Le détective Benoit Blanc collabore avec un jeune prêtre pour enquêter sur un crime totalement inexplicable perpétré dans l'église d'une petite ville au sombre passé.Si davantage de gens avaient vu
Brick, la
hate injuste envers ce cinéaste
"qui se croit malin", pour citer la formule toute faite sur laquelle se rabattent ses détracteurs, aurait sans doute commencé dès lors, étant donné que Rian Johnson y jouait déjà avec les codes, et non attendu
Looper ou
The Last Jedi pour éclater et surtout être entérinée par ses
whodunits affichant plus ouvertement leur ludisme tropologique. Nonobstant, mon boug sûr revient avec un nouveau
"Benoît Blanc Mystery" (je refuse d'utiliser la nomenclature
"A Knives Out Mystery" qui n'a aucun sens) et s'il parvient à se renouveler, c'est peut-être précisément parce qu'il semble cette fois déconstruire non seulement le genre mais sa propre approche. En calmant sa sophistication d'une intrigue alambiquée pour une exploration thématique doublement parlante, Johnson continue de creuser son sillon de divertissement engagé avec une nouvelle étude de l'Amérique d'aujourd'hui mais en proposant cette fois une alternative plus mature à ce que son pays lui a réservé ces derniers temps, plus réfléchie donc mais aussi plus réflexive sur cette...malice qui est la sienne.
Dès l'entrée en matière simili-
in medias res, le récit est toujours allègrement retors, avec une structure qui épouse d'emblée l'une des notions-phares du film, sur l'art du
storytelling - et j'utilise délibérément le terme anglais aujourd'hui co-opté par les marketeux parce que le film questionne justement le but cette pratique : vendre une illusion ou révéler une vérité - mais Johnson ne reproduit pas la maladresse du précédent tome, qui se perdait quelque peu dans ses fausses pistes et ses contorsions narratives visant à leurrer le spectateur, et se met au service de son histoire. Pour cela, il renoue quelque peu avec la dynamique du premier opus, dont le protagoniste n'était pas vraiment Benoît Blanc mais Marta, une innocente au cœur du mystère, tout en donnant une plus grande importance au détective (Daniel Craig, toujours impérialement drôle), comme dans le second chapitre, et compose ainsi un superbe tandem, lui opposant un jeune prêtre au passé trouble (Josh O'Connor, une fois de plus génial dans un rôle aux antipodes de
Challengers, tout mignon), offrant alors à chacun un arc évolutif.
Dans un premier temps,
Wake Up Dead Man ne déroge pas à la règle de la série et s'amuse à cingler une galerie de personnages, les privilégiés de
Knives Out et les célébrités de
Glass Onion cédant la place à un membre du clergé et ses ouailles. Le décor permet d'ailleurs au metteur en scène de basculer par moments dans une
vibe gothique qui distingue cette suite de ses prédécesseurs et c'est probablement le plus formellement incarné des trois, avec son montage acéré et sa lumière source d'illumination. Non content de s'en prendre au rapport que les États-Unis entretiennent avec la religion, l'église de Monsignor Wicks (Josh Brolin qui avait gardé son meilleur connard 2025 pour la fin d'année, après
Weapons et
The Running Man) devient carrément une allégorie du pays tout entier, les paroissiens se satisfaisant de leur place assurée tandis que tout nouveau venu est chassé par les accusations discriminatoires de l'évêque. Là où le portrait à charge du premier volet était réjouissant, la caricature du second se faisait plus facile et ce troisième épisode évolue finalement vers une caractérisation plus nuancée, comme si les péchés de chacun, une fois révélés, à défaut de les absoudre complètement, invitaient à la compréhension.
Dans ce contexte, la résolution de l'enquête a beau toujours consister à savoir qui a commis le crime et pourquoi, cette identité et ces motivations, bien qu'elles puissent être en partie devinables, revêtent une toute autre dimension où le but n'est plus de finir par un tonitruant
"c'était le Colonel Moutarde dans la cuisine avec le chandelier!" en guise de seule finalité, dans le jugement, mais d'écouter une confession avec compassion. Même l'inévitable montage en flashback d'explications arrivant au bout de 2h25 prend un autre sens dans cette optique. Et ainsi, par le biais du genre et de son récit, l'auteur, élevé dans la foi mais devenu athée, remet l'église au milieu du village et met en abyme son travail, une nouvelle réflexion sur la façon dont les histoires - que ce soit la façon dont se présente l’Église, le témoignage d'un suspect ou la démonstration du détective (ou les arnaques dans
The Brothers Bloom ou l'histoire que se raconte Rey sur son passé dans
The Last Jedi) - révèlent une vérité et sur la nécessité de la compassion plutôt que la punition afin de mettre fin à une Histoire qui n'a de cesse de se répéter (comme pour le futur Rainmaker de
Looper et le jeune Ben Solo dans
The Last Jedi).
Après la légère déception de
Glass Onion, je rejoins les nombreuses critiques qui estiment que
Wake Up Dead Man est le meilleur de la trilogie.