Dire que j'attendais ce film serait un euphémisme.
Voir Rian Johnson, que je considère comme l'un des cinéastes les plus prometteurs des années 2000, s'atteler à un genre que j'affectionne particulièrement depuis que je suis tout gosse, dans un époque où la science-fiction semble offrir quelques nouveaux mètres-étalons du genre, avec ce pitch génialement simple, y avait de quoi faire bander.
Looper s'inscrit à 100% dans la mouvance actuelle des petites séries B de SF dirigées par des auteurs qui ont su digérer leurs influences plutôt que de les étaler. Ne vous y méprenez pas, j'adore la manière dont Joseph Kahn revisite de manière ostentatoire ses références telles que Retour vers le futur ou La Mouche dans Detention, mais je trouve autrement plus intéressants les films comme, par exemple, Moon, ou donc Looper, qui parvienne à évoquer leurs illustres modèles sans que les clins d'oeil ne s'affichent au néon sur l'écran.
Ainsi, le personnage éponyme interprété par Joseph Gordon-Levitt renvoie autant à Rick Deckard qu'à Kyle Reese, cousins thématiques de Joe le Looper donc, dans un film qui m'a plusieurs fois donné l'impression d'être le produit de la réflexion intense d'un geek sur les tenants et aboutissants du Terminator de James Cameron.
Il va être très difficile de parler en profondeur du film sans spoiler ses meilleures surprises...
Le cinéma de Rian Johnson est un cinéma très conscient de lui-même.
Je n'entends pas par là qu'on est sans cesse dans un décalage flirtant avec le méta comme chez Shane Black mais que Johnson sait à chaque pas qu'il fait qu'il oeuvre au sein d'un genre. Qu'il s'agisse du film noir dans Brick ou du film d'arnaqueurs avec The Brothers Bloom, l'auteur ne se limite jamais à de la série B de genre mais se sert toujours du genre comme d'un prétexte pour raconter autre chose. En transposant les codes du film noir dans un univers de teen movie, Johnson faisait état de la dramatisation que les adolescents font de leur propre vie, tout comme les nombreuses arnaques des frères Bloom témoignent pour Johnson du besoin vital que l'on ressent tous de se raconter des histoires. Et la grande qualité de Johnson, c'est son premier degré.
Looper ne déroge pas à la règle.
Je vais enfoncer une porte ouverte mais rappeler ce cliché toutefois : les meilleures histoires de science-fiction sont celles qui partent d'un postulat fantastique pour traiter de questions humaines plus universelles.
Ici, ça commence comme un film noir SF, avec sa voix off qui prend gentiment par la main, expose l'univers, un futur imparfait comme ceux de Terminator ou Robocop, urbains et sales, mais sans esbroufe, mais Johnson a tôt fait d'indiquer que la science ne sera pas au premier plan de l'histoire qu'il souhait raconter. Ici, le voyage dans le temps est une manière glorifiée de se débarrasser de corps. Rien de bien glamour. Tout comme ce détail initial de la télékinésie, qui ne sert qu'à faire léviter des pièces pour draguer.
Toutefois, Johnson a l'intelligence d'exploiter son concept dans plusieurs séquences brillantes, parfois jamais vues auparavant dans le genre, comme ce qui arrive à un personnage au début lorsque celui-ci désobéit à ses patrons qui ont tôt fait de le rattraper.
Il en va de même pour ce montage, "vertigineux" pour reprendre l'expression de Karloff à la sortie de la projo, qui intervient à la fin du premier acte de manière totalement inattendue en montrant l'évolution du protagoniste, de manière muette, et cash.
Looper est de ces films qui font confiance à l'intelligence du spectateur pour comprendre les règles sans explications lourdingues. Il y a bien une scène (volontairement) bavarde, dans un
diner, mais qui sert justement à faire dire texto aux personnages qu'on est pas là pour débattre 107 ans des paradoxes temporels, inhérents au genre. Comme je dis, Johnson est très conscient du genre dans lequel il oeuvre.
D'ailleurs, toute incohérence potentielle, inévitable dès lors qu'on joue avec les voyages dans le temps, est assumée d'emblée par le titre du film lui-même. C'est une question de boucle.
J'ai toutefois eu l'impression par moments que Johnson avait avant tout plusieurs idées de scènes, magnifiques, fortes, que ce soit de l'action, ou de l'horreur, ou surtout de l'émotion, et qu'il a bâti son intrigue autour.
Attention, je trouve le tout homogène, y a pas de souci, mais quelque part, c'est pas du tout ce à quoi je m'attendais... Je pense que je m'attendais davantage à un scénario ludique et carré comme celui de The Brothers Bloom alors que, même si tout tient debout, c'est moins rigoureux narrativement.
Y a une césure à mi-film qui opère un gros virage, à la fois dans le ton (on passe du film noir vers totalement autre chose), dans le genre un peu, et dans le rythme surtout. Ca pourrait presque être un twist dans un film plus vulgaire mais une fois de plus, c'est on ne peut plus cohérent vis-à-vis de la direction prise par l'intrigue. Et vis-à-vis de ce que Johnson veut raconter.
Et il veut raconter plusieurs choses, articulées autour de la notion de choix, se servant de son pitch pour rendre littérales les métaphores (la confrontation d'un mec avec son soi jeune), traiter des troubles identitaires (suis-je destiné à telle vie?) et surtout explorer des hypothèses arlésiennes (je vais pas spoiler mais le film pose une question célèbre variante du "comment justifier un mal pour un bien?") en apportant des réponses tour à tour horrifiantes et émouvantes. Et qui donnent une fois de plus naissance à de très belles scènes, possibles uniquement grâce à ce genre de concept et d'univers.
Y a aussi tout un truc de filiation qui se joue en filigrane et qui m'a vraiment étonné et touché.
C'est vraiment beau comme résolution. Porté par un Willis en mode "héros tragique" façon Twleve Monkeys et Incassable et un Gordon-Levitt qui continue de m'épater, incarnant Willis sans tomber dans la bête imitation, faisant oublier le maquillage...
J'ai pas assez parlé de la réa, qui est encore une fois une démonstration du talent de Johnson, avec ses cadres millimétrés, sa mise en scène très...droite. Peu de caméra à l'épaule, même dans l'action, c'est souvent très simple, souvent juste un travelling latéral bien senti. C'est à la fois très voyant et pas artificiel. Dans cette manière de décomposer l'action de façon à pouvoir la filmer avec un côté simple. Ca donne tout de suite un côté pro à ses personnages. Mais ça ne paraît jamais surfait. Comme la SF, il y a beaucoup de flares (décidément), mais pas d'abus, et on est pas dans le film de SF post-Minority Report, tout bleu. C'est sombre et froid. Mais c'est un sombre et froid "réaliste". Brut. Sans non plus avoir recours au grain ou quoi. Cf. la première scène. Brut de décoffrage. Sans fard.
J'adore la mise en scène de ce mec.
J'ai l'impression d'en parler de manière un peu trop bordélique là, et tout se mélange un peu dans ma tête sur ce que je veux dire, mais ça en dit long justement sur la richesse et l'originalité du film.
Il n'est pas parfait (rythme foireux dans le deuxième acte, personnage secondaire de Kid Blue un peu superflu) mais c'est bardé de scènes superbes et parcouru de thèmes touchants. Ca commence comme Terminator et ça se termine presque en plaidoyer pour une meilleure éducation des enfants.
D'ailleurs la bande-annonce est mensongère, c'est présenté comme du gros thriller d'action. It's not. Be warned.
Un gros 5/6 qui pourrait grimper au gré des visions.