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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 08 Juil 2025, 12:49 
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Le bouquin de Jack-Alain Léger (aux multiples pseudonymes dont un des premiers fut Dashiell Hedayat) sur les élections de 2002. C’est marrant de se replonger dans cette époque et quelques une de ses figures oubliées ou prêtes à faire un improbable come-back. Pas vraiment un roman mais une espèce de pamphlet typique du maniaco-dépressif, dont la verve, pour réelle qu’elle soit, tourne un peu à vide à force de bile incontrôlée. C’est marrant hein et c’est plus ou moins maîtrisé, ici ça l’est plus qu’avec un maniaco-dépressif sans talent, le passage où il voue aux gémonies Jack Lang pour ses initiatives en faveur de la poésie dit tout de la petitesse de ce livre, préoccupé qu’il est par la petitesse de son sujet, la France. C’est pas du niveau de Thomas Bernhard non plus qui évitait soigneusement la politique ou qui n’aurait pas osé parler du Michel Drucker autrichien, qui doit bien exister ou même de Jean-Marie Le Pen. Tandis qu’ici on trouve mentionnés Berlusconi, Jorg Haider et Mégret dans un meme souffle.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 12 Juil 2025, 17:18 
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Monsieur Ouine, de Bernanos, roman posthume, sur lequel il a sêché des décennies (on peut penser que c'était son projet principal, et Journal d'un Curé de Campagne, qui approfondit en la grossisant une part de l'atmosphère et de l'intrigue de ce livre, un dérivatif qu'il a écrit assez vite- Monsieur Ouine est plus court, mais plus dense, et choral, certain l'ont rapproché de Faulkner dans une Flandre ou Picardie aussi dilatées par le mythe, la culpabilité, l'obsession pour l'enracinement et la conscience de l'absurdité de celui-ci qui finit par l'opposer au salut que le Sud). Flandre étrange d'ailleurs, dont on ne sait si elle est dilatée ou rétrécie car le village, sujet du roman, est dans un no-man's land à la fois voisin de Poperinghe, Boulogne-sur-Mer et Roye.
Déroutant et marquant.
Il y a un ton moraliste (il s'agit d'ailleurs moins de convaincre de l'existence de Dieu que de celle du mal, un risque que l'ordre moral nie par paresse), entre Claudel et Simenon, mais un style souvent époustouflant, ainsi qu' une forme de mystère existentiel, subi mais précisèment décrit, qui rappelle ou plutôt annonce Beckett (Monsieur Ouine et ses monologues, son corps à la fois sûr et putrescent pas sans analogie avec Molloy ou le narrateur de l'Innommable), une crudité sexuelle en fait assez queer et une forme d'ironie scabreuse, faisant de l'ordre et du pouvoir ce qui est tenté par la transgression, pas loin de Genet.
Il livre aussi un point de vue complexe, mais donné en creux, sur les séquelles politiques de la première guerre mondiale sur la soculiété française, le roman résonne beaucoup avec la Fin de Chéri de Colette ou Aurélien d'Aragon, mais dans un contexte plus provincial et populaire.

Il la trouve à présent laide, presque hideuse. Et c’est justement pourquoi il n’hésite plus. À de tels moments il se ferme toute issue, s’acharne contre lui-même avec une clairvoyance horrible. Ainsi passera-t-il sa vie à rêver d’admirables folies jusqu’à la satiété, jusqu’à l’écœurement, pour accepter à bout de forces, par pur défi, un risque sans grandeur dont l’absurdité l’enivre.
...

– Aujourd’hui… répète-t-il en hâtant le pas, comme enivré. Aujourd’hui même ! La belle route ! La chère route ! Vertigineuse amie, promesse immense ! L’homme qui l’a faite de ses mains pouce à pouce, fouillée jusqu’au cœur, jusqu’à son cœur de pierre, puis enfin polie, caressée, ne la reconnaît plus, croit en elle. La grande chance, la chance suprême, la chance unique de sa vie est là, sous ses yeux, sous ses pas, brèche fabuleuse, déroulement sans fin, miracle de solitude et d’évasion, arche sublime lancée vers l’azur. Il l’a faite, il s’est donné à lui-même ce jouet magnifique et sitôt qu’il a foulé la piste couleur d’ambre, il oublie que son propre calcul en a tracé d’avance l’itinéraire inflexible. Au premier pas sur le sol magique arraché par son art à l’accablante, à la hideuse fertilité de la terre, nu et stérile, bombé comme une armure, le plus abandonné reprend patience et courage, rêve qu’il est peut-être une autre issue que la mort à son âme misérable… Qui n’a pas vu la route à l’aube, entre ses deux rangées d’arbres, toute fraîche, toute vivante, ne sait pas ce que c’est que l’espérance.


