Regarder
Mad Max Fury Road m'a donné l'impression de voir le film de quelqu'un qui, longtemps après l'apocalypse et la fin du cinéma, aurait retrouvé uniquement un bout de bobine avec la poursuite finale de
Mad Max 2 et avait pensé que c'est comme ça qu'on racontait des histoires et avait donc fait un film ENTIÈREMENT COMME ÇA.
Mais derrière l'humour de ce sentiment, il y a la vérité de George Miller, un cinéaste qui a toujours été fasciné par l'art du
storytelling comme en témoignait déjà le précédent volet des aventures de Mad Max, avec sa tribu d'enfants qui recréé son histoire et s'invente une prophétie, à grands coups de peintures rupestres qu'ils regardent à travers un cadre en 2.35 fait de branches et de brindilles.
Dans son documentaire,
40, 000 Years of Dreaming, Miller évoquait notamment la tradition orale aborigène et le monomythe de Joseph Campbell et si le troisième épisode assumait déjà cette parenté, ce nouvel opus confirme l'approche de l'auteur vis-à-vis de l'oeuvre qui l'a défini.
Mad Max Fury Road est une merveille pop art qui s'apparente à une sorte de
reboot abstrait de la saga où l'action est langage.
Techniquement, il s'agit d'une suite mais rien ne lie réellement les chapitres entre eux. Une continuité véritable n'intéresse que peu le metteur en scène parce que Max, son anti-héros, n'est toujours que le vecteur de l'histoire d'autrui. Il intervient dans leur guerre (Lord Humongus vs. la forteresse pétrolière dans
Mad Max 2), dans leur quête (les enfants perdus de
Mad Max Beyond Thunderdome). Ce n'est pas un hasard si ces deux films sont racontés par d'autres personnes que Max, à savoir les enfants qu'il a aidé. Ce sont eux qui voient en lui le héros qu'ils cherchent (d'ailleurs, son prénom n'est jamais mentionné dans le troisième film, où les enfants croient qu'il est le "Capitaine Walker" qu'ils attendent).
Il est littéralement "le héros aux mille visages" de Campbell étant donné qu'il en change carrément cette fois-ci.
À ce titre, Tom Hardy le joue tout à fait différemment de Mel Gibson, composant un personnage visiblement dérangé, plus "
mad" dans le sens littéral "fou" que "vénère".
Acteur d'une nouvelle génération pour un film qui s'adresse à la nouvelle génération, reprenant le meilleur de la trilogie pour le condenser en un tout plus homogène et surtout plus actuel que jamais.
Mad Max Fury Road c'est la mythologie du 3 infusée dans l'action du 2 matinée de la folie du 1, avec des détails
remakés dans un tout autre contexte, toujours plus
badass ou plus pertinents.
Un mec utilisait une perche pour atteindre le toit d'un camion-citerne en 1979? Ici, ils sont tout un gang, avec des perches-poulies à même leurs véhicules.
Un mec était ligoté debout sur le pare-choc avant d'une bagnole juste de façon à exhiber un prisonnier en 1981? Ici, c'est Max et le but est autrement plus néfaste.
Et quand un chauffeur monologue frénétiquement comme un drogué, c'est tantôt de l'auto-culte comme Nightrider dans le premier, tantôt un tout autre type de culte...
Une nouvelle fois, Miller fait appel à son Max pour être vecteur de l'Histoire du Monde.
La trilogie originale était marquée du sceau des années 70/80 et de la crise pétrolière. La culture des voitures est importante en Australie et, avec son paysage propice, le pays devenait alors le décor idéal à un futur dystopique où le mouvement perpétuel est nécessaire car il devient synonyme de survie, justifiant la valeur plus que jamais précieuse du pétrole.
Aujourd'hui, la situation politique est autre et le regard de Miller se porte par conséquent ailleurs.
En effet,
Mad Max Fury Road est d'une densité thématique folle. Pour un film qui n'est (presque) qu'une longue course-poursuite de de deux heures, c'est un tour de force.
L'univers du film est posé en deux coups de cuillère à pots puis le propos est déroulé tout le long, via les arcs des protagonistes.
