J'ai attendu ce soir pour le voir...en salle (enfin dans la salle de projection de l'école de ciné où bosse Puck, encore merci à lui d'ailleurs, même si la compression du stream Netflix était pas au top, la prochaine fois, je demanderai un DCP ou un gros RIP à Mass). Pour faire ça bien quoi. Pour que ça pète BIEN. On était au premier rang. BIEN.
SPOILERS DE PARTOUT
Full disclosure : outre mon amitié avec Guillaume, avec qui on a même déjà travaillé, j'avais lu une version du scénario. Ce n'était pas la toute dernière mais je ne crois pas qu'énormément de choses ait bougé mais j'avoue me souvenir surtout du premier acte, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il doit récupérer la bagnole qui contient la balle-titre qui pourra l'innocenter.
J'ai toujours adoré ce concept. Non seulement pour l'épure mais aussi pour la portée symbolique qui hisse le scénario au-dessus du statut de "prétexte" à un film d'action. L'intrigue se résume ainsi à ce McGuffin qui cristallise à lui seul le film : une balle encastrée dans un tableau de bord, et plus précisément dans le cadran du kilométrage, stoppant la course de son conducteur pour toujours, événement qui sert d'élément déclencheur au film et qui s'avèrera également son issue.
Même si je ne connaissais pas l'amour de son réalisateur pour la tôle froissée, il y a un véritable effort d'incarnation du véhicule qui devient le substitut de l'ami défunt. En Charas, Ramzy est étonnamment convaincant dans ce rôle à contre-emploi, apportant justement toute sa sympathie (et éveillant donc notre empathie) à cette figure "paternelle" pour le protagoniste, avant de disparaître brutalement en fin de premier acte...pour mieux être ressuscité dans le dernier acte. L'idée de faire de la vieille Renault 21 de Charas, déjà iconisée plus tôt dans le texte quand on nous explique qu'il s'agissait du premier modèle de voiture d'intervention de la police, l'objet de la catharsis du héros, à la fois preuve ambulante qui l'innocente et instrument de vengeance contre Areski, est brillante. Ça permet de transcender le simple outil badass madmaxien déjà bonnard en soi.
Je pense toutefois que le scénario aurait gagné à montrer encore davantage la relation entre Lino et Charas, tout n'en aurait été que d'autant plus poignant, que ce soit quand Charas lui donne la lettre qui annonce sa libération anticipée ou quand il crève ou ce plan final. En l'état, le script réduit ça au strict minimum pour aller au plus vite, ce qui est louable dans la démarche de dépouiller le récit au maximum mais qui limite peut-être un peu trop les personnages à leurs archétypes. D'ailleurs, si le film gagne en propulsion à partir du moment où Lino comprend qu'il doit retrouver la voiture, c'est parce qu'il s'agit du véritable plot point décisif de l'histoire. Entre la mort de Charas et cette prise de conscience, la fuite de Lino est suffisamment engageante mais le film ne démarre vraiment (no pun intended) qu'après.
Et même après, je trouve globalement qu'entre l'extraordinaire scène du commissariat et l'autre combat, dans la grange (qui remake son propre Indemne, LE MEC N'A PAS HONTE), ça patine un petit peu à cause des "allers/retours" Quentin/Julia/Quentin/Julia, qui donne un petit peu l'impression qu'on tourne en rond (parce que la R21, elle, ne bouge jamais, c'est juste que Lino galère à y aller). Je reste également un peu dubitatif sur la nécessité de la mort de Quentin qui doublonne un peu avec celle de Charas. Cela étant dit, il y a de vraies conséquences et ça c'est appréciable et j'adore comme malgré tout Lino ne tue jamais personne. Le scénario ne surfait jamais ce détail, ne le surligne pas par une réplique, qu'elle fut de Lino envers untel ou de Julia envers Moss. De manière générale, l'écriture économique du personnage de Lino est franchement réussie : tout passe via l'action. Le mec n'est qu'action. C'est moins Jason Bourne qu'un personnage spielbergien : s'il s'arrête de bouger, il est mort. Là aussi, on touche à quelque chose de tropologique.
Dans ce registre, Alban est parfait. Sur le coup, j'ai un peu regretté de oas retrouver sa gouaille si réjouissante de Goal of the Dead, Antigang ou Tank, mais en vrai, ça aurait été déplacé vu le parti-pris du film (tout comme mes superbes reaction shots surjoués coupés au montage #ReleaseTheHospyanCut).
