Il y a des moments ou les thèmes abordés me parlaient comme rarement, et d'autre séquences ou j'avais l'impression que le film était à la lisière du nanar meet Marc Levy. Le gros soucis du film étant clairement son concept, il y avait quelque chose d'intéressant à développer dans notre dépendance à la technologie, poussé jusqu'ici dans ses derniers retranchements car allant jusqu'à l'intime et l’émotionnel. Mais le film hélas franchit très vite la limite du touchant au grotesque, pour moi Jonze aurait du s'arrêter à une "aide" et non pas dériver son film jusqu'à un texte très premier degré dans la relation amoureuse avec cette OS, qui est au final le coté du film qui m'a le moins intéressé, quand je ne le trouvais pas pompeux et facile.
Reste la relation Amy Adams/Joaquim Phoenix qui est une des plus belle que j'ai vu depuis un moment, c'est bien simple, dés que ces deux la sont à l'écran, le film touche au sublime et si Jonze s'était concentré la dessus avec le personnage de Samantha en support émotionnel, on aurait clairement eu un chef d’œuvre (Le dernier plan est une des plus belles séquences que j'ai vu depuis un moment, simple, fine et tout en retenu). Le côté futuriste du film amène également quelque chose de sympa dans la déshumanisation des rapports humains, restant toujours en terrain connu (le tchat coquin, le premier RDV) mais poussé vers quelque chose de clairement grotesque comme si Jonze ne voulait pas appuyer le mode de vie dans lequel nous sommes, mais le grossir, afin de pousser une sonnette d'alarme.
La réalisation de Jonze est clairement magnifique, y a des plans ou on se croirait chez Michael Mann dans sa façon de placer l'individu au milieu de son univers urbain, pas comme quelque chose d'essentiel, mais comme une forme lointaine amené à disparaitre à n'importe quel moment. Deux mots sur la BO d'arcade fire, magnifique et qui me restera longtemps en tête (et dans mon MP3 )
Pour ma part je suis clairement en face de l’œuvre qui va me frustrer le reste de l'année.
Vu au Lincoln center de New-York, au mois d'Octobre dernier. En présence des acteurs.
Bon, inutile de dire que la réalisation est superbe et que les images sont sublimes. Inutile de mentionner, non plus, l'extraordinaire performance de Phoenix et l'intelligence du casting, de bonne facture. Mention spéciale à Olivia Wilde, qui fait une apparition courte mais remarquée, et à Amy Adams, décidément pleine de surprises. Venant de Jonze, rien de bien surprenant. Clairement l'un des plus grands films traitant d'amour, avec Two lovers et In the mood for love. Un film qui nous rappelle qu'on tombe avant tout amoureux d'une âme, d'une personnalité, d'une manière de parler, de s'exprimer. Un film qui anticipe également les méfaits que peuvent avoir les technologies sur les relations humaines, lorsqu'elles exacerbent l'individualisme, la solitude et le vide d'affection. Un film qui en dit long sur la fuite des responsabilités, la peur du risque et de l'échec, la difficulté de construire une relation dans la durée et à comprendre l'autre. Jonze montre habilement que le futur proche, pourrait être un futur où il existerait des alternatives à la prise de risque, qu'exigent les relations de couples et les rapports humains. Des alternative, séduisantes au premier abord, et c'est ce que montre bien le première partie du long, mais qui ne pourront jamais remplacer les relations que nous entretenons avec les autres. Car si les relations humaines sont plus incertaines, imparfaites voire faillibles, elles restent les plus belles à explorer. Simplement, il faut prendre le risque de se confronter à la complexité humaine, refuser la facilité et enfin, prendre le risque d'échouer. Et cela, Spike Jonze le dépeint parfaitement.
Pour moi, il tombe avant tout amoureux de lui-même, la voix ne cesse de le flatter.
Je n'irai pas jusque là. Moi, je dirais plutôt qu'il y a une forme de facilité dans la relation qu'il entretient avec Samantha. C'est toujours agréable de se sentir valorisé à travers le regard de l'autre, car ça nous rend confiant et nous permet d'exister. Il faut un peu dans de ça dans un rapport de couple, voire une simple amitié. Et je pense pas que le film aille vraiment au delà de ça.
