Citation:
Le Pire Latent
(mise au point automnale, pour passer l’hiver)
Humeur de Jessie Bi en octobre 1998
Van Hamme ... Van Hamme, et ses courbes de vente. Van Hamme, l’archétype de la bande dessinée dite « pour adulte ». (à ne pas confondre avec une bande dessinée que nous chérissons et qui est dite « adulte »)
Van Hamme peut écoeurer par son poids démesuré. Van Hamme peut énerver pour sa participation à l’involution [1] du média bande dessinée. Malgré tout, il représente encore la bande dessinée, et par là apparaît comme un moindre mal, car il y a pire, bien pire que les « vanhammeries ».
Ce pire latent est tellement présent, tellement sous nos yeux qu’on finit par ne plus le voir, entre l’oubli et l’habitude. Pourtant, si nous n’en prenons pas garde, à moyen terme, la bande dessinée pourrait, de manière radicale, subir une mort artistique et esthétique.
Distinguons deux catégories à ce pire latent :
D’abord, celle qui touche les « fan de » et les enfants (souvent ceux qui font comme les parents), que nous pouvons désigner par cette expression : les infantiles de 7 à 77 ans ! On y mettra toutes ces choses dernièrement sorties, comme le énième Scrameustache de Gos, l’énième Ric Hochet (59 volumes !), l’énième Toupet, l’énième Johan et Pirlouit (signé par le cadavre de Peyo ?), l’énième Benoît Brisefer (idem), l’énième Marsupilami (avec Franquin dans le rôle du mort/vivant), l’énième Tuniques bleues (41 volumes !), l’énième Alix, l’énième Guy Lefranc, l’énième Buck Danny (47e numéro !), l’énième Michel Vaillant (60 volumes pleins de bagnoles qui puent et qui polluent !), etc. De l’énième, de l’énième, et encore de l’énième. De la série sacralisée belgofranchouillarde où le terme de nouveauté est dépouillé de tout son sens. Mais ça se vend ! Bien, en plus ! Et c’est ce qui importe.
Cette catégorie peut apparaître gentillette et inoffensive, pourtant, c’est dans une pseudo-opposition qu’est né et qu’est venu le triomphe de la bande dessinée « pour adulte ». Celle-ci s’est développé par rapport à celle-là, plongeant dans la violence, le cul, l’héroïque fantasy, bref le « pour adulte », sans se rendre compte qu’elle ne faisait que développer un infantilisme forcené.
Ensuite, il y a bien pire avec la deuxième catégorie. Imaginez un truc qui se vend autant que XIII, qui n’est pas prépublié par Bo Doï, et fait fuir même un « fan de » b.d. (de) culte. Une monstruosité de cette sorte vous paraît impossible ? Pourtant, cela existe ! Il s’agit de bandes dessinées qui sont au neuvième art (énnéagraphie) ce que la danse des canards est à la musique. Des « bédés » pour rigoler, du consommable pour les endroits stratégiques d’une vie marchandée comme il faut. (il faut ? Mais pour qui donc ?) La vente de ces « produits » (ce terme abhorré n’a jamais été aussiad hoc) est grande, et Vents d’Ouest (Glénat) est son prophète (pro fête). D’où profusion de « produits » faciles à lire, « çaprendspaslatêteeuuue » : Tous les défauts des mecs, Tous les défauts des nanas, Le guide de la quarantaine en bande dessinée, Le guide du jeune couple, Le guide de la trentaine, Le guide à l’usage des parents, Le guide des retraités, Le guide de la drague, Le guide du bricolage, du petit coin, des conducteurs, les La honte, les On se dit tout, les Maigrir, c’est l’horreur, les collections de A à Z sur une profession ou un objet de consommation de culte, etc. Beaucoup de guides (qui se dit duce en italien et führer en allemand), sous la forme trompeuse d’un humour « libéré » (mais d’abord libéral) pour une mise au pas, comme le fait si bien la propagande publicitaire.
Des « bédés » pour déconner entre amis, tribus, professions, etc. à l’occasion de commémorations diverses, qui existaient déjà à l’état larvaire avec Les femmes en blanc (18 volumes !), Joe Bar Team (4 vol.), Les psy (6 vol.), etc. Mais depuis environ cinq ans, tout cela a pris une ampleur incroyable. A tel point qu’un responsable librairie d’une grande Fnac parisienne à pu se vanter d’avoir fait, à Noël dernier, plus d’un tiers du chiffre d’affaire de son rayon bande dessinée, uniquement avec ce secteur humour ! Actuellement, il faut savoir qu’il se vend autant de Tous les défauts des mecs de Fredman et Jim [2] que de volume de XIII (série best seller) !
Face à cela, la médiatisation de XIII ou de Largo Winch apparaît alors, paradoxalement, presque comme salutaire. En effet, l’« adulte » et le « pour adulte » jouent finalement sur le même territoire [3], même si c’est avec d’énormes différences de moyens et de buts. Les plus optimistes se diront qu’ainsi quelques bribes de médiatisation furent gagnées, qui permirent d’aboutir à des succès (relatif) comme celui de l’Association.
Avec cette « bédé » d’humour, nous ne nous trouvons plus avec des lecteurs de bande dessinée, mais avec des consommateurs de bédés ! Et là, se trouve un énorme danger, car pour eux, la bande dessinée se réduit simplement à du divertissement divertissant, car « il faut bien rigoler, hein ». Alors que feront les auteurs de bande dessinée (ennéaste) quelque peu exigeants, voulant interroger le monde avec leur média, quand toute crédibilité pour aborder d’autres thèmes leur sera retirée ? « La bande dessinée, c’est fait pour déconner ! » N’aillez pas le désir d’évoquer la mort, la poésie de vivre, l’amour, etc ... « Il ne faut pas déconner avec ces choses-là ! C’est trop grave ! » Seule la permission de déconneur polie (policé et formé) vous est autorisée.