Après avoir été complices dans «Télématin», un tour du destin les a transformés en duo romantique totalement inattendu.
Les «djeunes» n’ont qu’à bien se tenir. Les progrès de la médecine n’offrent pas seulement à leurs grands-parents et arrière-grands-parents un bonus de forme spectaculaire, mais ils les dotent d’une capacité incroyable à réinventer leurs vies. « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait», se désolait-on encore il y a peu. Quantité de boomers, désormais, font mentir le proverbe, et pas seulement en matière de vigueur physique et de vivacité intellectuelle. Deuil, catastrophe sentimentale? Pendant quelques mois, on les croit –et ils se croient– brisés à jamais, n’ayant plus goût à rien, surtout pas à l’amour, et voilà qu’un beau matin, contre toute attente, ils se relèvent.
Lire aussi: Sophie Davant : «Ma fidélité au Téléthon est la chose dont je suis la plus fière dans mon métier»
Tel le roseau de la fable, ils n’ont fait que ployer sous le vent mauvais du malheur, et maintenant ils se redressent. Encore amochés, c’est sûr, mais subitement revigorés par l’élan vital indispensable pour se réinventer un destin. Ce regain d’énergie trouve généralement sa source dans un constat identique: l’allongement de la durée de la vie est un cadeau unique dans l’histoire de l’humanité. Mais qu’en faire? Sitôt la question posée, le champ des possibles s’ouvre.
Lire aussi: La tribu de William Leymergie
Le boomer se surprend à caresser des projets et son rêve le plus fréquent, c’est de tomber sur un autre senior qui soit dans le même état d’esprit et partager avec lui les belles années qui leur restent. Pas gagné d’avance mais il arrive que ça marche au-delà de ce qu’on espérait, embellies amoureuses qui intriguent les proches et les familles autant qu’elles les fascinent. Quel est leur secret? Un sentiment subit de liberté qui rend envisageable ce qui, des décennies plus tôt, aurait paru absurde ou complètement extravagant? Une volonté commune de conjurer la solitude? Ou la découverte improbable de l’âme sœur, un coup de chance inouï?
Avant Sophie, William ne voyait plus les couleurs de la vie, grâce à elle il les a retrouvées
Chaque romance est unique mais, dans les récits de ces sexagénaires ou septuagénaires qui retrouvent d’un jour à l’autre la ferveur de leur adolescence, des constantes émergent, très curieusement similaires quel que soit l’âge ou le statut social. Inconnus ou célèbres, tels récemment William Leymergie et Sophie Davant, ils décrivent les mêmes émotions, et la première d’entre elles, c’est que les jours ont beau passer ils n’en reviennent pas de cette résurrection amoureuse. Sophie Davant, 59 ans, et William Leymergie, 75 ans, encore tout étourdis par ce qui leur arrive, une divine surprise qu’ils n’auraient jamais imaginée. Comme tous ceux de leur âge, ils sont aussi très émus en se remémorant le vide abyssal qui précéda ces moments magiques : chacun de leur côté, ils ne savaient plus que faire de leur existence. Quelque chose s’est passé qui les a dépassés, et les a conduits d’un jour à l’autre à découvrir un terrain qu’ils ne soupçonnaient pas.
À Bonne Terrasse, la moins people des plages de Pampelonne. Le soir, Sophie Davant, 59 ans, et William Leymergie, 75 ans, côtoient Isabelle Adjani, Patrick Bruel ou François-Xavier Demaison. © DR
Le plus singulier de leur histoire –mais à la vérité, le phénomène est assez fréquent– c’est que Sophie Davant et William Leymergie n’ont pas cherché les retrouvailles: ils se connaissaient depuis trente-cinq ans et même si leur amitié avait perduré, elle était devenue essentiellement téléphonique et, de leur propre aveu, ne se manifestait plus qu’en pointillé. Donc pas meilleur échantillon qu’eux si l’on veut comprendre ce dernier quart de l’existence où tout bascule alors que le destin paraît définitivement scellé et l’avenir, assombri à jamais. William, jusqu’au jour de 2021 où il retrouve Sophie, la voit toujours, en dépit des années, comme la jeune stagiaire qui avait débarqué à la fin des années 1980 sur le plateau de «Télématin». La boule au ventre mais dotée d’une telle niaque qu’il avait décidé de se faire son Pygmalion. Des années d’apprentissage et de complicité jusqu’à ce qu’elle décide, à l’aube des années 2000, de voler de ses propres ailes.
