Mr Chow a écrit:
Castorp a écrit:
Harry White a écrit:
Merci les gars, je suis très touché.
Le Cow-boy a écrit:
ce que je veux dire c'est que sa position de "chercheur-prof" j'ai l'impression que ça l'empêche d'avoir des avis tranchés, comme si du moment que le film existait fallait absolument trouver des trucs biens dedans tout en s'interdisant de ressentir des émotions aussi naturelles que "bon sang qu'est-ce que ça m'a ennuyé" ou "ohlalala j'ai vibré comme rarement".
L'impression de voir des critiques de robot en fait, mais bref.
Je vais essayer de répondre du mieux que je le peux (= en 1253 pages laborieuses), même si l'idée de commenter sa propre écriture est un peu zarb (et gentiment narcissique)...
Qu'il y ait des précautions oratoires dans mes critiques, j'imagine que tu n'as pas tort. J'ai beau avoir des raisons très pragmatiques et intéressées d'écrire sur un film quand je l'ai vu, c'est tout de même frustrant de ne pas avoir de retours. Parce que je n'ai pas envie de froisser les 3 ou 4 foruméens qui pourraient éventuellement répondre, je suis peut-être parfois trop sur des œufs, je ne sais pas. Sans doute.
Mais il y aussi ce que l'expérience dicte (et là on va rejoindre le débat général).
Quand j'avais 18 ans, j'étais très heureux de débarquer face à un film et de claironner que c'était de la merde. Maintenant je n'y croirais plus moi-même, j'aurais l'impression de jouer un rôle. J'ai eu le temps de me voir en vieillissant re-découvrir des cinéastes auxquels je n'avais rien compris, redéfinir mes goûts et parfois déprécier ce que j'avais adoré, ressentir des subtilités dont je n'avais même pas idée... Comment tu peux, en ayant conscience de tout ce relativisme, taper du poing sur la table avec tant d'assurance ? J'ai commencé à avancer dans ma cinéphilie (je parle du moment où j'ai réellement commencé à
aimer des films anciens, et plus seulement à les trouver
intéressants) lorsque j'ai commencé à me contraindre à une humilité (ou plutôt à une autodiscipline, car ça n'avait rien de naturel) face aux films que je n'aimais pas, ou qui m'ennuyaient : "tu n'as peut-être pas toutes les armes pour sentir ce qui y est beau". Comme un ado se dit à un moment qu'il n'a peut-être pas le palais assez "éduqué" pour juger de ce qui sort du cercle de ses chaînes de fast-food. Je pourrais tout autant rentrer dans un grand resto gastronomique 4 étoiles, goûter, et trouver que c'est pas aussi salé qu'une pizza et déclamer que putain, honnêtement, ça vaut pas une pizza. Et j'aurais juste l'air con, parce que quand le problème ne vient pas de CE resto gastronomique, mais de TOUS les gastronomiques qui ne me font ni chaud ni froid, ça veut juste dire que le problème, c'est moi.
Et bien voilà, je garde une trace de ce premier doute-là. Quand je découvre du cinéma japonais des années 30 (un Mizoguchi, encore récemment), et que je trouve ça intriguant, que ça aiguise un début de quelque chose dans ma sensibilité, que ça m'interroge, mais que je ne rentre pas tout à fait dedans, j'ai plutôt tendance à me dire
"j'ai peut-être pas tout ce qu'il faut en main pour saisir ce qui fait ce film", plutôt que
"c'est du cinéma distant de gros frigide pour vieux austères". Quand j'aurai vu 30 films japonais des années 30, que mon palais sera éduqué, que je pourrai en sentir toutes les nuances et saveurs et pas juste un mur abscons se dressant devant ma capacité de jugement, alors oui, je me sentirai peut-être autre chose qu'un faussaire si je n'aime pas, et j'aurais moins de problème à être péremptoire (j'ai moins de problèmes à l'être sur les films récents, d'ailleurs : je connais mieux le bain dont ils sont issus). Mais d'ici là, si j'écris une critique tranchante, j'aurai juste l'impression d'être un clown, en affirmant une radicalité de jugement que je ne ressens même pas. Ça n'aurait aucun sens.
Puis bon, à tout prendre, c'est le même problème avec les cinémas que je déteste...
J'admire beaucoup un mec comme Tetsuo qui a su se construire, à force de rigueur critique, une ligne théorique qu'il n'est peut-être lui-même pas capable de formuler, mais qui lui permet d'être droit dans ses bottes face à chaque film et face à ce qu'il ressent (ce qui lui permet ce genre de rejet franc). Je n'ai ni cette rigueur, ni ce tranchant-là dans l'écrit, simplement parce que je ne les ai pas dans la tête (ne serait-ce que parce que même si je m'amuse à gazouiller sur les circonvolutions formelles de ce que je vois, je suis souvent impuissant à rendre compte de chose aussi essentielles que la question du sens : qu'est-ce que ce film raconte, tout connement ?).
Prenons le naturalisme (à ma manière, désolé Léo) : je comprends pas comment on peut avoir envie de faire des films comme ça, ça me dépasse, ça donne des films tellement mornes et chiants, tellement impuissants narrativement, fatalement repliés sur une approche sociale, etc, etc, etc. Quand je vois par exemple
La Salamandre d'Alain Tanner, qu'est-ce qui se passe concrètement à la vision dans ma tête devant ce film - ce film qui a traversé 40 ans de cinéphilie, qui n'est manifestement pas "rien" ? D'abord je m'énerve, je m'ennuie, et puis petit à petit forcément j'observe. Je vois des choses, je tâte comme devant une matière étrangère, je me surprend de réflexes formels ou narratifs que je ne peux pas concevoir ou prévoir, vu que pour moi c'est alien, et que ça le restera probablement toute ma vie. Je n'aime donc pas le goût en bouche, mais je conçois que ça existe, je le reconnais comme proposition de cinéma légitime. Comme un général qui irait prendre le thé chez le général de l'armée ennemie, entre deux batailles, pour une conversation civilisée. Ça ne veut pas dire que j'aime pour autant ; que j'analyse non plus (je sais pas comment vous faites pour penser qu'on peut analyser un film pendant qu'on le regarde ; enfin bref...). Est-ce que c'est pour autant être chichiteux ? Le jour où j'aurais le sentiment qu'un film considéré me révulse, je l'écrirai, je l'espère en tout cas. Mais tant que cela n'arrive pas, je ne vais pas le mimer.
Mpfff, pavé de merde.