vide, ce protagoniste).
Kosa est grossièrement esquissé, tout comme Uco, le méchant, un archétype balancé là, mais dans un film épuré, l'aspect vignette aurait moins gêné. Evans affectionne clairement l'iconique et aurait gagné à garder cette approche sur la longueur plutôt que de s'embarrasser d'une intrigue qu'il est incapable de rendre un minimum engageante.
Parce que sur le reste, putain, il assure.
Si la galerie de boss dans leurs bureaux n'est pas des plus passionnantes, la galerie de tueurs, elle, a de quoi réjouir.
Evans prend le soin de donner un look et/ou un gimmick (les marteaux, la batte, un autre a deux lames à la Riddick) à chacun des principaux adversaires du héros, de façon à rendre chacun d'entre eux,ou du moins leur combat, mémorable.
Parce que quand ce sont pas les personnages, ce sont les scènes d'action elles-mêmes qui présentent un concept.
Evans ne s'est pas reposé sur ses lauriers et, à un ou deux instants près, ne refait jamais
The Raid. Certes, c'est encore du
silat où l'on favorise les lames aux flingues, mais le cinéaste retient surtout la leçon du premier en exploitant toujours au mieux les décors et comme cette suite se débarrasse de l'unité de lieu, l'action ne s'en retrouve que d'autant plus riche.
Le tout premier combat, dans les chiottes, est peut-être même le meilleur.
En tout cas, sa relative simplicité a de quoi charmer, notamment dans sa logique encore une fois très vidéoludique, avec cet espace réduit défendu par Rama, les adversaires qu'il laisse entrer au compte-gouttes, etc.
Le passage dans la boue est plus chaotique mais, une fois de plus, j'aime comme Evans laisse souvent durer ses plans sans jamais perdre en rythme. Il laisse le dynamisme au mouvement dans le cadre et non au mouvement du cadre (et dans un fight à plusieurs où tout le monde est recouvert de boue, c'est salutaire).
Dans ces premières scènes d'action en prison, il y a aussi un sens de la beauté que je trouve presque frazettaien (la plongée totale sur la masse qui s'abat sur Rama dans les chiottes, la progression
Oldboyesque de profil dans la cour). Iconique, je vous dis.
Ce qu'Evans, et son interprète/co-chorégraphe Iko Uwais, ont réussi à créer avec Rama, c'est aussi un personnage tellement
badass qu'il suffit de le voir prendre un objet ou entrer dans un décor (où y a plein d'objets) pour jubiler d'avance à l'idée de ce qu'il va en faire. Et quand tu vois ce qu'il fait d'un bête manche à balai, tu jouis lorsqu'il s'empare d'une des lames de son rival. Tu sais que ça va saigner.
D'ailleurs, si le film s'avère encore plus violent que le précédent, jamais je ne ressens une quelconque complaisance, ni même un peu de gratuité (allez, peut-être pour le dernier coup de fusil). A ce titre, le tour de force d'Evans est de réussir à faire couler autant d'hémoglobine, aussi invariablement, sans jamais que cela ne désensibilise le spectateur.
Au contraire, ici, chaque coup fait terriblement mal. Balai, marteau, balle, portière, VOITURE,
MUR DE BRIQUES. Je crois n'avoir jamais autant dit
"oooooouuuuuuuch" devant un film (#fathiB). C'est vénère.
Récemment, j'ai vu passer un article dans lequel Evans liste ses 5 scènes d'action préférées et j'étais déçu de constater qu'il n'y avait que des scènes de combat. Cependant, bien que les arts martiaux restent son violon d'Ingres, le metteur en scène s'essaie à de nouveaux exercices cette fois-ci et la scène que je retiendrai sûrement le plus de
The Raid 2, c'est sans doute cette incroyable séquence juste avant le climax qui mêle, dans une même action (!), course-poursuite en voiture,
gunfight et combat. La richesse qui manque terriblement à l'intrigue, elle est totalement dans l'action.
C'est juste malheureux qu'une fois acheté en Blu-ray, la moitié des chapitres vont sauter.