J'ai trouvé qu'il y'avait une sorte d'esthétique pub assez frappante dans les instants "flashbacks émotions/réminiscences/moments de joie filmés avec distance etc.", que je trouve assez dispensables par ailleurs, ou en tout cas beaucoup trop présents. Lors de ces passages, ça m'a vraiment donné l'impression qu'à chaque cut on allait se retrouver avec une voiture qui part au loin, ou un gros plan sur une machine à café avec la dernière goutte qui tombe au ralenti, logo de la marque en surimpression et slogan lancé par une voix off style Scarlett Johansson.
Etonnemment, même si j'ai pas pu m'empecher de me faire la reflexion pendant la vision et donc de faire particulièrement attention à ce phénomène par moments, ce qui est toujours un peu génant, ça ne m'a pas horripilé pour autant. Je trouve justement qu'il y'a une certaine resonance sur la façon dont Ted vit son histoire d'amour par procuration et qu'en filmant ces épisodes d'émotion de la sorte, cela permettait finalement de les remettre en perspective, et de faire rejaillir leur nature artificielle. Je les ai vécus comme ça en tout cas.
Autrement je suis assez admiratif sur la faculté qu'a Jonze de réussir à faire autant vivre Samantha sans qu'on la voit une seconde à l'écran (même si c'est un peu trop appuyé parfois, genre quand elle répète "j'ai vraiment l'impression d'avoir un corps/d'être à tes cotés/mes sentiments sont réels etc.). Ce côté appuyé c'est un peu le problème du film je trouve d'ailleurs, les personnages nous livrent non stop à voix haute tous les sentiments qu'ils éprouvent, en étouffant presque la propre sensibilité de ses spectateurs. Ce qui est interessant malgré tout, c'est que du coup on interroge constamment les spectateurs sur la crédibilité et l'authencité de ces sentiments. En tout cas il faut avouer que les discussions entre Ted et Samantha fonctionnent très bien et que les deux acteurs supportent à merveille l'exercice, en parvenant à rendre ces scènes vivantes sans qu'on les voit dialoguer à l'écran. Jonze ira plus loin dans une scène de sexe entre les deux protagonistes filmée dans le noir total pendant facilement au moins une minute, j'ai trouvé cette idée géniale.
Enfin le dernier point qui m'a frappé sur ce film, c'est l'humour. Je m'attendais à une approche toute triste et désespérée, totalement fataliste sur l'évolution de notre rapport au numérique et la disparition de la romance dans nos rapports amoureux, et en réalité c'est super drôle ! J'ai réellement éclaté de rire par moments, le coup du chat mort ou le perso du jeux vidéo interactif c'est surprenant et ça marche super bien.
Bon je vous rejoins sur les qualités du film. Il y a plein de bonnes idées sur la représentation d'un futur (les plans des couloirs où tout le monde est sur son device électronique) pas si éloigné, la direction artistique est aux petits oignons et j'aime beaucoup comment Jonze dirige Phoenix qui a là un de ses plus beaux rôles.
Après, il y a un vrai défi de cinéma que relève avec brio le cinéaste en arrivant à rendre assez vivante la relation entre Théo et la voix de Samantha, dont les scènes se résument à des tunnels de dialogues. En cela, je suis assez admiratif de la mise en scène de Jonze très élégante plus que du scénario. C'est bien écrit certes mais j'ai du mal a voir dans le postulat du film plus qu'un exercice de style. Ça compile un peu toutes les situations conventionnelles de la love story et je ne trouve pas que Jonze tire quelque chose de profond de sa fable.
Finalement, je suis plus passionné par le futur que construit le cinéaste que l'intrigue en elle-même. Puis, je trouve ça un peu longuet et la fin assez mal écrite. Bon film tout de même sur lequel j'aurais aimé plus accrocher mais je crois que je préfère le Jonze de la période Kaufman, plus retors et pour moi plus abouti que dans ses deux derniers.
En ce moment vu la qualité des films, si j'écoutais les remontrances de Castorp m'enjoignant à n'écrire que sur ce que j'aime, je n'écrirais plus rien!
