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 Sujet du message: Malcolm X (Spike Lee, 1992)
MessagePosté: 02 Juin 2019, 11:17 
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1992, entre deux évènements (montrés dans la conclusion et dans le prologue du film), l' espoir (la libération de Mandela qui indique l'horizon d'une décision politique, à la fois culturelle et nationale, qui ferait disparaître le racisme) et la régression (le tabassage de Rodney King qui réveille les violences communautaires aux USA et marque la fin simultanées des luttes - qui n'ont pas toujours convergé - pour les droits civiques, du gauchisme et de l'open society de Kennedy), Spike Lee filme une fresque-évènement (à l'époque on ne disait pas "biopic", ce n'était pas perçu comme un genre autonome) sur la vie de Malcolm X, né Little.

L'approche (hormis les références importantes à King et Mandela) est chronologique : les débuts comme demi-sel dans la pègre à Boston, et le refoulement d'une enfance dans une famille brisée , rendue psychologiquement malade par le racisme du Sud. La prison. L'éblouissement et l'occasion de rachat personnel proposés par le prosélytisme de Nation of Islam auprès des prisonniers, puis l'intégration de cette confrérie. La découverte de son talent de meneur politique. La prise de distance avec la figure paternelle, doucereuse mais sombre, d'Elijah Muhammed. L'évolution vers une foi musulmane plus mystique, plus individuelle et plus ouverte au doute , moins violente et rigide, finalement plus en phase avec les changements sociaux à venir dans les années 60 ; ainsi que l'essai d'intégrer cette évolution dans un combat politique. Ce qui va, sous le double coup des jalousies de la part de Nation en Islam et du harcélement la CIA, le mener vers la mort, qu'à la fois il devance et redoute.


Image

S'il y a bien un film auquel l'expression "grand film malade" peut s'appliquer, c'est bien celui-ci.

Long (3h10), porté par un Denzel Washington habité par le rôle, à la fois phénomène sociétal mondial (le film résonnait avec la génération MTV qui en assumait la promotion, il marquait aussi, paradoxalement et en creux, le point culminant et la fin du courant politisé, "positif" et jazzy du hip hop au profit du gangsta) et film d'auteur obsessionnel (je ne connais pas très bien Spike Lee mais comprends mieux certains choix de mise en scène de Blaxxxklanmann, qui rejoue le film en mode "light"),

Malgré sa durée,le film de Spike Lee comporte de nombreux trous narratifs (les 12 ans de montée de Malolm X dans Nation of Islam sont expédiés), est très didactique et schématique. Mais, par aileurs, il est aussi extrêmement complexe et subtil. Les points de vue sont multipliés, mais le champ-contrechamp est en permanence problématique , à la fois recherché et introuvable, comme dans la scène magnifique en image ci-dessus, où Malcolm X parle entre les yeux d'une affiche d'Elijah Mohammed, ressemblance et enchâssement qui marque finalement, par un retournement "dialectique", la prise de conscience par Malcolm du racisme diffus et impensé de Nation of Islam et sa rupture .. Radical, zélé et intimidant au début, mais en proie au doute, sa lucidité l'enferme dans une sorte de monologue qui a l'apparence du sermon, elle est en fait le martyr de Malcolm X ...

le film en fait un beau personnage, toujours à la lisière de la folie et de la destructuration, de la perte de soi, et à la recherche d'une figure d'ordre et paternelle. Mais son intégrité morale et sa soif de pureté, qui se veulent comme exemplaires, l'enferment paradoxalement dans la solitude. La morale est ici le dérivatif et en même temps l'équivalent de sa folie. Ce qui permet à Spike Lee de montrer une différence et même une opposition délicate à cerner entre figure christique (Malcolm X : l'amour pour la collectivité souffrante reste individuel et se consomme comme une flamme, il ne peut pas non plus être prouvé) et figure messianique (Elijah Muhammed, qui a l'ambition d'annoncer non pas l'avènement d'une culture mais d'un ordre), c'est dans l'espace entre ces deux notions qu'il place le champ politique proprement dit. Le film est en fait très brechtien : c'est le point de vue à la fois froid et fidèle, admiratif et distant, d'un sceptique endeuillé sur un mystique . Spike Lee se donne le rôle de l'ami de la période bostonienne et d'avant la prison que Malcolm en parvient pas à convertir, disant même de Malcolm X "He's nuts" quand il se convertit, avant de disparaître de l'histoire, en récapitulant la première partie du film, racontant qui est mort et qui est rescapé).