Avant de reprendre leurs émissions «Affaire conclue» (France 2) et « William à midi» (C8), ils ont passé une semaine entre mer et scène: aussi assidus à la plage qu’au Festival de Ramatuelle. © DR
Sophie continuait d’admirer le grand pro du métier qui l’avait menée à la dure mais dont l’humour l’avait aussi beaucoup réjouie, ce qui avait conduit William, faveur rarissime, à l’admettre dans son cercle familial. Une anecdote résume à elle seule leurs relations: Sophie, avant d’épouser Pierre Sled, qui fut longtemps son mari, s’était sentie de le lui présenter, comme si elle ne pouvait convoler sans avoir sa bénédiction… Les jeunes mariés avaient ensuite acheté en Normandie une maison de campagne toute proche de celle des Leymergie et, dès lors, malgré la quinzaine d’années qui les séparait, les deux couples avaient presque tout partagé, les week-ends, les jeux des enfants, les vacances, les projets professionnels, les mauvais jours comme les grandes espérances. Puis, triste banalité, Sophie et Pierre ont choisi des chemins différents et les épreuves se sont succédé: divorce, vente de la maison normande, nouvelles amours hasardeuses. À l’aube de la cinquantaine, Sophie s’était retrouvée seule et contrainte de tout mener de front, travail, enfants, vie privée de plus en plus bancale. Un tel défi ne lui avait guère laissé le temps d’entretenir l’amitié qui l’unissait naguère à William et à sa femme.

Un petit chien qui ressemble étrangement à Raoul, celui de Sophie Davant. © DR
Leur affection réciproque n’avait pas changé mais le lien s’était distendu. Sophie et lui ne se perdent pas de vue, mais on n’en est pas loin: elle se borne à l’appeler de temps à autre pour lui donner de ses nouvelles et lui demander des conseils. Il les lui prodigue volontiers mais un peu en dilettante car lui aussi a changé. Fini France2 et «Télématin», il officie désormais sur C8 et Europe1. En 2020, à 73 ans, alors qu’il est plusieurs fois grand-père, son existence est plus que jamais amarrée à celle qui n’a jamais cessé d’être le pilier de sa vie professionnelle et privée, sa femme Maryline. C’est compter sans la force du «tourbillon de la vie», pour reprendre les mots de la chanson de Jeanne Moreau.
Quand il lui dit qu’elle lui plaît, elle croit à une blague… comme à la télé!
Au moment précis, juin 2020, où l’avenir semble définitivement écrit, l’impensable se produit: William, un matin, se réveille sans trouver sa femme à ses côtés. Il la cherche dans toute leur maison et finit par la découvrir. Elle est inconsciente et les dégâts de la crise cardiaque sont tels que toute tentative de réanimation est vouée à l’échec. Dans une série de Netflix, on verrait bien sûr Sophie accourir dans l’instant et jouer les consolatrices. Mais la vie est plus rouée et bien moins prévisible que la fiction. Quand Sophie apprend la nouvelle, elle est très loin de Paris, c’est son premier jour de vacances et elle n’est pas seule. Pour autant, pour avoir vu sa mère mourir l’année de ses 20 ans, elle imagine la suite. Elle est d’autant plus lucide qu’elle connaît bien William: il ne voudra pas se confier. Que faire? Une fois rentrée, elle choisit de l’appeler de temps à autre, histoire de lui signaler qu’il peut compter sur elle. Il ne saisit pas la perche. Aucun de ses enfants ne parvient non plus à l’arracher à sa douleur.