Her a pour lui le cadre d'anticipation, quelques bonnes idées, de bons acteurs et un peu plus qu'un tâcheron à la mise en scène. Malheureusement, rien ne le sauve du flot cruel mais nécessaire du temps qui, quinze jours après la séance, le noie et l'emporte parmi d'autres banalités. Les aspérités remarquées alors s'effacent pour ne plus présenter qu'un objet poli par une image publicitaire, lisse au possible, incapable d'impulser une originalité réelle. Une fois la situation initiale (plutôt bien) installée, le déroulement de la romance se fait convenu, tentant de donner à la voix de Scarlett Johanson des interrogations métaphysiques, qui aussitôt sont balayées d'un revers de main, d'un saut de foi aussi énorme que grotesque avec cette scène de sexe qui veut à tout prix faire oublier le corps avec la seule voix et à laquelle je ne crois pas du tout.
Le revirement final est plutôt bien vu, même si bâclé. La description du relatif échec d'un amour entre deux êtres si différents est bien trop rapide pour être convaincante, alors que sur le fond, on peut effectivement penser qu'une IA connectée en réseau ne peut que trouver en l'humain des limites frustrantes. L'idée que cette relation a fait grandir le personnage principal peine aussi à être incarnée, en dehors là encore d'un saut de foi selon lequel oser aimer suffirait pour construire une relation. Ca fait un peu Florent Pagny tout ça.
Un mot sur ce bijou, qui est sans doute pour moi, le meilleur film que j'ai vu depuis des années.
Mes expériences cinéma de forte amplitude se raréfient avec les années (Children of Men, No Country for Old Men, Un Prophète, Match Point, La Nuit nous appartient d'un point de vue écriture et mise en scène, auxquels je rajouterais The Social Network, Caché, Shame, Before Midnight et Two Lovers avec une résonance plus intime). Ce qui est certain, c'est qu'au cours de la dernière décennie, je n'avais encore jamais vibré à ce point.
De fait, c'est la seconde fois que je me sens nain face à un film de Jonze, ou plus précisément face au traitement qu'il réserve à des thématiques qui me sont pourtant si familières (l'écriture pour Adaptation, les nouvelles technologies pour Her). Avec encore une fois, cet incroyable choc de visionner une oeuvre si personnelle, et donc si immédiatement universelle.
Voici ce que j'écrivais jadis sur Adaptation :
(Avis sur Adaptation repêché en section Broken Flowers - transgression naturelle du forum - qui ne devrait au final n'intéresser que moi, d'autant que j'y croise le travail de Jonze et Kaufman avec mon humble expérience de scénariste débutant)
Une oeuvre majeure pour moi. Le Jonze est ce que j'ai vu de plus explosif ces dernières années, et de plus jouissif aussi. C'est bluffant, ça m'enthousiasme autant que ça me décourage, car à quoi sert de se mettre à gratouiller quand existe en ce bas monde un Charlie Kaufman... Et je ne suis pas un vendu à son oeuvre : si j'aime beaucoup le premier Jonze, je n'ai pas accroché à Human Nature, je dois revoir Eternal Sunshine car je suis passé à côté, et je n'ai pas vu le Clooney. Mais celui-ci est une pure merveille, tellement énorme à digérer que ça en est douloureux. Voilà un film qui mérite une avalanche de superlatifs...
Kaufman y ouvre des brèches qui libèrent l'imaginaire. Du coup si tu pratiques toi-même cette gymnastique, tu risques d'être déçu par le non-avènement de tes idées "fantasmées", car lui va suivre d'autres pistes. Mais il a le mérite pour "décapsuler" son cinéma de cette manière (d'une, parce qu'il expose son schéma narratif à tout le monde au risque de ne pas retomber sur ses pieds, et de deux, parce que beaucoup de spectateurs paresseux vont abandonner).