Bechtien : le recul et la distanciation ne sont pas propres à une cause ou à un mouvement, mais au discours de la totalité qui est à la fois le point de départ et d'arrivée du récit. L'idéologie est filmée comme le contraire de cette totalité : une énigme individuelle . La manière dont Malcolm X, en 1948, se retrouve soudainement à la tête d'une foule qui va libérer un homme violenté dans un commissariait n'est pas expliquée, mais est filmée comme une évidence surnaturelle, prenant les formes du film de zombie (pas loin du clip de [i]Thriller[/i[ de Michael Jackson) et la résurrection de l'enfant mort chez Dreyer.
Pourtant ce mystère répond directement à une interpellation du spectateur, projeté dans le film sous la forme d'une figurante qui prend la parole, s'adresse à Malcolm X, qui met en branle le récit (l'accusation que comme Musulman il n'agirait pour un noir chrétien malmené par la police). Le film possède une vocation pédagogique et morale, il vise à dégager une leçon, mais cette leçon est la limite interne du récit et de la fiction, elle est pour la fiction apparemment une faiblesse et un creuxx: le film doit donc décider de s'arrêter de lui-même pour faire sens. Pour que son impact soit renforcé, il faut qu'il soit aussi spectaculaire et codé qu'il est susceptible d'être interrompu à tout moment - par le réel (les images d'archives rejouées par Washington lui-même, puis remontrée avec le vrai Malcolm X après sa mort). La foi devient alors l'objet de la fiction, ce qu'il faut reproduire et construire, ce qu'il faut filmer comme un mécanisme et un produit. Le réalisateur, pour la représenter, doit obligatoirement être un sceptique, et Spike Lee assume ce scepticisme. Ce scepticisme rejoint cependant la foi de Malcom X, purement et aridement morale, dans le refus de la métaphore, et la conversion immédiate du symbole en récit, qui, indirectement, déplace le doute et la conscience de la finitude de la connaissance; vers le pouvoir (très belle scène du dictionnaire en prison, qui signale à Elijah Muhammed la naïveté et malléabilité potentielles de Malcolm X, dont il va va devoir douloureusement se défaire).

Pour le récit psychologique, individualiste, le "comment" fonctionne comme un signe visible ou une apparence, et le "pourquoi" comme une question. Le point de vue politique collectif de Spike Lee montre au contraire le "pourquoi?" comme une certitude et le "comment" comme une question. C'est aussi la même inversion qui est opérée par le discorus amoureux : il y a une très belle scène de dispute entre Malcolm X et sa femme Angela Bassett, qui donne tout à coup, par le seul franchissement d'une porte, une densité et du répondant un personnage jusqu'ici effacé, et place Spike Lee - mine de rien -comme un bon cinéaste du couple et des portes qui claquent avant l'apaissement, finalement contraint à aller vers l'épique alors qu'il recherche spontanément l'intimisme.

Je parle un petit peu trop, mais le film est vraiment très bon, et fascinant jusque dans ses scories. Il faudrait parler aussi de la première heure (peut-être la moins réussie, mais les deux heures suivantes sont excellentes - avec en pivot une scène de prison remarquable, au coeur du film) où Spike Lee répond très clairement à "Il Etait une Fois en Amérique" de Sergio Leone.

Le film reste aussi urgent politiquement, à double titre : banalisation à la fois programmatique et diffuse du racisme politique en Europe et aux USA, mais également représentation d'un -très complexe - débat entre discours chrétien et musulmans et leurs passages au politique respectifs, ce dernier aspect est peut-être plus au coeur du film que la question raciale proprement dite.
Il est aussi intéressant dans la défense des choix politiques d'un personnages contreversé et mal connu, soutenant la thèse qu'il a été tué à la veille d'une modification profonde de son positionnement politique (dans une direction à la fois plus humaniste et sceptique), immontrable. Malcolm X faisait encore peur aux blancs en 1992, le film avait été acceuilli de façon assez polémique, on ne voyait pas la différence ente Louis Farrakhan et Malcolm X - alors que le film est en fait très critique sur Elijah Muhammed, joué par un très bon acteur : Al Freeman Jr.

