Dans une ville décatie et enneigée du nord de l'Angleterre , Malcolm Scrawdyke (John Hurt) un étudiant en art, semi-clochardisé et pédant, est éjecté des Beaux-Arts locaux, déjà peu prestigieux. Frustré, il décide de fonder un parti politique (Internet n'existait pas encore) masculiniste, que l'on qualifierait aujourd'hui de complètement incel
. Il possède une mentalité la fois idéaliste et rancunière , ainsi qu'un certain bagout aux accents warholo-nietzschéens .
Deux camarades d'école, Wick et Irwin, plutôt perdus, le rejoignent, et développent un culte de la personnalité dont on se sait pas très bien s'il est parodique ou non.
Dans un second temps, Nipple (David Warner, vu aussi chez David Lynch), un homme plus âgé, vieux garçon excentrique, les rejoint. C'est une connaissance de Malcolm, mais entrenant avec lui des rapports ambigus, emprunts d'une certaine rivalité. Il semble pour sa part considérer l'activisme du groupe comme un canular régressif, pénible mais passager. Ils projettent de kidnapper leur nemesis, l'invisible Allard, un professeur de l'école, que l'on devine être un petit-bourgeois progressiste, et de le faire chanter autour d'histoires de coucherie avec les étudiantes, après avoir vandalisé le Musée des Beaux-Arts local.



Ha ben tiens, Fincher a du voir ce film avant de faire Fight Club. Et Mike Leigh aussi.
Film oublié (pourtant Ours d'argent à Berlin, comme le suivant de Stuart Cooper d'ailleurs) produit par George Harrison (qui influence la bonne BO sans y jouer directement), à travers l'ephémère société de production Apple Cinema issue des Beatles, adapté (assez tardivement) d'une pièce de théâtre de David Halliwell, emblématique de l'esprit "
angry young men" . Le film, statique, peine à dissimuler cette origine, mais est très bien filmé et monté (superbe éclairage et caméra très mobile mais discrète, rares mais beaux extérieurs, rares mais beaux extérieurs qui rappellent
Je, tu, il, Elle de Chantal Akerman, au fond pas si loin du propos de ce film), notamment par John Alcott, aussi à l'oeuvre dans les Kubrick de l'époque
J'ai lu que le film était symptomatique d'une forme de déception de la jeunesse du moment 68 à l'heure du terrorisme d'un Baader Meinhof. Cela n'est pas stupide, mais en même temps guère flagrant ou en tout cas relevant d'un rapport assez lointain. Cependant à l'heure de l'élection de Trump, de YouTube et ses influenceurs comme canaux polystylistes de la colère politique, de l'enracinement d'une forme de populisme, souffrant tout autant de sa complaisance envers le fascisme historique que de son incapacité à mettre les mots sur le présent, il prend un poids moins politique et plus sociologique, d'autant plus salutaire.
La faiblesse du film est aussi la force qui lui permet de survivre: même dans sa fuite dans le radicalisme incel , Malcolm
) reste indéfini, et la satire de sa mégalomanie lui emprunte une forme de flou - (il y a une part d'Hitler et de communisme stalinien et même de situationnisme dans le groupe) , d'autant plus qu'il est paradoxalement inséré dans une forme de mentalité anglaise bien vernaculaire : c'est à la fois un dandy intellectuel adapté au système hiérarchisé des
Boarding Schools,, une réminescence de Goerge Orwell (à la fois l'auteur et ses livres) et un holligan prolétarien, mais quelque-chose dans son attitude rappelle aussi la figure classique de Cromwell, un puritanisme laïc, vengeur et humble, qui voudrait tenir dans la fatigue de la violence et du pouvoir la justice elle-même, une justification ainsi qu'une limtie, mais qui s'outrepasse soi-même, son ennemi politique est le seul à lui répondre, son public.
La farce est elle-même mis en abyme par la fonction théâtrale qui devient ici une forme de miroir ontologique de l'absurdité politique de personnage : notre scepticisme transforme directement la forme esthétique en cadre moral autoritairement imposé à la fiction. Les acteurs jouent personnages qui eux-même jouent un rôle, ressemblent au théâtre sans l'être, leur inconscience de la mise en abyme qui les enferme est aussi le manque ou la faiblesse de leur politique.
On est dans un milieu d'étudiants en art, de ruines esthétisées et séduisantes d'une ville industrielle fanée, proche de l'atmosphère de Roubaix ou Lille (avant Thatcher et la gentrification des centres urbains reconvertis en pôles de services), mais les lieux, parce qu'ils sont désincarnés, sont entièrement fonctionnels, sans décoration, faciles à squatter : l'intimité est tout aussi absente que le regard de l'autre qui pourrait la violer. Impossible de distinguer la parodie du réel ; un pouvoir qui serait conscient de son arbitraire, s'accaparant par jalousie des communs qu'il continue pourtant de dévaluer.
Le film est démonstratif, mais la dernière demi-heure est très forte, et même dérangeante. Très bon personnage féminin joué par Rosalind Ayres qui confère au film une indéniable honnêteté morale et le font passer à un autre niveau . Vraiment pas mal
.
4.5/6