Je suis en train de me faire une petite rétro flash Sirk (merci TCM), j'en profite pour revoir les films vu il y a trop longtemps (qui m'avaient laissés plutôt impassible à l'époque, y compris ses censément meilleurs), celui-là est effectivement dans le haut du panier, il mérite amplement sa réputation.
bmntmp a écrit:
Il est un peu neuneu ce film, c'est vrai, à l'image de la citation typique de cinéphile de Godard, du style à exagérer l'importance d'une émotion cinématographique fugace et comme anodine.
La fugacité est effectivement l'un des thèmes majeur du film, puisque l'ambition première de Sirk (au-delà de toute considération sur la seconde guerre mondiale) était de faire un film sur la brièveté du bonheur. C'est cet aspect que tu trouves neuneu? Pourquoi pas, mais c'est aussi occulter ses autres thématiques. Et je trouve la fin tout de même particulièrement cruelle pour un film neuneu.
Vieux-Gontrand a écrit:
c'est le plus faible parmi ceux que j'ai vu (il a un sacré côté Ach la Guerre Gross Malheur... un peu démonstratif, d'autant que le traitement et la production sont particulièrement hollywoodiens... Wilder ou Rossellini ont un point de vue plus fort sur l'histoire récente et la manière dont la cinéma peut exprimer à la fois un complexe moral et un complexe national face à la guerre, sans réduire l'un à l'autre).
Je ne sais pas quels sont les autres films de Sirk que tu as vu, mais je te promets que si tu n'as pas aimé celui-là, tu trouveras bien pire. Les Ailes de l'espérance traitait déjà de la culpabilité en temps de guerre (en Corée), mais sa résolution est incommensurablement plus maladroite. Sinon Le temps d'aimer et le temps de mourir n'est pas du tout un film sur la guerre (elle n'est ici que la résultante de ce qui a précédé, et c'est bien les évènements antérieures à la guerre dont Sirk nous parle), qu'il se contente de décrire de manière factuelle sans aucun apitoiement (ce qui est logique vu qu'elle est vécue comme un châtiment divin donc forcément juste).
Vieux-Gontrand a écrit:
Klaus Kinski en SS se plaignait de faire des heures supplémentaires au camp de concentration.
Klaus Kinski n'a qu'une réplique dans le film, lorsque John Gavin vient récupérer les cendres du docteur Kruse il s'étonne sur le formulaire que la cause de la mort reportée soit une crise cardiaque, et Kinski de répondre "What else?". Tu confonds avec le SS qui met le feu au petit bucher sur le piano non?
Bien plus qu'un film pacifiste (pour tout dire je n'ai pas du tout ressenti de pacifisme dans le film), c'est surtout un grand film sur les responsabilités personnelle et collective qui ont amenées aux horreurs nazis. Sirk pensait avoir perdu son fils sur le front russe en 44, et voulait à travers ce film rejouer les deux dernières semaines de sa vie, comme une manière de se faire pardonner ce qu'il avait vécu comme un abandon. Mais à cette culpabilité a dû s'y conjuguer une seconde, celle d'avoir également abandonné sa nation, alors sous le joug du parti national socialiste. S'il y a donc un peu de son fils dans Ernst Graeber, il y a certainement un peu de lui également. Lui qui, alors qu'il doit fusiller des supposés partisans russe au début du film, explique au jeune soldat qui se tourmente qu'il suffit de tourner la tête au moment de lâcher le coup pour accomplir sa tâche sans ciller. Le suicide du même jeune soldat qui s'ensuit ne déclenchant qu'incompréhension en lui, qui ne comprend pas les remords que l'on peut avoir à s'être simplement acquitté de son rôle (en pleine guerre sur le front russe, si ce n'est pas nous qui les tuons ce sera eux qui nous tueront). Et puis au fond il n'a rien à se reprocher, il n'est qu'un innocent soldat au service de sa patrie. Jusqu'à la révélation qui survient lorsqu'il s'entretient avec Polhmann/Remarque, où il prend conscience de sa propre responsabilité (justement parce qu'il n'a rien fait pour s'opposer à la montée en puissance des nazis, lui qui pensait être exempt de tous reproches parce qu'il ne les avait pas soutenu). Cette séquence est la vraie bascule du film, de gentil soldat en perm Graeber devient un traître à la patrie, parce que l'on ne peut pas seulement ne pas cautionner ce que l'on réprouve, on doit également s'y opposer activement. Il n'y a pas de place pour la neutralité. Lorsqu'à la fin du film la scène de fusillade doit se répéter, habité d'une nouvelle conscience, ce n'est plus le même ennemi que Graeber décide d'éliminer (d'une manière un peu grandiloquente il passe de l'ennemi de la nation à l'ennemi de l'humanité).