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MessagePosté: 23 Nov 2015, 23:02 
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Étonnant ce film qui multiplie et répète les gestes du quotidien d'une femme pendant 3h10 et arrive tout de même à t'hypnotiser si bien que tout passe comme lettre à la poste. Chose que Le Cheval de Turin, malgré son esthétisme de ouf, n'arrivait même pas à accomplir sur 2 heures, essayant péniblement de te faire vivre l'expérience du quotidien en usant froidement de répétitions tel que les utiliserait un concepteur d'installation vidéo au musée du coin. C'est là qu'on se rend compte de l'extrême talent de Chantal Akerman. La réalisation de Jeanne Dielman est plus simple, facile, à la portée de n'importe quel cinéaste maison, mais c'est aussi un leurre. Akerman possède une chose peu commune, l'acuité du regard. C'est ce qui fait toute la différence. Elle possède le flair des petits détails signifiants. Et ces petits détails répétés d'une scène à l'autre, attendus, non-répétés, occultés ou marqués, créent à la fois le réconfort, l'appréhension, et le malaise du quotidien. Cela contribue à une réelle progression chez le personnage principal (magnifiquement joué par Delphine Seyrig). Et c'est pourquoi les manières de Sofia Coppola, empruntés à Akerman, paraissent si vides (car la forme est copiée comme une gimmick, sans y retrouver de sens). Akerman ne se regarde jamais filmer, elle accompagne le personnage. Et c'est ce point de vue subtil de femme sur une femme qui rend ce film aussi fascinant. Expérience privilégié et rare (pour un mec surtout) de suivre une femme seule dans son quotidien pendant 3 jours, vivant avec elle la satisfaction des tâches ménagères bien accomplies, mais aussi l'angoisse et la solitude, le vide. Je ne crois pas que ça s'est déjà vu au cinéma d'ailleurs. En tout cas, admiration total de ma part pour ces femmes ménagères de l'époque, mais aussi malaise gluant face à ses hommes absents qui ne sont là que par dépendance.

Dommage cependant pour cette conclusion féministe un peu gamine. Elle fut probablement nécessaire à l'époque pour faciliter la transmission du message d'Akerman, mais aujourd'hui, cette fin apparaît un peu vaine.

Tout de même. On ne verra pas un film d'observation de ce type aussi pertinent aujourd'hui. C'est un peu le film contemplatif ultime sur lequel toutes les comparaisons sont faites j'ai l'impression.

5/6

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MessagePosté: 25 Nov 2015, 16:17 
Je ne me souviens plus de la fin...



elle tue le client? Je me souviens du rayon vert inexpliqué, et que je comprenais pas l'histoire avec la boîte aux lettres qu'elle semble remonter en permanence


Ce que tu dis (le film accompgane une femme à la fois dans la vie et dans le vide) s'applique finalement aussi bien à "la Folie Almeyer"...


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MessagePosté: 25 Nov 2015, 19:55 
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Gontrand a écrit:
elle tue le client? Je me souviens du rayon vert inexpliqué, et que je comprenais pas l'histoire avec la boîte aux lettres qu'elle semble remonter en permanence


C'est exact. Elle tue le client avec sa paire de ciseaux. Ensuite, un plan d'elle le soir, assise à la table, le rayon vert dans le visage, la main ensanglantée. On se demande où est son gamin d'ailleurs.


Gontrand a écrit:
Ce que tu dis (le film accompgane une femme à la fois dans la vie et dans le vide) s'applique finalement aussi bien à "la Folie Almeyer"...


Écoute, ça m'a vraiment donné envie de découvrir l'intégrale de sa filmo. Je note La Folie Almeyer en haut de ma liste alors. :)

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MessagePosté: 26 Nov 2015, 15:12 
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Erik Vonk a écrit:
Écoute, ça m'a vraiment donné envie de découvrir l'intégrale de sa filmo. Je note La Folie Almeyer en haut de ma liste alors. :)

Découvre en priorité ses autres films des années 70, dont "Les Rendez-vous d'Anna".


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MessagePosté: 26 Nov 2015, 15:26 
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Oui évite à tout prix La folie Almayer, c'est une merde.

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MessagePosté: 26 Nov 2015, 15:30 
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Erik Vonk a écrit:
Dommage cependant pour cette conclusion féministe un peu gamine. Elle fut probablement nécessaire à l'époque pour faciliter la transmission du message d'Akerman, mais aujourd'hui, cette fin apparaît un peu vaine.

