Et là voilà, c'est chaud, c'est brûlant, ça sort juste du four :
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Cinéaste renié par ses producteurs, Carl Denham est entré en possession d’une ancienne carte donnant accès à une île qui n’a jamais été explorée. Il cherche à tourner un film dans ce décor vierge de toute civilisation moderne. Mais il lui reste à trouver son actrice principale.
SCREAM QUEEN AND KING KONG
Contrairement à James Cameron, Peter Jackson n’a pas perdu son temps pour remonter en selle après les triomphes hors du commun de ses trois Seigneurs des Anneaux. Foin de dépression post-partum: le réalisateur s’est tout simplement offert le projet sur lequel il avait déjà commencé à travailler, avant que celui-ci ne soit annulé par le studio et remplacé par la trilogie de Tolkien. Fort de l’expérience acquise dans les effets spéciaux et la gestion de gros projets, Jackson pouvait sans trembler s’attaquer à ce mythe du septième art et livrer sa copie revue et corrigée au goût du jour numérique. En jetant le premier script à la poubelle et en reformant le trio gagnant de l’Anneau, le Néo-zélandais a opté pour une toute autre approche, celle du réalisme et du premier degré qui avaient marqué ses films précédents. Exit donc l’introduction à la Indiana Jones qui mettait en scène Jack Driscoll en pilote de biplan lors de la Première Guerre mondiale. Ici, le héros masculin du film original devient un dramaturge, scribouillard athlétique mais sans inclinaison pour l’aventure, dont l’importance devient presque secondaire. L’histoire se recentre sur ce qui fait vibrer Jackson: la relation entre la Belle Ann Darrow et la Bête, sublimée par la magie des technologies actuelles.
LISTEN TO THE BEAT, THE BEAT OF THE KING KONG
En reprenant la structure et l'époque d’origine (1933), Jackson a réinventé à la sauce 21ième siècle les scènes et les personnages, approfondi leurs relations et leur psychologie, ajouté de nouvelles têtes. En cela, les premières bobines sont des merveilles d’exposition. Elles prennent soin de définir les enjeux dramatiques afin de rendre chaque rôle attachant. Les moments passés sur le mythique Venture, le navire qui emmène l’équipe de tournage vers l’île de Kong, captivent alors que l’aventure n’a pas encore commencé. Peter Jackson prend son temps pour installer une ambiance et restaurer une certaine insouciance – voir les premières images, pittoresques et crues, qui mettent en parallèle la société du spectacle et la crise sociale, post-Dépression, de l’Amérique de l’entre-deux-guerres. Lorsque l’intrigue décolle enfin, le spectateur n’a d’autre choix que de trembler pour ces personnages, autrefois baroudeurs et sûrs d’eux, aujourd'hui les proies de Skull Island, menacées par les pièges et les mystères de son bestiaire vorace. Au milieu de la jungle, un Kong plus vrai que nature, force brute et cœur animal craquant pour la lumineuse Ann Darrow. Dès son deuxième tiers, l’histoire s’emballe et reprend une tournure familière, voisine des merveilles épiques d’antan: Indiana Jones et son cocktail audacieux d’humour, de fantastique et d’extravagances.
GUEULE DE KONG
Quant au pôle central de l’œuvre, Peter Jackson savait qu’il devait créer un King Kong crédible et unique, à la fois éloigné de l’ancienne marionnette animée en stop-motion et du déguisement ridicule et totalement dépassé du remake de 76. L'expérience Gollum du Seigneur des Anneaux lui a ouvert la voie. L’animation de Kong se fera grâce à la capture des mouvements d'Andy Serkis – qui apparaît également sous ses propres traits dans un rôle secondaire clé – et sera recréée en images de synthèse par les doigts de fée des artistes de WETA. L'acteur, déjà remarqué pour sa composition du porteur de l'Anneau, a su trouver une singulière inspiration en allant étudier les gorilles en Afrique. De son côté, Jackson fait de Kong un véritable héros, brutal et touchant, alors que la version de Cooper et Schoedsack le réduisait à de la chair à canon. Sa parfaite modélisation – quasi exclusivement en 3D – lui confère une présence et un charisme à l'écran jamais atteints par un acteur en images de synthèse. Sa nouvelle stature acquise, le gorille géant n'est plus seulement synonyme de menace, il devient aussi un être sensible, un symbole fruste mais aimant. Prince velu bravant les dangers pour sa belle au travers notamment d’une scène d’anthologie: un combat contre trois tyrannosaures féroces qui semblent échappés de Jurassic Park.