Bon, maintenant que j'ai dit tout ce que j'avais à dire de l'écriture, on va parler de la mise en scène. Mais là y a rien à dire. Allez si, j'ai eu un petit souci sur le montage lors du climax de la première scène d'interception du go fast et il y a un plan chelou un peu mou dans la dernière course-poursuite, juste après que les flics du barrage aient crevé les pneus de la voiture-bélier (celle des flics) où on dirait que Lino ralentit alors que le plan d'après, il arrive à pleine balle et défonce le barrage. Mais bon là je pinaille.
En fait, avant la dernière scène, je me suis dit "mmm les bastons sont meilleures que les scènes de bagnoles". Parce que putain, cette scène dans le commissariat, quelle tuerie. Le découpage est e-xem-plaire. Quand être court, quand laisser durer un peu, quand consacrer un plan à un mouvement, quand filmer plusieurs gestes/coups en un seul plan et mouvement de caméra... Je pense notamment à l'enchaînement avec l'ordi portable, très cut, suivi du moment où il balaye plusieurs flics juste après, en un seul plan. C'est mortel. À la limite, si je devais reprocher un truc, c'est que justement je me suis dit "la chorégraphie tue" et par conséquent, tout de suite après, je me suis fait la réflexion "il est peut-être un peu trop pro, le Lino là". Là c'est Jason Bourne.
Ah si, l'autre reproche que je ferai et c'est un reproche général, c'est la musique. Je trouve qu'elle joue un peu trop le minimalisme et qu'elle confère pas toujours le rythme adéquat à l'action. Dans la scène du commissariat par exemple, quand il y a cet EXCELLENT moment où Lino soulève un keuf, qui s'explose le dos contre un bureau avant de tomber par terre, le silence aurait été de mise pendant quelques secondes pour accentuer les chocs, mais là c'est couvert avec exactement le même tempo et la même intensité que le reste au lieu de souligner les moments individuels. À l'inverse, je trouve qu'il aurait fallu de la musique sur le sprint final de la bagnole en feu à la fin pour amplifier la tension.
À côté, le travail sur le son est nickel. Le bruits des mains de Lino qui claquent sur le sol quand il essaie de s'échapper du commissariat en rampant... Il y a plein de petites trouvailles aussi, de petits détails mémorables qui enrichissent la scène comme l'ordi portable donc mais aussi l'utilisation des outils des flics retournés contre eux (le bouclier, mortel, le gaz aussi).
J'ai aussi beaucoup aimé la baston avec Julia, courte mais complètement différente des deux autres. J'aime beaucoup (même si on le grille avant) la révélation tardive de la relation sentimentale entre elle et Lino et justement, le fait que ça soit immédiatement suivie de leur empoignade est exploité. C'est pas du tout le même genre de combat. C'est délibérément super intime. Quasiment sexuel. Dans la chorégraphie (on s'agrippe, on se coince le corps et la tête entre les cuisses) et dans la mise en scène (plans beaucoup plus rapprochés). Un très bon exemple de comment l'action peut raconter l'histoire.
Rien à redire non plus sur la baston dans la grange avec les fusils à pompe et la DOULEUR de la tête de Marco qui se cogne contre le coin de table (maquillage génial après d'ailleurs). Dans l'ensemble, les chocs font mal dans le film et ça, j'ai toujours kiffé, plus que de voir du sang. La vraie violence, elle est là. Ça me fait penser au mec qui se cogne le front contre un pare-brise dans la course-poursuite à Mombasa dans Inception. Y a pas une goutte de sang dans le film mais ce "BONK!" je l'entends encore. Tout comme je sens chaque coup mangé par la blonde dans le commissariat.
Et donc la poursuite finale... L'étirage en plusieurs plans de l'arrachage de chassis est tout simplement jouissif de ouf. Encore une fois, découpage irréprochable. L'effet est maximisé par la prise de temps, tu sens l'effort, tu sens la technique, et comme en plus c'est tourné en dur, quand soudain ça pète et que tu vois le moindre petit granulé de je ne sais quoi lisiblement découpé dans l'air parce que c'est tourné de jour avec une lumière naturelle, bah l'image est indélébile. Et après, le ballet de voitures qui s'envolent, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise... Mention spéciale à Julia qui s'arrête pour regarder une voiture en plein tonneaux.
Le film peut paraître un peu "petit". Comme un film-somme recyclant/réinterprétant des années et des années de courts métrages mais sur le format long et avec un budget digne de ce nom. Il y a sans doute un peu de cela, un peu de "la même démo mais en long" mais la sincérité et le travail sont là. Qu'on n'y trouve pas son compte, ok mais ça se fout de la gueule de personne. Je veux pas faire de lapalissades, je dis juste que le film est à la hauteur de ses ambitions et, comme l'était Matriarche en son temps, c'est une incroyable carte de visite. Non. C'est pas une carte de visite. Là c'est un faire-part.
Guillaume Pierret nous fait part de son talent. Et les sirènes elles vont sonner.
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