Et le remarquable premier chapitre


Maman est une femme sensible, c’est-à-dire admirablement défendue contre les fortes déceptions de la vie, impénétrable. Aussi loin qu’elle remonte, dit-elle, le cours des ans, sa mémoire ne lui présente qu’une succession monotone d’événements futiles, pareille au déroulement de la mer sur une pente unie : le flot la caresse sans l’user. À l’ancien curé de Fenouille qui s’étonnait courtoisement de la trouver toujours si résignée, si docile aux volontés d’une Providence qu’elle feint pourtant d’ignorer – non par malice assurément, peut-être par on ne sait quelle méfiance entêtée, bien féminine, hélas ! à l’égard d’une philosophie spiritualiste souvent exigeante, avouons-le ! – elle répondait simplement : « La douceur a raison de tout. – Chère dame, s’écriait le bonhomme, vous venez de parler comme une sainte ! » Et c’est vrai que rien n’a résisté à cette douceur, jamais. À force d’en appeler sans cesse à ce témoin irrécusable – la douceur, ma douceur – il semble qu’elle se soit prise elle-même à son jeu, ainsi qu’un enfant fait du tigre imaginaire dessiné par lui sur le mur. Pour tant de pauvres diables, la douceur n’est qu’absence, absence de malice ou de malignité, qualité négative, abstraction pure. Au lieu que la sienne a fait ses preuves, prudente en ses desseins, hardie à prendre, vigilante à garder. Comment ne pas l’imaginer sous les espèces d’un animal familier ? Entre elle et la vie, le rongeur industrieux multiplie ses digues, fouille, creuse, déblaie, surveille jour et nuit le niveau de l’eau perfide. Douceur, douceur, douceur. À la plus légère ombre suspecte sur le miroir tranquille, la petite

bête dresse son museau délié, quitte la rive, rame de la queue et des pattes jusqu’à l’obstacle et commence à ronger sans bruit, assidue, infatigable. La tache noire diminue insensiblement puis s’efface, avant que l’œil ait perçu autre chose qu’un mince sillage d’argent. Parfois, après dîner, sous la lampe, lorsqu’une lassitude légère invite au regret, au rêve, elle laisse retomber son menton entre ses mains, soupire. Elle songe à la force qui est en elle et dont le sort trop propice ne lui a pas permis de donner la mesure, cette expérience profonde des êtres, de leur faiblesse, de leur secrète fragilité – expérience dont elle serait bien incapable de faire profiter personne – à peine contrôlée par l’esprit, à peine distincte des obscurs pressentiments de l’instinct. « Je n’ai jamais rien compris à la vie, a-t-elle coutume de dire, sinon qu’elle m’a toujours portée au but que je voulais atteindre. » Et elle ajoutait non sans coquetterie, pour l’édification de l’ancien curé de Fenouille : « Toute petite, j’avais une peur affreuse des hommes, et puis j’ai connu un jour que cela qui gesticule n’est pas dangereux. » D’où lui vient ce souple génie, cette patience d’insecte, la clairvoyance inexorable qui lui permet d’attendre à coup sûr la lassitude de l’adversaire, le premier mouvement de faiblesse ou d’oubli ? De son père, peut-être, mort très jeune, dont elle revoit le visage livide, les yeux au cerne bleu, la bouche nerveuse, inquiète, faite pour le mensonge et la caresse – jusqu’à ce geste qu’il avait, qu’elle a elle-même, le recul imperceptible de tout le buste à la moindre apparence de contradiction.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 13 Juil 2025, 10:45 
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Je l'avais lu quand j'étais jeune, et je n'avais pas compris grand-chose, c'est vraiment dense et "difficile" (une difficulté littéraire assez éloignée en soi de celle d'un Claude Simon par exemple, ce n'est pas formaliste mais simplement obscur dans mon souvenir).
Il faudra que je ré-essaie, maintenant que j'ai lu d'autres Bernanos (mon préféré pour l'instant est Nouvelle Histoire de Mouchette).


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 13 Juil 2025, 10:57 
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Mmm l'intrigue est un peu prétextuelle mais assez claire, en flashback assez cinématopraphiques.
Les scènes clès, souvent des dialogues ou scènes à deux, reviennent deux fois
sauf pour Monsieur Ouine où elles sont uniques, car il est à la fois irrédiablement moralement dégradé et lucide sur lui-même, et le suicide du couple Devandomme, en fait pour les personnages qui meurent
, la première fois livre déjà une interprétation morale, une analyse psychologiue avec un certain lyrisme, dans la seconde le retour la décrit de façon plus factuelle et donne un motif aux personnages. C'est frappant pour le remarquable début
où il ellipse l'étranglement de la gouvernante anglaise par Steeny, du coup on devine plus ou moins ce qui s'est passé quelque-chose mais pas qui est la victime, ni le coupable. Lorsque la scène revient il donne plus d'épaisseur au personnage de la bonne, qui apparait plus manipulateur et antipathique lors de l'exposé initial. On sait aussi pourquoi il le fait, non seulement la gouvernante est l'amante de la mère et instigue l'oubli du père, mais en plus celui-ci n'est pas mort ai combat mais peut-être vivant et abandonné car devenu fou .Ce passage est un peu déjà présent dans Journal d'un curé de Campagne avec la dualité morale de la Comtesse, rejetée par son milieu quand elle accepte la grâce, mais ici l'ambivalence est répartie sur tous les personnages, Ouine zt Steeny ne parviennent pas a la concentrer sur leur personne, ce qui fait que le village ne parvient pas non plus à juger et à rejeter ceux par qui le double scandale du pêché et du pardon se produit, car il est diffus


