Trop semblable à l'éclair - Ada Palmer
On ne peut pas balayer d'un revers de main un livre aussi original, dense et construit. Les éclaireurs français ne mentaient pas: dans les grandes largeurs,
Trop semblable à l'éclair se hisse au-dessus du tout venant.
S'il ne regorge pas d'action, on ne peut pas dire que ce tome 1 est ennuyeux. L'univers créé est très intéressant, et est raconté de manière fluide, comme en passant, sans les accrocs parfois aperçus dans certains bouquins de SF ambitieux. L'imagination de l'écrivaine est foisonnante tout en liant chaque particularité à une logique organique propre à cette géopolitique.
Cette géopolitique quelle est-elle? Sous l'impulsion de la voiture individuelle volante et après des guerres de religion traumatisantes, les Etats-nations ont disparu au profit de sept "Ruches", communautés de valeurs et de projets puisqu'un citoyen peut choisir la sienne librement.
Bien qu'elle dise avoir voulu créer un monde complètement différent du nôtre, Ada Palmer semble ainsi pousser la logique de la mondialisation libérale jusqu'au bout. Le temps s'est grandement accéléré. Le progrès technologique est vénéré. Et une poignée de dirigeants paraissant tout-puissants, qui se réunissent régulièrement dans "l'intimité" de salons sadiens, ont entre leurs mains l'équilibre géopolitique. C'est là le plus intéressant, le coeur de la problématique, au vu de la fin du livre qui ouvre sur l'immense crise à venir.
Mais j'ai un problème avec le livre, majeur, c'est qu'il se fait complaisant et parfois niais dans la description de cette haute sphère réduite à quelques individus, au point que j'ai pensé pendant une bonne partie du livre qu'Ada Palmer nous vendait cette bande de dégénérés puérils comme les faiseurs d'une utopie. L'écriture se fait souvent complice de ce gotha, sans aucun recul, on se croit presque dans de la littérature jeunesse mainstream qui essaie de nous rendre les personnages les plus attachants possibles avec des rapports humains somme toute très superficiels. Plusieurs scènes de réunions entre eux sont à ce titre grotesques, étirées par des conversations lourdingues ou les blagues qu'ils se font, d'une gaminerie gênante.
C'est peut-être dû au narrateur, un ancien criminel fait esclave qui doit tout à cette phalange de seigneurs, mais malheureusement, c'est au lecteur de se coltiner ses commentaires parfois dégoulinants, ou poseurs. A ce titre l'adresse régulière au lecteur - "Dites, lecteur, voyiez-vous venir ceci cela?" - est particulièrement irritante, donnant l'impression que l'écrivaine est un peu trop fière de ses effets.
C'est donc tout cela que je trouve pas abouti, parce qu'en refermant la dernière page, on a l'impression qu'Ada Palmer a voulu créer une galerie de personnages hauts en couleur et attachants, au détriment de son propos, qui semble in fine être une critique féroce de cet entre-soi.
Et ce qui entretient d'autant plus cette ambiguité, c'est que le même style prévaut pour la description d'un enfant aux pouvoirs magiques, élu par le destin pour changer le monde. Déjà, je n'aime pas du tout ce procédé, les récits d'élus il y en partout et ça aplanit souvent la complexité. Mais surtout, Ada Palmer et ses personnages, semblent complètement amoureux de ce gamin à la personnalité somme toute banale et nous inflige de nombreuses scènes de relation parents-enfants sans intérêt et mièvres. Du coup, on juxtapose ces scènes aux scènes censées brocarder une petite oligarchie et on ne peut que constater que la complaisance vis-à-vis des personnages est la même. Donc qu'est-ce que ça signifie pour la petite oligarchie, qu'elle est aussi attachante et cool que le gamin?
Toute noirceur potentielle - et le scénario n'en manque pas - est donc anesthésiée. Autant de raisons qui font que je ne sais pas encore si j'achèterai le tome 2 en mars. J'ai plusieurs fois failli arrêter la lecture de ce tome, ce qui ne m'arrive quasi jamais, mais la richesse et l'extrême originalité de l'univers, dont je ne veux pas contester l'intérêt, m'ont toujours retenu.