Début des années 50. Reynolds Woodcock est le couturier emblématique de la bonne société londonienne. Introverti, intransigeant, passionné, aussi méticuleux que rêveur, c'est un homme marqué à vie par le souvenir de sa mère. Mais il est aussi particulièrement obsessionnel, avide de reconnaissance et imbu de lui-même. Un profil "pas facile", qui séduit pourtant souvent ses modèles.
Il est couvé et protégé par sa soeur Cyril, qui lui est entièrement dévouée - dans une relation qui évoque un mariage morganatique - et qui assure le bon fonctionnement économique de sa maison; Cyril lisse les rapports de Reynolds avec le monde extérieur, et recueille ses confidences. Cyclothymique, Reynolds est en crise suite à un défilé important et une rupture (les deux allant visiblement souvent de pair). Il part se ressourcer dans une station balnéaire, et rencontre dans un restaurant Alma, une jolie serveuse qui semble venir d'Europe centrale. Il parvient à la séduire, elle qui est tout le contraire de Reynolds : gauche, généreuse, mais aussi secrète. D'abord méfiante, sentant néanmoins que leurs fêlures profondes se ressemblent, Alma se prête au jeu de Reynolds qui veut en faire son égérie. Mais rentrer dans la vie de Reynolds c'est aussi rentrer dans celles de sa maison de couture, à l'image de marque rigide, et du couple déjà formé depuis longtemps par le frère et le soeur... Personne pour créer un sujet sur le dernier Paul Thomas Anderson ?
Il est vrai que c'est un film moins flamboyant que
"the Master" ou
"Inherent Vice", et qui plus est, inscrit dans un environnement plus daté que les années 70 ou l'après-guerrre américain, même si on sent quelques constantes personnelles et formelles (le couple est en fait assez proche de celui d'
Inherent Vice, Vicky Krieps ressemble d'ailleurs énormément à Katherine Waterston. dans les deux cas la configuration oppose/relie un acteur reconnu à une actrice peu en vue, qui lui donne néanmoins la réplique en égale. La scène du Nouvel An ressemble à celle de la cène psychédélique dans Inherent Vice) ainsi qu'une résonnance avec l'époque. La thématique du film transforme l'affirmation féminine en stratégie d'"empowerment" que les liens amoureux compliquent. L'opposition entre le démiurge et sa muse rappelle beaucoup aussi beaucoup le dernier Aronofsky, les deux films organisent aussi la lutte sexuelle au sein d'une maison-panoptique/pandémonium.
J'ai un avis assez difficile à exprimer sur ce film, dont je ne sais pas si je l'ai aimé ou pas, ni même ne suis très sûr de ce que j'ai vu
.
Le personnage de Reynolds est une sorte de Jean Cocteau hétéro qui bouffe tout l'arrière plan d'époque, pourtant méticuleusement reconstruit, mais en le vidant de ses enjeux.
A vrai dire le film dans son ensemble n'a peut-être pas d'enjeu fort. Il commence comme une ode à l'amour fou et finit sur une allégorie beaucoup plus plan-plan du couple (mais l'amour fou étant peut-être justement un concept bourgeois par excellence, l'ambiguïté du film n'est pas un tort), nécessitant un équilibre précaire entre respect et une certaine dose de perversité (presque chabrolienne, mais aussi plus pronfondément sirkienne et fassbinderienne, qui la montrent comme constitutive du désir et du goût pour l'autre).
Mais Anderson n'a pas de regard critique sur cette perversité de l'environnement montré, ni n'en fait elle-même l'élément d'une critique possible. La perversité n'est pas l'effet d'une idéologie ou d'une "structure" cachée et refouée, mais au contraire une quête indviduelle, quasi-religieuse, un objet introuvable qui permet de "bien fonctionner" quand elle est bien cernée. Cette perversité est finalement une initiation permamente et l'opposé de la douleur, vue quant-à elle comme l'ordre nécessaire et désinteressé du monde. L'idée du film étant que tout couple a besoin de passages plus ou moins "what the fuck" pour tenir. Il y a un effet "tout ça pour ça"...
La fin passe mieux que le début. J'ai failli sortir au bout d'une heure. La mise en scène me sembait trop bien réglée, faisant une sorte d'apologie matérielle et beaucoup trop systématique de l'obsession du personnage central. Elle est aussi sacrément directrice : musiquette, volontairement anodine, de piano-bar de Jon Greenwoord qui ne s'interrompt que dans la dispute centrale. Mise au premier plan sonore des bruits du repas justifiant les sautes d'humeur de Reynolds contre la vulgarité calculée d'Alma, surlignant la situation. Il y a aussi quelques facilités dans la conduite du récit
Mais à partir du moment où Alma se "rebiffe" (et reconquiert en fait Reynolds ), le film devient plus intéressant (et la musique de Greenwood meilleure). Ce qui m'a plus touché dans le film est
.
Le film est par ailleurs, conceptuellement intéressant car tenant sur un long flashback porté à partir d'une situation complètement impossible
, identifiant l'extériorité objective d'une sorte de cure psychanalytique et de la mémoire à l'imaginaire lui-même (la conscience de soi des personnages est montrée comme le centre rayonnant du récit, mais sans avoir elle-même lieu, seules les conséquences sont réelles).
Cela dit, même s'il n'est pas sans drôlerie, cela reste un film très froid. J'avais été bien plus touché et troublé par Rachel Weisz dans "
the Deep Blue Sea" de Terence Davie il y a quelques années, moins prétentieux, mais aussi plus élégant et chaleureux, tout en plongeant le spectateur dans une histoire et un contexte fort proches, ou bien par
Effi Briest de Fassbinder (Vicky Krieps, rappelle également beaucoup Hanna Schygulla dans le Fassbinder).
3/6 (en fait, la même appréciation "chèvre-choutiste" que je donnerais à tous les films de PTA que j'ai vus)