C'est aussi la butte-témoin d'une époque défunte (Spike Lee est ici assez proche des films du Nouvel Hollywood, il y a du Deerhunter, du Leone et du Coppola dans ce film), d'avant le numérique. Le film s'est déplacé en Egypte et à la Mecque pour des plans de 30 secondes sur le pélerinage de Malcolm X. Il s'est même rendu en Afrique du Sud pour un travelling à la grue de 5 secondes sur une rue Malcolm X. C'est à la fois dérisoire et révélateur d'une foi énorme dans la présence du cinéma, qui témoigne sans pouvoir le reproduire, du moment de la libération de Mandela, et qui était une présence avant d'être une vision.

Green Book est aussi construit à la fois à partir de et contre ce film (avec la thèse qu'un discours post-racial aménerait aussi une rupture avec l'idée du cinéma comme lieu d'incarnation de personnages en train de sa construire . la mémoire et le récit de soi devanceraient forcément l'intrigue, seules les valeurs auraient un destin. Ce qui est l'inverse exact du film de Lee, qui filme tout le contraire d'une transmission : une combustion).

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
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Jean-Paul Sartre


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MessagePosté: 04 Déc 2024, 13:38 
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Parmi les rares Spike Lee que j'avais vu (8 sur 24 longs métrages de fiction), même les meilleurs (Do The Right Thing, La 25e heure) ne m'ont pas marqué outre-mesure mais je restais curieux de le voir se frotter au biopic fleuve, qui plus est réunissant un artiste vénère avec une figure historique vénère, espérant retrouver un peu de la fièvre de JFK, sorti l'année d'avant.

Le film surprend dès son générique enflammé, alternant les images alors toutes fraîches de la police tabassant Rodney King, avec ce drapeau américain que l'on va allègrement cramer, le tout accompagné d'un discours de Malcolm X, mais l'autre surprise, c'est que le film est loin d'être aussi révolté tout le long, menaçant même de tomber parfois dans le Wikipédia illustré avant que le dernier tiers ne vienne en révéler le propos.

Ne connaissant rien de la vie du bonhomme, j'ai halluciné de voir que la première heure était globalement Les Affranchis version blaxploitation, avec cette excellente scène du lissage de cheveux qui parvient en une seule anecdote à évoquer un vécu authentique et à cibler le problème inhérent au statut des noirs aux USA. La séquence est drôle mais dans le fond c'est triste.

Les biopics sont souvent des histoires de quête identitaire mais le film place celui de Malcolm Little dans le contexte d'un peuple déraciné par essence, arraché à leur terre et amené dans un pays qui, après les avoir exploité puis émancipé, ne leur accorde pas de place, et ça donne toute sa force au parcours de ce jeune homme, de son enfance en proie au Ku Klux Klan à l'adolescence flamboyante en zoot suit au premier groupe (criminel) qui va l'accueillir et enfin au deuxième groupe (religieux) qui l'érigera avant de le démolir.

Je m'interrogeais sur le positionnement qu'allait adopter le cinéaste quant à la Nation of Islam mais le récit montre bien comme Malcolm troque un système de pouvoir (corrompu) pour un autre et le parallèle qui est établi entre ces deux moments où le foyer est assailli par des pyromanes est on ne peut plus à charge : jadis c'était des blancs, aujourd'hui ce sont des noirs. La ségrégation, qu'elle soit du fait des blancs racistes ou des noirs communautaristes, n'est que vectrice d'intolérance et de violence. Le constat établi par le film est désespéré : il ne faut pas retourner en Afrique comme le préconisait son père, on ne peut pas vivre refermé sur soi-même comme le voudrait Elijah Muhammad et quand on rentre de La Mecque en mode United Colors of Benetton, on se fait fusiller.

Il me manque tout de même une dimension supplémentaire (formelle déjà mais intime aussi) pour accrocher davantage et ne pas sentir un petit peu le temps passer le long des 3h22 puis y a des trucs too much dans la fin (Mandela qui joue un prof, l'avalanche d'images du vrai Malcolm) mais c'est très bien.

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MessagePosté: 04 Déc 2024, 18:47 
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J'arrive pas à trouver la séquence en entier sur YouTube mais

J'A.

DORE.

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MessagePosté: 04 Déc 2024, 19:24 
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Oui génial ça.

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