Vie et mort du gangster dublinois Martin Cahill.
Grosse claque que ce film étonnant sur un gangster plus grand que nature, son rapport anarchiste à la société, sa vie comme une provocation pour échapper à un quotidien désespéré.
Boorman présente le business crapuleux de Cahill avec assez de recul pour qu'on aime le personnage sans oublier ce qu'il est : un chef d'un gang très efficace mais plutôt minable, évidemment violent, sans grande ambition, jusqu'à deux très gros coups (dont un qui entraînera sa chute) mais motif de fierté vu dans quoi il l'a construit.
Fierté mal placée d'un pseudo Robin des Bois qui met des travailleurs au chômage.
Ce sont pas des Italiens, comme Cahill le dit, pas de place pour du glamour à la Coppola.
Un gangster de cinéma comme on voit rarement. Assez malin et déterminé pour vivre confortablement. Malgré son surnom, ce n'est pas lui qui tombera en cherchant à se tailler un empire.
Un empire l'aurait empêché d'être libre. Même si sa liberté finira en prison (et les nuits en prison lui assurant la liberté).
Une liberté aussi très idéalisée pour un homme incapable de quitter son quartier et n'acceptant pas de changer de statut social en allant faire la queue pour les allocs.
Les gangsters dublinois de Boorman sont comme dans la vraie vie (Italiens ou pas, Saviano insiste bien sur le côté beauf des mafieux) et si la loyauté existe, c'est d'abord pour des raisons pratiques. Cahill finira par se retrouver seul surtout à cause de son régime alimentaire et sa provocation qui vont le fragiliser physiquement et mentalement.
Mais jusqu'au bout, il affiche son côté bravache et anarcho, emmerdant les autorités qui pensent tenir un pays fragile. Ayant juste besoin de pigeons pour qu'on le laisse tranquille, pour s'évader quand d'autres se défoncent la gueule dans tous les sens du terme pour supporter.
Anti-spectaculaire par l'angle choisi de son sujet, la mise en scène de Boorman n'en est pas moins d'une personnalité folle et jazzy, comme sa bande-son. Comme la vie de Cahill. Comme la carrière de Boorman qui n'en finit pas de changer de genre avec ce film tout en ambivalence.
Avec ce N&B qui nous emmène vraiment à une autre époque, alors que ça se passe 10 ans auparavant, mais Cahill n'est déjà plus de son époque. Refusant la destruction de son quartier. Quartier pauvre mais dans lequel il a grandi : Hollyfield. Et surtout sans confiance envers le nouveau programme immobilier promis par ceux-là même qui le harcèlent depuis l'enfance : les autorités.
Le gars est très rusé mais il fallait être en Irlande dans les années 80 pour réussir ses coups, tout en narguant publiquement les autorités sans se faire gauler.
Une intelligence supérieure contrebalancée par un côté rustre. Une sympathie par une violence et une antipathie dès que ses affaires sont menacées. Un père de grande famille bigame qui est resté un enfant. Une liberté sous surveillance. Un visage constamment caché pour mieux se faire remarquer.
Tout le film repose sur une fuite impossible de la réalité, d'un idéal de bonheur rêvé sur lequel la pourriture finit par tout recouvrir.
Intéressant de comparer ces deux prix de mise en scène à Cannes aussi.
De Leo the Last quasi-expérimental et optimiste, son General est bien plus classique et désenchanté. Quand le noble observait la rue, le général de Dublin se met constamment en scène, joue toujours la comédie. Seul point commun entre le riche noble et le pauvre popu : un désir de liberté.
Si on compare à Point Blank, l'autre film de truand de Boorman, étonnant aussi de constater à quel point The General est à l'opposé dans la forme et dans le fond. La débauche de couleurs de Point Blank face à un N&B. Et son organisation criminelle tentaculaire alors que l'armée du General se limite aux amis d'Hollyfield, un gangster à l'ancienne. Se refusant à aller plus loin que son quartier, il se moque de la question irlandaise.
Avec assez peu des thématiques classiques de Boorman.
L'homme n'est pas cette virilité sexuée (quoi que s'assurer la fidélité de deux frangines... qui tombent surtout sous le charme d'un homme qui les respecte et trouvent des raisons bien futiles pour oublier ses activités). La Nature n'existe que pour planquer des magots. Et la transcendance n'est de mise que par la réputation.
Tout juste la mémoire est la seule foi pour ne pas oublier la ligne de conduite choisie pour assumer sa liberté. Même si Cahill se raconte des histoires, s'invente une stature comme l'enfant qu'il est. Dans un monde où les disques d'or n'ont d'or que la peinture.
Boorman s'attaque aussi franchement aux institutions officielles ou non, et que ce soient les Loyalistes, les Républicains de l'IRA, la Garda, et l'Eglise aucun ne trouvent grâce à ses yeux, tous n'étant que des menteurs, manipulateurs sous des oripeaux qu'ils voudraient dignes.
Plutôt gonflé, même si ça reste à la mesure de la petite Irlande, et on imagine un côté misanthrope et franc-tireur d'un réalisateur qui ne sera jamais devenu une star hollywodienne obligé de faire un petit film. Grand bien lui fait parce qu'il n'est pas du tout aigri, et après le lourdingue Rangoon, Boorman revient avec une grande réussite au sillon humoristique qu'il a commencé à franchement tracer avec Hope and Glory.
Finalement beaucoup plus drôle que sa comédie revendiquée Where the Heart Is, car beaucoup plus authentique, le personnage réel est de toute façon une vraie pépite pour se faire plaisir. Porté par la révélation Brendan Gleeson, ça ne peut être que du bonheur.
Dans chaque scène, il porte le film, épaulé par un excellent Jon Voigt (qui dort la conscience tranquille) et de pittoresques second rôles.
Avec Gleeson, il va entamer une collaboration encore plus poussée qu'avec Marvin. Mais la première restera la meilleure. The General est le dernier grand Boorman.