Miller dessine une société patriarcale au capitalisme vicié où la classe supérieure boit du lait maternel comme de l'alcool tandis que l'eau est dealée au peuple comme une drogue. Où les villes ne se définissent plus que par leur fonction purement
business-minded, raffineries de pétroles où fermes où l'on cultive des balles tout en les semant comme des graines de mort.
Le message est limpide. Qui a tué le monde? Les hommes.
Dans le monde de Miller, la femme créé, l'homme détruit.
De la même manière qu'il tissait un lien entre le Gyro Captain de
Mad Max 2 et Jedediah dans
Mad Max Byond Thunderdome (tous deux joués par le même acteur), Miller assume la filiation entre l'antagoniste du tout premier film, Toe-Cutter, et le dictateur Immortan Joe, les faisant interpréter par la même personne. Une façon de dire, une fois de plus, que l'Histoire se répète encore et toujours, et les bandits de jadis sont devenus les chefs d'aujourd'hui, non moins corrompus.
Et les enfants perdus d'autrefois sont à présent autant de War-Boys qui ne suivent plus leur propre prophétie mais ce faux dieu qui a fabriqué sa propre religion à partir des oripeaux d'autres croyances et leur fait croire à une guerre sainte.
Valhallau akbar!Ces "kamikrazies" ne sont qu'une des marchandises humaines - la vrai denrée de ce nouvel ordre mondial - au même titre que les Bloodbags ou les Mères.
Après
Les Sorcières d'Eastwick, ce n'est pas étonnant de retrouver Miller sur le terrain du féminisme, incarné par ces "
Mad Moms", qu'elles soient rebelles ou résignées, consentantes ou combattantes, et de le voir promulguer le matriarcat comme solution. Et le propos n'est jamais surligné. Personne ne fait de discours. Comme pour le reste, ce sont les actes qui parlent d'eux-mêmes.
L'action définit tout. Tout passe par l'image.
Un désert et une route baptisée "Fury Road" comme représentation abstraite du monde.
Les rapports de force qui gouvernent la société illustrés par un combat en corps à corps avec une chaîne qui relie deux personnes.
La survie post-apocalyptique symbolisée par la fuite en avant qu'est la course-poursuite.
Et quelle course-poursuite...
Je n'ai presque parlé que de fond pour la majeure partie de cette critique mais la magie de
Mad Max Fury Road est d'encapsuler tout ça dans une expérience quasi-sensorielle. Miller prend le contre-pied du genre et réalise un film post-apocalyptique vibrant de couleurs où l'action est érigée en art, non seulement par l'incroyable énérgie kinétique de l'ensemble mais également dans les détails : on lance des fusées de peinture, on utilise la musique comme une arme, une tempête fait passer l'image en N&B. Du pop art, je vous dit!
Le tout avec une incroyable lisibilité. Le film comporte le double de coupes que Mad Max 2 mais la mise en scène gardant habilement le sujet toujours au centre du cadre, l'action est d'une clarté hallucinante. Et ce malgré la richesse visuelle de l'image, truffée de détails, au même titre que la conception de l'action, qui ne se repose jamais sur ses lauriers. Flingues, grenades, lances, explosifs, dérapages, carambolages, MALADES SUR DES PUTAINS DE PERCHES-POULIES, c'est un truc de FOU. Rien que la façon d'utiliser la nitro dans ce film est plus inventive que tous les
Fast & Furious.
Et à l'instar des meilleures séquences de cette franchise-là, tout est réel ou presque.
Mad Max Fury Road n'est pas un
Speed Racer ou un
Gravity qui cherche à repousser les limites du blockbuster avec tout ce que la technologie numérique peut permettre mais ça reste le summum d'un art presque révolu aujourd'hui. Moi qui suis un fervent défenseur des courses-poursuites qui utilisent beaucoup les CGI, je peux dire que Miller est venu rappeler à tout le monde comment on faisait.
Y a un moment, après la première poursuite, où ça s'arrête et l'écran devient noir et j'ai enfin pu reprendre mon souffle et ce fut tel que ce fut audible et que Puck et Cosmo assis à côté de moi en ont rit nerveusement.
Mad Max Fury Road c'est LITTÉRALEMENT à couper le souffle.