Forum de FilmDeCulte

Une jeune femme seule dans une chambre déplace ses meubles, écrit des lettres et mange du sucre en poudre. Elle quitte sa chambre et rencontre un routier avec lequel elle erre un moment. Plus tard, elle rejoint une jeune femme


Première fiction d’Akerman réalisée à 24 ans avec un budget de 7 000 € et bien ça change radicalement de la daube qu’est Hôtel Monterey. Dans sa filmographie, le film précède Jeanne Dielman et c’est intéressant de voir comment on y sent déjà les prémices de ce chef d’oeuvre, comment Akerman va creuser dans JD certaines thématiques et que les deux films partagent finalement pas mal de points en commun. Même si il y a une approche différente : il se passe deux fois plus de choses en 1H20 ici que dans 3 heures dans JD. Le film est divisé en 3 parties. La première assez radicale fait craindre dans ses premières minutes une branlette intellectuelle à la Hotel Monterey avec cette jeune adulte qui reste empêtrée dans sa solitude dans un minuscule appart et va passer la moitié du temps à poil. Mais par rapport à son précédent film, c’est vraiment incarné, on se sent scotché à l’écran, inexplicablement le charme opère et on est envoûté par le théâtre existentiel qui se déroule sous nos yeux. Je connais mal Akerman (vu 3) mais dans celui-ci il y a une mise en scène très léchée et travaillée. Certains pourraient lui faire un reproche d’esthétisme mais c’est injuste tellement ça sert le propos du film jusqu’à cette dernière scène d’amour lesbien qui est fabuleuse.

Je commence tout de suite par cette fin qui m’a marqué. C’est 15 minutes d’ultraréalisme qui fascinent, il y a une magie qui opère et, osons les mots, c’est pour ma part la plus belle scène d’amour lesbien vu au cinéma. Pour cette raison, le film fut interdit au moins de 18 ans à sa sortie. Dans cette scène, on comprend vite que le reproche fait par certains à Akerman d’être une cinéaste "intellectuelle" est injuste, tellement son cinéma vient des tripes. D’ailleurs le sacrifice de la réalisatrice qui tient le rôle principal à l’écran est exemplaire. Elle se donne à fond, y mets du sien dans un rôle pas facile et aimable, ça participe au fort côté personnel de l’oeuvre, cette implication tête baissée qui donne une belle force au film. Comme précisé, le film est divisé en 3 actes. Le second avec Niels Arestrup qui se fait branler dans son camion de routier est lui aussi assez fort. D’ailleurs c’est chaud de reconnaitre Arestrup jeune. Mais à l’image de cette acte, le film parle de la solitude, de l’amour (pas forcément cul) qui règne entre humains paumés et de la vie. C’est de la manière que le film illustre ses thèmes qu’on pense à un jalon fondateur de Jeanne Dielman.

Bref, j’étais fâché avec Akerman après Hôtel Monterey, là je suis plutôt emballé. Malgré les défauts du film qu’on peut considérer comme une oeuvre de jeunesse, moins aboutie et contrôlée que Jeanne Dielman, le film est toutefois assez marquant et mérite d’être vu rien que pour sa scène lesbienne.

4,5/6

Tu te fâcheras à nouveau avec ses films suivants, t’inquiète !
Enfin je dis ça mais Toute une nuit et - paraît-il, pas encore vu - Les rendez-vous d’anna sont bien. Mais Golden eighties, Demain on déménage, c’est pas possible. Du coup je redoute le pire pour La captive ou La folie Almayer, que j’ai téléchargés.

Sinon, je me souviens même pas de la scène lesbienne... Mais j’avais bien aimé ce film.

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Que lire cet hiver ?
Bien sûr, nous eûmes des orages, 168 pages, 14.00€ (Commander)
La Vie brève de Jan Palach, 192 pages, 16.50€ (Commander)

Toute une Nuit j'ai eu du mal, même si on sent qu'elle veut toucher un public plus large avec une bonne idée. C'est un peu un film-concept collectif qui rappelle le Bal d'Ettore Scola, il faut dire que j'ai du mal avec ce genre de cinéma où quelque-chose de très sociologique est traité comme un conte (peut-être moins maintenant, faudrait que je lui donne une seconde chance).

(Sinon la scène en question occupe un bon quart du film). Je trouve na sequence qui la précède encore plus troublante (c'est le seul face à face du film - avec le camionneur elle est à coté - et une fois ce rapport trouvé il n'y a plus rien à raconter, plus de fiction).
Claire Wauthion a une filmo intéressante (mais n'a tourné qu'une fois avec Chantal Akerman, on peut imaginer qu'après le film c'était mort entre elles).
Je ne savait pas que Ferjia Deliba (le premier rôle de la Bande des Quatre de Rivette) avait fait un film avec elle récemment, ni qu'elle réalisait.