Jusqu'à présent, je l'ai dit, je le trouvais original sans accrocher plus que ça, c'est Adaptation qui m'a réellement bluffé, avec cette impression d'avoir intelligemment fait le tour du sujet, pour une fois (ça ne m'arrive jamais de me dire ça pour un film, encore moins pour un scénario). Je m'imaginais être à l'écriture du scénario avec lui, et être aussi perdu et dépassé que Salieri sous la dictée de Mozart dans Amadeus... Le mec a un talent fou. Je veux dire... c'est le métier que j'ai envie de faire et que je pratique à mon niveau, et là, tout seul, lui se lance dans le truc le plus casse-gueule du monde, la mise en abîme de l'écrivain, et en sort indemne et pertinent... On verra la suite maintenant, mais je suis content qu'il existe et puisse travailler comme il le souhaite.
D'une façon générale, j'accroche très difficilement aux univers déjantés à la Gilliam ou Dupontel, ou merveilleux à la Burton ; quelque chose ne m'emporte pas complètement, je reste sur la touche, mais à froid dans une discussion je suis très admiratif de leur travail. De leur ambition aussi bien que du résultat. Pour Kaufman c'est pareil, y compris sur Human Nature que je n'ai pas aimé. Je m'empêche de critiquer parce que je sais au fond de moi que c'est très bon, ou en tous cas original, assez vertueux. Je suis même capable d'acheter le DVD pour plus tard, quand je serai prêt... Et parfois comme avec Adaptation, je suis plus touché que quiconque et c'est fabuleux.
La mise en abîme sur la difficulté de création est un sujet impossible. Pour moi en tous cas, et jamais je ne me risquerais sur ce terrain (non pas que je le veuille non plus). Au final la difficulté de ce thème c'est - je pense - non pas de décrire le procédé créatif de façon universelle, mais de parvenir à décortiquer son propre mode de fonctionnement à soi, ce que Kaufman parvient superbement à faire ici. C'est très monocentré tout le long du film sur son "moi scénariste", et tu sens aussi qu'il en chie le Kaufman, et que rien ne lui est facile. C'est aussi pour ça que le film n'est jamais prétentieux (malgré le cynisme profond et les certitudes de l'auteur, il reste curieux à tout et laisse toutes les portes ouvertes).
De mon côté, je ne cherche pas à écrire le scénario ultime (Le Parrain, condensation parfaite d'un bouquin, microcosme complet d'un univers et d'une époque), à épuiser une thématique (Délivrance, la nature plus puissante que l'homme sous différents aspects) ou à construire une horlogerie précise (Memento).
Donc déjà je néglige le scénario pour ce qui lui arrive de devenir parfois, à savoir une oeuvre cohérente en soit, et ultra réfléchie. J'ai essentiellement un problème structurel d'ailleurs, ce n'est pas mon point fort, et en cela je rejoins les doutes d'un Cage dans le film pour les différentes écoles ou méthodes existantes pouvant te faciliter la vie (McKee par exemple).
Je fais beaucoup de recherches, j'ai souvent un matériau plus dense que nécessaire, plus de scènes que de raison, et je passe mon temps à retrancher, mettre de côté, éliminer, plutôt que d'étirer ou de remplir les blancs. Là-dessus j'ai de la chance.
Mais je n'ai pas de "conscience globale", juste une idée de base et une ligne directrice. Je pense que Taxi Driver est l'exemple type de scénario auquel je pourrais accéder si je fais du sans faute dans mes choix (même si l'exemple est à mes yeux bien trop prestigieux pour la comparaison). Tu ne peux pas vraiment te tromper, que ton perso se masturbe chez lui, aille dans un cinéma porno ou se loue une K7 d'un film X, tu exprimeras toujours tes idées maîtresses, à savoir la solitude et la misère sexuelle. Après il y a de meilleurs choix que d'autres, d'où l'importance de retrancher. J'aime le cinéma du réel, pour moi il serait vain de tenter l'adaptation de LOTR par exemple.