Les retrouvailles début août après une brève séparation, le temps pour William Leymergie de marier la benjamine de ses trois enfants. © DR
Un jour, à bout de fatigue, l’un d’entre eux demande à Sophie de l’inviter chez elle le temps d’un week-end. Elle est convaincue qu’il refusera. Miracle, il accepte. Le jour venu, elle découvre un homme étrangement absent, et à son tour, elle désespère. Elle tente malgré tout de le dérider, retrouve le ton et les codes de leurs «déconnades» de l’ère «Télématin». Aussitôt, à sa grande surprise, il redevient lui-même. Elle se risque à lui proposer de revenir. Deux fois, trois fois, William passe un weekend chez elle, alors qu’il a toujours eu horreur de dormir chez des gens. Mais Sophie, c’était différent, ce n’était pas «les gens». Tellement pas qu’au troisième week-end il se remet spontanément à faire le clown. Début de retour à la vie. Il compare cette renaissance à une opération de la cataracte: il y avait comme un voile entre lui et l’existence. Tout était gris, sombre, il ne voyait plus les couleurs de la vie. Et soudain, grâce à Sophie, il les a retrouvées.
Lors de ces trois week-ends, il découvre aussi une femme qu’il ignorait: une mère de famille âgée de 59 ans qui continue à mener de front sa vie et sa carrière. À la fois surpris et amusé du spectacle de sa maturité, il observe, déconcerté, cette nouvelle Sophie qui n’était plus la petite Sophie de «Télématin», mais une femme qui n’attendait plus personne. La preuve: elle avait adopté un chien!
Elle préfère le paddle à la nage avec palmes. © DR
Et puis un jour, ils se sont aperçus qu’ils aimaient passer leurs week-ends ensemble. Mais rien de plus. Ils ne s’envisageaient absolument pas d’avenir. Malgré tout, comme dans tant d’histoires analogues, un lien d’une nature inédite s’est noué à leur insu, indéfinissable mais assez fort pour que le jour où Sophie part en vacances sans le prévenir, William en prenne ombrage.
À son retour, il l’invite à dîner. Que lui dit-il? Elle comprend, en tout cas, qu’elle lui plaît. Moyennant quoi, elle refuse de le prendre au sérieux. Elle croit à une blague de plus, part d’un grand rire. Lui ne rit pas. Comme souvent après l’épreuve, c’est dans cette gravité que tout commence. Pour lui comme pour elle, une autre vie démarre et, simultanément, c’est la vie qui redémarre. En toute conscience, pourtant, que rien n’abolira le passé : ce qui a été est.
Pour évoquer ce singulier basculement, les deux boomers invoquent la phrase qu’eut Montand après la mort de Signoret : « On ne refait pas sa vie. On la continue, c’est tout. » Le secret, selon eux, c’est d’accepter tous les possibles. Vivre ensemble, ou pas, ils ne savent pas encore: ça arrivera ou ça n’arrivera pas, pour l’instant, ils se retrouvent seulement pour les week-ends et les vacances. Et pour le reste, admettre qu’on ne remplacera pas ceux qui sont partis, faire de leurs expériences un atout et non une source de peurs, conjurer ensemble les inquiétudes du métier, retrouver le goût des « déconnades » de leur jeunesse, la passion des voyages qui restent à faire et, comme les ados, quantité de curiosités partagées, cinéma, théâtre, concerts. Enfin, dans tout ce qu’ils font, instiller ce qui permet, à chaque instant, de s’étonner encore : un zeste d’imagination. Alors l’avenir, dans tout ça ? Avec les vertus de la tendresse, les tourtereaux seniors ont découvert celles de la sagesse : le présent!