L’impression d’une cinéaste au fil du rasoir qui tente et quelquefois ça çasse


Oui j'aime beaucoup. Ce que raconte les corps des deux, l'impression qu'ils ont trouvé un équilibre qui vit et s'arrête dans la cabine du camionneur. Le film est super bien structuré : les 3 tiers troublent, 1 minute de plus ça pourrait être soulant, mais Akerman arrête juste au bon moment.

Bon courage, deux calvaires.

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CroqAnimement votre

Je voulais mater La captive comme prochain Akerman. Je sais pas pourquoi l'affiche et quelques captures m'ont intrigué ado.

Non mais La captive il y a des choses bien, un certain charme mais c'est très chiant. La folie Altmayer par contre c'est vraiment mauvais.

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CroqAnimement votre

J'avais bien bien aimé les deux. J'avais vu la Folie Almayer a l'époque où je lisais un peu Joseph Conrad. Je ne me connais pas le roman mais l'esprit de Conrad me semblait respecté.

C'était justement tout l'inverse pour moi (mais je peux me tromper).

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CroqAnimement votre

Passionnant film dont j'ai absolument adoré la première partie radicale, dans un dénuement absolu. C'est fascinant parce que c'est le parfait négatif de News from Home. Ici le dispositif est tout entier vers l'intérieur. Intérieur d'un appartement, réduit à un cube vide avec un matelas. A la voix de Chantal Akerman (que l'on entend aussi) est substitué son corps, très rapidement nu, contrastant avec la multitude new-yorkaise (nous ne verrons qu'elle). Et encore plus troublant il y est aussi question de lettres, des lettres qu'elle écrit, qu'elle recommence mais qu'elle n'envoie pas. Et elle se filme comme un animal en cage, rampant sur le sol, mangeant pendant de longues minutes des cuillérées de sucre en poudre qu'elle semble lapper plutôt que mettre dans sa bouche. Encore une fois je suis sidéré devant cette capacité à montrer une forme de vertige existentiel terrorisant où le temps (autre grand sujet du film évidemment) devient une donnée purement abstraite dans laquelle il ne peut rien se passer, se résumant à des actes minuscules ("le deuxième jour j'ai poussé les meubles, le troisième jour j'ai déplacé le matelas"). Et un plan en apparence totalement anodin devient l'expression d'une détresse inatteignable comme quand elle renverse le sucre en poudre et qu'elle tente de le remettre dans le sachet sans lever sa tête de son matelas. Image terrible de la dépression, de l'espèce d'abandon de soi total.

Puis vient cette seconde partie, très étonnante où elle sort de cette boîte pour retourner vers la vie. Enfin c'est vite dit. Elle fait du stop au bord d'une autoroute au milieu de nulle part et est ramassée par un routier en apparence sympa (je n'avais pas du tout reconnu Niels Arestup) avec lequel elle passe un moment, ils mangent ensemble (en silence), prennent un verre (en silence) puis après lui avoir demandé de la masturber, il lui raconte sa vie, obsédé par le sexe (et il finit par avouer sans que ça semble déranger la réalisatrice elle-même qu'il fantasme sur sa fille de 11 ans). Partie un peu longue, on perd un peu le sens du film. Elle est là, elle l'observe longuement (se raser notamment). Elle exprime une forme de désir pour cet homme rustre. Puis elle part. Toute cette séquence la rend incroyablement humaine. Comme si en regardant un homme vivre, travailler elle pouvait soudain revenir dans l'arène de l'humain et sortir de cette torpeur qui la tient éloignée de tout. Elle y est d'ailleurs particulièrement belle je trouve (et il faut voir comment elle boit sa bière en lappant le verre pour tomber définitivement amoureux d'elle).

Enfin la dernière partie, on raccroche narrativement les wagons avec le début (les lettres étaient donc pour cette jeune femme, son amante qui l'a quittée). Après une scène d'apprivoisement là encore où Chantal joue à être un animal (faim, soif etc...), le film bascule dans cette longue scène érotique lesbienne, où là enfin, la réalisatrice semble avoir retrouvé (pour un temps au moins) une étincelle de vie dans cette étreinte à la fois pleine de douceur et brutale. Une magnifique scène de sexe, peut-être la plus belle scène de sexe lesbien qu'il m'ait été donné de voir. Et c'est très long, ça en devient bouleversant. Jusqu'au matin où semble revenir le vague à l'âme, le vertige du vide et elle n'a d'autre choix que partir.

Encore un immense film de la cinéaste qui décidémment ne touchait pas terre à l'époque. Réalisé un an avant Jeanne Dielman tout est déjà là, la répétition, le temps assassin et en même temps révélateur, le vertige du vide, le quotidien intérieur etc... Grand film sur le temps également qui sera donc un thème littéralement central de son oeuvre que ce soit le temps dans les scènes ou temps en tant que concept.

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