J'ai l'impression qu'il faut mieux lire ses romans que ses essais. J'avais commncé par lire Les grands Cimetières sur la Lune que j'avais trouvé confus et sophistique, malgré la hauteur morale, comme s'il voulait opposer une idée métaphysique du fascisme, ne faisant pas de morts, à sa réalité (conservant le modèle du discours sur le message biblique trahi), par contre le passage du Journal d'un Curé avec l'homme à la moto et l'opposition entre soldat médiéval et militaire (rôle social intégré) exprime la même idée de façon concise et sans mystique (mystification? ) idéologique. S'il s'attendait a ce que Franco soit réellement le Christ-roi qui ouvre réellement les tolbes des justes pour les assoir à la droite du seigneur, la déception était un peu inévitable. On sent que c'st le roman qui l'a fait passer de la xénophobie et de l'idée ambigue d'un mal à la recherche de son incarnation au même titre que le Christ à une critique de la modernité plus directe, assez "adornienne", assumant le romantisme et la contradiction,

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 13 Juil 2025, 20:43 
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Souvenirs lointains mais sa défense de Drumont est quand même dure à avaler. Le titre du premier chapitre donne l'impression qu'il dialogue avec Julien Benda. Heureusement je peux faire la part des choses, et il a eu l'occasion de se racheter tout en ayant pris le risque de se tromper ou d'être sincère, ce qui n'est plus trop permis aujourd'hui. Merci pour ce l'avis et les extraits, ça donne envie de le relire (même cas qu'Azazello, j'avais noté la dimension elliptique sans être trop sensible à l'écriture).


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 14 Juil 2025, 11:02 
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Une sincérité de tous les instants sans jamais de triche ni mauvaise foi chez Bernanos ? Je n'en suis pas si sûr, et c'est cela qui le rend intéressant.

La radicalisme religieux apparent est finalement douteux. Ses curés n'ont rien d'orthodoxes. Ils sont radicalement individualistes, veulent s'excepter de la grâce pour mesurer leur force, voyant dans le masochisme une énergie politique, ils ne recourent jamais au texte biblique, et considèrent avec lrauteur que le niveau social collectif se place après le jugement dernier mais avant la chûte ou la souillure, c'est quasiment une nouvelle religion, une hérésie.

Ils ont aussi une vision de leur propre condition sociale, éclatée entre bourgeoisie et paysannerie (comme si cette ambivalance sociale empêchait tout possibilité d'un enracinnement pour soi, tout en dénonçant le cosmopolitisme chez les autres l'autre, il ya l'idée que la haine est un masque, un visage retourné vers soi), assez proche de celle de Courbet finalement (l'enterrement au centre de Monsieur Ouine n'est pas sans lien avec ce qui est montré dans un Enterrement à Ornans)

Il posait au contempteur de la modernité, mais a par ailleurs écrit de belles pages sur la moto (qu'il pratiquait), la machine réussisant l'union impossible pour l'homme de a de la force et l'innocence.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 14 Juil 2025, 19:06 
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bmntmp a écrit:
Souvenirs lointains mais sa défense de Drumont est quand même dure à avaler.


Enfin politiquement il s'en est quand même bien éloigné à partir de la Guerre d'Espagne, son livre sur le sujet est assez beau ("Les grands cimetières sous le Lune").
Et puis bon, Mr Ouine est un roman, on s'en fiche un peu de ça.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 14 Juil 2025, 19:17 
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En même temps ses romans sont très politiques (de façon moins implicite et métaphorique que dans la Nausée ou l'Etranger, on est bien plus proche de l'Aragon "réaliste"), d
et cela sous une forme plus précise que les Grands Cimetières qui fonctionne par palinodies. Dans le Journal d'un Curé de Campagne il y a un passage important sur la révolution russe et Gorki . Le Curé de Torcy qui est plus ou moins le supérieur du narrateur ne parle pratiquement que de politique. Le personnage de la compagne de son ami défroqué est aussi très fort politiquement.

Dans Ouine on trouve un long passage significatif à la fin (rutpture de ton dans le roman, il a szns doute été écrit pendant la guerre) entre le curé et un médecin de campagne, que l'on devine notable rad-soc et libre-penseur, très proche de la dynamique des passage avec Torcy du Curé (à ceci près que n'étant point surveillé par sa hiérarchie comme celui du Journal, le jeune prêtre de ce roman peut se permettre, malgré ses doutes, d'être franc et vindicatif vis-à-vis des laïcs, ce qui lui sauve la vie)

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