Kaufman réussit avec Adaptation un mélange des deux, c'est à la fois déstructuré, et sur l'ensemble de pure conception hyper structurelle. C'est réaliste mais ça baigne - surtout dans sa dernière partie - vers le délire romanesque. Cette maturité et cette vision d'ensemble me trouent le cul. Mais en un sens le film me rassure car son personnage de scénariste n'avance pas qu'en trouvant les bons choix, il avance surtout en se disant "ça il ne faut pas le faire" ce qui est ma propre méthode. Là où le film m'anéantit (et m'enthousiasme au plus haut point), c'est qu'il se contredit par la suite, revient sur des éléments pourtant écartés en premier lieu etc. C'est déconcertant et parfaitement épuisant. Je pense par exemple que Nolan en a moins chié que quiconque pour écrire son Memento. Ça n'a pas du être simple à finaliser, mais je ne pense pas que ce soit si difficile à pondre quand c'est le genre de scénario que l'on a envie d'écrire. Mais je peux me tromper.
6/6
C'est drôle à quel point je dressais à l'époque tous les lauriers à Charlie Kaufman, oubliant Jonze sur tous ces aspects...
Tout a été écrit ici et ailleurs sur l'histoire d'amour virtuelle du film, sur la voix de Scarlett, sur la mise en images, sur la très vaporeuse BO... je ne vais pas y revenir. Tout participe effectivement à faire de ce film une merveille acidulée. Certains détesteront le côté hipster, d'autres comme moi y trouveront un confort inégalé. En regardant les images, j'étais dans mon univers, chez moi, dans ma sphère très intime. C'est rare.
Ce qui me fascine, c'est l'émotion que ce film suscite chez moi, et qui n'est pas directement lié à l'histoire d'amour : cette façon qu'a Jonze de dépeindre internet, les jeux vidéo et les nouvelles technologies. Il aurait pu conter une énième fable sur le virtuel qui trompe, sur les illusions qu'engendre l'amour naissant, sur le désespoir de la solitude et de la perte de l'être aimé. Peut-être que ces composantes sont d'ailleurs bien présentes dans le récit. Pour ma part, peu importe à vrai dire. Moi, j'ai été profondément touché par la bienveillance de ces technologies, sur comment elles agissent en douceur sur nos blessures pour les panser. Il y a une certaine magie, une grande finesse.
Ici, l'OS vient couver Theodore après sa douloureuse séparation (en jouant une maîtresse sexuée, car il avait déjà expérimenté une amitié forte avec Catherine), comme elle viendra couver Amy après qu'elle se soit séparée de Charles (en jouant cette fois l'amitié complice, car ils s'étaient parfaitement aimés). Theodore et Catherine étaient très amis, mais il leur manquait cette pointe d'amour qui fait vaciller un couple vers l'osmose. Alors qu'au contraire, Charles et Amy formaient un couple aimant, mais incapables de s'entendre sur les goûts et les loisirs. Ils n'ont pas réussi à évoluer ensemble, ils se sont désynchronisés. L'OS a donc joué pour chacun le rôle de partenaire thérapeute, parfaitement synchrone émotionnellement, le temps qu'il digèrent leur amertume, leur noirceur, leur rapport compliqué au monde, aux autres, à eux-mêmes... pour mieux les guider et les rendre à la vie lorsqu'ils furent fin prêts à l'affronter. On voit qu'à la fin, tous les OS se retirent, ayant accompli leur mission. Les gens, abandonnés, ne se suicident pas. Bien au contraire, ils se retrouvent, mieux armés, prêts à passer à autre chose. Guéris, mûris, affirmés. Le dernier plan m'a beaucoup fait penser à celui de Fight Club d'ailleurs, qui dit énormément de choses sur la société de consommation - en prenant exactement l'autre pendant.