Je pense qu'on peut l'interpréter de plusieurs manières différentes, mais en effet le reste du film est tellement puissant et semble se suffire à lui-même que cette fin apparait "vaine", alors qu'elle est au fond assez logique.
Comme le dit Todd Haynes, tout le film fonctionne comme un gigantesque suspense.


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MessagePosté: 26 Nov 2015, 16:47 
Je n'ai pas trouvé que la Folie Almeyer était "une merde". Je ne m'attendais à rien, je n'ai pas été déçu du manque ou du trop-plein de moiteur, n'ai pas envie d'hurler à l'arnaque, et ai aimé de retrouver des situations de "Je tu il elle" (l'errance silencieuse de la jeune fille) déplacées et décalées dans une adaptation romanesque "classique". Il y avait à la fois une fidélité à la lettre de Conrad et un entêtement singulier àr aconter une histoire personnelle, difficile à cerner, une obsession qui commence à être fatiguée d'elle-même, mais est encore antérieure au langage.


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MessagePosté: 26 Nov 2015, 17:16 
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J'ai écrit mon avis ici, pas envie de me répéter : folie-almayer-chantal-akerman-2011-t15161.html

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MessagePosté: 28 Nov 2015, 00:41 
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Prout Man a écrit:
Comme le dit Todd Haynes, tout le film fonctionne comme un gigantesque suspense.


On ne peut dire mieux. Suspense. C'est vraiment le feeling que j'ai eu tout du long. J'en avais des palpitations (enfin... presque). Et c'est comme ça que tu peux tenir sur 3h, alors que tous les facteurs te vouait à une bonne sieste de salle de cinéma. Et c'est ce qui élève ce film au-dessus du Cheval de Turin tout chiant.

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MessagePosté: 03 Juin 2020, 19:36 
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Magnifique comme le film déraille, pour un rien, un grain de sable, ici quelques minutes de retard, des pommes de terre trop cuites, qu'il faut racheter, et d'un coup c'est toute la machinerie qui s'emballe, provoquant un véritable suspense dans la vie ultra contrôlée de cette femme qui ne peut supporter que quelque chose - que ce soit les répétitions de son quotidien, ou son corps, sa jouissance - lui échappe. En cela je trouve la fin magnifique.
6/6

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MessagePosté: 03 Juin 2020, 20:31 
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ça m'agace, je n'ai vu que deux films d'Akerman, un divan à NY et La Captive et j'ai trouvé ça nul.


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MessagePosté: 03 Juin 2020, 21:26 
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D'où mon incompréhension totale devant ce déluge critique à son décès... Je n'en avais vu aucun, mais pour moi c'était la réalisatrice d'un Divan à NY et Demain on déménage. J'en ai téléchargé quelques uns (News from Home, Un divan à NY, La Folie Almayer, Golden Eighties...) mais je crains de ne pas avoir ses meilleurs.

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MessagePosté: 03 Juin 2020, 21:57 
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Cosmo a écrit:
D'où mon incompréhension totale devant ce déluge critique à son décès... Je n'en avais vu aucun, mais pour moi c'était la réalisatrice d'un Divan à NY et Demain on déménage.
Alors que c'était juste la réalisatrice.

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MessagePosté: 03 Juin 2020, 22:00 
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Je ne connais pas si bien son oeuvre, mais j'aime Je, tu, il elle, même si c'est lié au contexte des années 70, et au féminisme de l'oeuvre. Je trouve qu'il s'agît d'une forme d'équivalent féminin de la noirceur (partiellement surmonté par l'oeuvre elle-même) que l'on trouve chez Pérec.
c'est un beau film de rupture aussi

Vu Toute une Nuit, mais pas trop aimé, le concept est attachant (et Bruxelles pas si mal cernée) mais l'intrigue trop ténue. Cela tient à l'époque (c'est le même genre de film-concept, ludique et minimaliste, mais sociologiquement très signifiant que le Bal de Scola (sauf qu'on franchit des barrière sociales par l'espace et non dans le temps avec Akerman)

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
- Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.


