Je n'invite que les gens de goût à mes anniversaires. Et les gens de goût m'offrent de belles BD (merci à eux). Par exemple :
BARBARELLA LES COLERES DU MANGE MINUTES de Jean-Claude Forest, édition La Marge-kesserling éditeurs (oui parce qu'en plus on m'offre des éditions originales COLLECTOR !)
Ça fait un bout de temps que je tourne autour de Forest sans vraiment me décider. L'occasion fait le larron, en plus commencer par du Barbarella, son œuvre la plus connue, c'est parfait.
Impossible de résumer l'intrigue. Cette case le fait au mieux :
On est dans un récit au surréalisme naïf, joyeux et de série B. L'action rebondi ou bifurque toutes les deux pages, on comprend pas tout, c'est assez beau et y'a clairement un style très fort, plus marqué encore que je ne le pensais. SF poétique, érotisme libertaire, c'est certainement ancré dans son époque mais finalement ça a vieilli magistralement. Forest se permet tout, va où il veut, pour un best seller c'est incroyablement libre, avec une élégance très fine. Y'a un bel humour, un peu décalé, et parfois une beauté profonde qui sidère tellement elle apparaît sans prévenir, au détour d'une case.
L'édition est très bien. Clairement les couleurs ont maltraité le trait de Forest qui souffre des aplats, mais l'ensemble flashi des pages est du plus bel effet.
et aussi :
BE A NOSE de Art Spiegelman, aux éditions Casterman.
Recueil de trois carnets de croquis, 1979, 1983 et 2007. Chaque nouveau livre de Spiegelman semble participer d'une Grande Oeuvre tellement tout se lie thématiquement. On tourne encore une fois autour de Maus, de la Shoa, du traumatisme et de la famille. Et d'une réflexion sur la bande dessinée comme objet culturel. Ici c'est assez lointain toutefois, et c'est surtout l'occasion de voir combien Spiegelman sait dessiner, c'est à dire qu'il sait créer une situation ou un mouvement ou une idée en un seul dessin, en cela ça rappelle pas mal son livre de couvertures du New Yorker.
Et puis des fois, une pépite, comme ce dessin commencé par Spiegelman et terminé par Burns :
Cela dit, c'est très cher. Bel objet, parfait pour offrir, mais c'est tout.
Et aussi :
HARD WEST de Matti Hagelberg, chez L'Association.
Calamity Kid est une BD de western italienne à succès, créée en 1935 par Romano Uccelli. Elle a été par la suite reprise par plusieurs auteurs jusqu'au début des années 90 où elle fut confiée au finlandais Mikko Komu. Celui ci fait petit à petit dévier la série vers un style de plus en plus personnel. Hard West fonctionne comme un reportage sur le sujet, recueillant la parole des fans au fil de l'évolution du Calamity Kid.
Il faut savoir que Calamity Kid n'existe pas, que Hard West est une fiction, un faux documentaire très crédible qui s'enfonce tranquillement dans l'absurde.
Hagelberg est un auteur finlandais, surtout connu pour ses planches en carte à gratter très travaillées. Ici c'est l'inverse, un trait rêche, un dessin minimaliste et répétitif de visages et de corps simplistes et anguleux. On peut avoir peur du récit concept, du dessin repoussoir, et pourtant ce livre est fantastique. Une sorte de Wimbeldon Green mais en négatif, rageur et critique, une machine anti-geek en fait, qui souligne combien le discours du fan est sans objet, déconnecté de l'œuvre, enfermé dans un désir de permanence et de nostalgie. Le gag final est un des plus beaux vus en BD depuis longtemps.
Chef d'œuvre.
Et aussi :
LE PETIT HOMME de Chester Brown, aux éditions Delcourt.
Recueil d'histoires courtes parues entre 1980 et 1995. On y voit le style et la sensibilité de Chester Brown se mettre en place d'histoire en histoire, certaines sont anecdotiques et d'autres sont franchement bien. On en resterait là si le livre ne proposait pas des commentaires de l'auteur pour chaque histoire. On se voit alors documenté sur les techniques de travail, sur les différentes éditions, sur le parcours artistique et intellectuel de Brown, jusqu'à ce qu'on comprenne qu'on est vraiment face à une autobiographie déguisée, très documentée, dans un aller-retour constant entre les histoires et la vie de l'auteur au moment où ils les fait. Et lorsque les histoires prennent en charge elles même l'aspect autobio, les commentaires deviennent savoureux. Et je parle même pas des commentaires sur les planches qui racontent le making off d'autres planches elles mêmes autobiographiques. Ahahah, on voit bien que c'est un copain de Joe Matt.
Petit livre mais vraiment plaisant.
(la 4eme de couv est elle même une bd qui présente le livre, extrait : )
Et aussi
MAAKIES THE FIRST FIVE YEARS de Tony Millionaire, chez Fantagrapics Books.
Oh le beau livre, oh la belle édition qui compile les premières années du strip Maakies. Un strip super nihiliste et cynique, parfait contre point au livre pour enfant Oncle Gabby dont je parlais quelques pages plus haut.
Un strip double en fait, un premier plus grand et souvent triste et violent (on se fait sauter la tête régulièrement, on vomit pas mal aussi), au dessin très travaillé. Puis un deuxième en dessous, plus simple dans le dessin, les cases espacées par des décors vides et des horizons, ambiance presque zen, mais pas moins violent, sauf que la cruauté est généralement morale ou psychologique. Déconseillé de lire tout ça d'une traite, c'est drôle mais c'est déprimant (ou l'inverse).
Et puis quelque chose dans le dessin, l'attention aux objets et au décors, une ambiance de gravure du 19eme siècle, qui rend tout ça très savoureux. Comme une sodomie alcoolisée et dépressive racontée par Jules Vernes.
Ouh le post est long. Pour me faire pardonner, la page sexe et psychédélisme offerte par Barbarella (on notera en plus que c'est une page sublime)