C'est un film sur le leurre de la solitude, sur ce putain de cliché résilient comme quoi nous serions tous esseulés devant nos écrans, prétendument connectés en vain, et au fond parfaitement étrangers les uns aux autres. On blâme continuellement la technologie qui compartimente, qui isole, qui rejette. Or pour la première fois sur le medium cinéma, j'ai retrouvé dans la vision de Jonze celle que je partage avec mes amis proches, à savoir tout le contraire de ces clichés : nos expériences intimes devant nos écrans respectifs valent tout autant que la prétendue communion d'un groupe d'inconnus dans une salle de cinéma, et même bien davantage. Que la seule barrière qui persiste, ce n'est pas internet, ou son écran, c'est soi-même. Sa propre maturité, son propre cheminement à se libérer des blessures du passé. L'OS n'est qu'un compagnon de route, placé là le temps que l'on se remette des échecs qui nous entravent, de sa timidité, de son anxiété. Le temps qu'on apprenne de nos erreurs. Le temps du repli sur soi-même, et de la guérison inévitable. Avec des risques, certes ; celui de s'y complaire, ou de s'y perdre. L'éloge de la culture geek, l'acceptation sociétale de l'adulescence, de la bromance, la démocratisation des smartphones dans les lieux publics, les transports, les selfies, l'inondation Facebookienne, ne plus savoir quoi vivre mais toujours savoir comment en parler sur Twitter, Instagram, Youtube... Pourtant, pour beaucoup, le piège ne se referme jamais et permet au contraire une envolée. Ce forum en est assez symptomatique. La majorité d'entre nous, foruméens depuis x années, parfois depuis l'aube d'internet et des forums en ligne, fossoyeurs des pires FAI, ce film devrait être pour vous comme pour moi une merveille d'évidence.
C'est tellement un film magique, putain... Hyper intime, et donc encore une fois, parfaitement universel. Ça me bouleverse autant que l'extraordinaire documentaire Indie Game : the Movie sur ces concepteurs de jeux vidéo qui en chient dans leur grenier (Jonathan Blow/Braid, Phil Fish/Fez, Markus Persson/Minecraft, Edmund McMillen/Binding of Isaac) en basant tout le gameplay de leur jeu sur leurs obsessions personnelles, et toutes les thématiques sur leur vision du monde qu'ils pensent déviante ou underground... geek et pas du tout mainstream... qui engloutissent leur temps libre, leur argent et leur santé mentale... mais qui au bout du tunnel rencontrent le succès et l'écho de plusieurs générations qui n'attendaient que des jeux aussi personnels. L'intime qui devient universel, là encore. Her et Indie Game partagent des points communs étonnants, et c'est ce biais précisément qui m'a terrassé. Et je me dis que l'on vit réellement, pour qui veut s'y intéresser, y être sensible, une époque formidable. Internet, les jeux indépendants, les webdocumentaires, les applications, les nano technologies, les séries et leur art du storytelling, le digital, la 3D, l'IA en perpétuelle révolution... tout est putain de stimulant. Le but de tout ça est de nous servir, sans nous asservir.
Et le procédé de Jonze pour nous faire participer à cette fête de l'intime est DINGUE. Certes il y a cette voix de Scarlett, si enjouée, tout le monde en a parlé. Mais il y a SURTOUT le parti pris de filmer continuellement Joaquin Phoenix en GROS PLAN. Putain mais v'la les tunnels de dialogues (très bons) que le film recèle, et pourtant je ne me fais pas chier UNE SECONDE. Pourquoi ? Parce que c'est IMPOSSIBLE de se faire chier en regardant Phoenix en gros plan. Il se passe trop de choses, trop d'émotions, trop de rides à scruter, de rictus ou de grimaces à décrypter derrière sa moustache. C'est une idée toute simple mais qui fonctionne à 100%. Bien souvent, si Jonze desserrait son cadre, le film aurait pris du plomb dans l'aile (j'ai beau suradorer un film comme Shame, la mise en scène de McQueen est ostensible et parfois trop froide). Mais le voir marcher, le regarder s'émerveiller, le scruter en train de penser, d'anticiper, d'espérer, c'est juste une des plus belles leçons de cinéma de ma vie.
Bref, une merveille absolue.
6/6
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Inscription: 04 Juil 2005, 17:56 Messages: 8572 Localisation: Caché avec Charlie
Yep, joli texte. Je partage tout. Notamment le passage sur le choix du gros plan. Ca marche pour tout: l'avidité et la tristesse d'Olivia Wilde, l'intime et le fragile avec Rooney Mara, le familier et le désir sous-jacent avec Amy Adams...
Et Phoenix est juste incroyable. Ce film, pour un acteur, c'est un tel pari, un tel risque... C'est tellement intime comme approche, tu dois donner et donner...
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