LE GOUFFRE VERS LA MORT
King Kong n’est pourtant pas exempt de légers défauts. La musique, en premier lieu, relève de la plate illustration, d'un simple additif au rythme effréné imposé par Jackson. Le remplacement tardif de Howard Shore – encore visible dans un caméo amusant de chef d'orchestre dirigeant la partition du film original – par James Newton Howard n'est certainement pas étranger à la relative mollesse du score. Ses accents faisant parfois penser aux accords utilisés par John Williams pour Indiana Jones. Seule la célèbre scène des araignées, coupée par Cooper après une projection-test, gagne en épaisseur grâce au subtil décalage offert par la musique. Certains effets spéciaux souffrent d'un manque indéniable de finition, à l'image de ces incrustations hasardeuses qui parsèment ça et là le film d'un léger goût d'inachevé. De même, Jackson délaisse certains personnages en chemin. Les indigènes et les membres de l'équipage du Venture passent tour à tour à la trappe, à mesure que l’histoire progresse et se recentre sur Kong. Leur disparition est d'autant plus inexplicable qu’il ne paraissait pas inutile de les inclure à l’arrière-plan du récit. Enfin, les fans les plus fidèles du réalisateur regretteront de le voir diluer sa folie et son goût pour les intestins éparpillés dans la soupe hollywoodienne. Surtout lorsque cet ancien apôtre du gore préfère garder hors champ un crâne éclaté plutôt que de montrer frontalement la matière grise répandue sur un rocher, à l'instar de l'ancêtre Bad Taste.
YOU CAN’T SAY NO TO THE BEAUTY AND THE BEAST
On ne peut s'empêcher de penser que la première annulation de King Kong en 1996 par Universal était un signe du destin. Peter Jackson et ses collaborateurs ont su exploiter les bénéfices du Seigneur des Anneaux pour produire une version plus surprenante que jamais d'une légende du cinéma. En devançant les attentes d'une bonne coudée, le cinéaste acharné livre une vision inouïe de l'amour impossible, de l'émotion trahie et de l'attirance primitive et naturelle de l'Homme pour les contrées inconnues et mystérieuses. Désireux de renouer avec une fausse insouciance liée à la nostalgie d'une époque où tout paraissait plus simple, son King Kong est animé d'une âme vivace qui restera. Jackson n’oublie pas pour autant de tourner en dérision l’esprit colonisateur du monde occidental. L'histoire de Kong, puissamment liée à ses propres ambitions, trouve en Carl Denham un écho parfait, comme un evil alter ego du réalisateur. L'homme voué à son art, obstiné à faire son film malgré le coût et les souffrances. Seulement, là où les sacrifices – parfois humains au sens propre – mènent Denham à sa perte, Jackson garde la tête haute et son honneur pour lui. C'est donc bien campé sur deux pattes solides, griffues et poilues que le Roi Kong, toutes incisives dehors fonce comme un seul gorille vers un succès mérité. Et que des armées de fans pétrifiés d'admiration viendront faire la fête à Jackson, couronné nouveau roi du cinéma de divertissement. Hollywood en crise d'inspiration, paradoxalement sauvé par un remake de l’un de ses classiques. Il y a une vie après les elfes et les orcs.