Jean-Paul Sartre


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MessagePosté: 21 Avr 2023, 21:33 
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Fun fact, j'évoquais hier soir lors de la célébration post séance de signatures de Cosmo que j'allais le voir cet après-midi au Reflet Médicis. Ce qui a fait sursauté Déjà-vu, prêt à faire l'école buissonnière pour m'accompagner. Je me suis donc présenté comme prévu à 15:30 devant le cinéma, gros cafouillage à l'entrée, deux queues parallèles (une pour ceux qui attendent de rentrer avec leur place, la deuxième pour acheter ses billets), des vieux qui paniquent et ne savent pas où aller, et le sieur Déjà-vu qui se pointe comme une fleur 2 min avant le film les yeux hagards. Devant la cohue il me lâche subrepticement qu'à tous les coups il va se retrouver à côté d'un vieux qui aura oublié d'enlever les boules de naphtalines de son costume (il semble qu'effectivement tous les Ephad de la région parisienne s'était donné le mot aujourd'hui), voir pis que son futur potentiel voisin s'endormirait nécessairement, relâchant ses sphincters pour dégazer régulièrement. Certains n'aiment pas les bébés qui hurlent, d'autres les vieux qui ronflent. Il est donc parti chez le dealer voisin pour revoir Révélations pour la 15ème fois.

Je ne connaissais presque rien du film (pas lu le scénario de celui-là), je savais juste que Delphine Seyrig épluchait des patates, s'adonnait aux séances tarifées du milieu de l'après-midi et que ça finissait mal pour l'un des clients. Je craignais un peu le film surcoté, l'étendard féministe que les méchants wokistes auraient porté en tête du dernier classement S&S pour faire la nique aux sempiternels Vertigo et autre Citizen Kane. J'ai donc été positivement surpris par le début du film (je n'avais vu que 2 Akerman jusqu'à maintenant, deux docus assez chiants) avec son concept hyper rigoureux, 4 pièces, deux angles de prises de vue, plan américain uniquement, après Désordres cette semaine c'est la fête du cinéma au formalisme jusqu'au-boutiste. Mais je nierais si je n'ai pas eu une petite baisse de tension à la fin de la première journée/début de la deuxième. Le système se fait étouffant, redondant, j'imagine QGJ qui pioncerait déjà depuis 30 bonnes minutes...

Et survient le fameux grain de sable (chose impensable, inconnue, interdite ? Un client l'a faite jouir). A partir de là tout se dérègle et le film devient totalement passionnant. On comprend illico que quelque chose d'anormal s'est passé, Seyrig sort de la chambre la tête légèrement ébouriffée, la caméra la saisi sous de nouveaux angles (mais toujours selon le même procédé - depuis le balcon de la cuisine, depuis le fond du couloir qui mène à la chambre), les pommes de terre sont trop cuites et elle ne sait que faire avec. C'est fou comme dans un système aussi cadenassé, ces quelques dérèglements suffisent à insuffler un souffle nouveau de vitalité, Seyrig qui semblait jusqu'alors errer comme un automate devient un véritable être incarné, sujette à des émotions, entre désespoir (la brosse à reluire qui tombe par terre, putain ce simple geste a failli me faire écraser une larme) et joie profonde (le niveau de tension sexuelle lorsqu'elle prépare son tartare de bœuf c'est à la limite de l'indécence :shock: ). Le film n'est pas non plus sans saillie comique, comme ce moment où son fils (il est censé avoir quel âge ? Il récite des poésies comme un gamin de 12 ans mais l'acteur a 25 ans :lol: ) lui parle de son copain qui s'intéresse aux filles, la bite c'est comme une épée qu'il faut enfoncer bien profond mais une épée ça fait mal hum...

Sinon pour ce qui est de sa fin, elle est inévitable (elle n'a en fait que deux choix possibles, soit le retour à l'ordre normal de son quotidien morne, soit se supprimer elle-même). Dans un film que je trouve par ailleurs matinée d'une bonne couche de bressonisme, c'est en somme comparable à Un condamné à mort s'est échappée (sauf que là elle s'est échappée de cette situation de manière à retourner dans sa cellule). Et pour en revenir au classement S&S, si tant est que l'on puisse déterminer quel est le meilleur film du monde, celui-là me semble être un aussi bon choix que les 2 précédents. Respect.

Au final je suis sorti groggy de la séance, je ne me souviens pas de la dernière fois où ça m'est arrivé. Peut-être Norte de Diaz...

Gros 6/6.


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