Forum de FilmDeCulte

Le documentaire annuel de Werner Herzog, cette fois-ci sur un triple homicide perpétré par deux adolescents qui voulaient voler une voiture il y a une dizaine d'années. L'un est condamné à la peine capitale, l'autre passera sa vie en prison. Ce qui est étonnant dans ce film d'interviews, c'est la catharsis psy des questions d'Herzog qui posent des questions à côté, reprenant sur des détails, ou parfois affirmant sa propre position comme lors de sa première entrevue avec le condamné, en lui disant qu'il ne l'aime pas mais qu'il le respecte en tant qu'être humain car il est contre la peine de mort.
Retraçant le crime, filmant des connaissances, les familles de victimes, un pasteur qui pleure quand on lui parle d'écureuils, un chargé des exécutions ayant raccroché par choix au risque de perdre sa retraite, le père d'un des deux meurtiers lui aussi en taule, sans sentimentalisme ni lyrisme quant bien même le chagrin et les vies brisées , sans procès à charge alors que celui qui sera tué niera jusqu'au bout. Même si le dispositif frontal ne peut pas exclure totalement cette sensation de voyeurisme, son approche singulière et tournée vers le présent en fait un nouveau morceau de choix.
4/6

J'ai toujours eu l'impression que le côté "limite" et intense des documentaires d'Herzog venait des sujets extrêmes choisis. Devant ce film, j'en viens en fait à me demander si ce parfum de risque ne provient pas plutôt du cousinage de la forme avec certains docs TV sensationnels - avec qui il partage une sorte de course à l'efficacité maximum. D'habitude, cette course à la décharge électrique au risque de la facilité, je trouve ça couillu et risqué. Là j'ai l'impression qu'il se vautre.

Je vois très bien la construction qu'opère le film, qui se résume en fait en creux à un portrait du Texas : en commençant par des images de l' "inconscient" des lieux (la vidéo policière nocturne à l'horreur somnaubule) pour ensuite se déplier les espaces vides et ternes écrasés de soleil, la ruine des esprits et les décors délabrés, les personnes fracassées. J'ai cependant du mal à voir, dans ce qu'Herzog tire de cette première vidéo, autre chose qu'un trouble dont ont joué bien des émissions TV avant lui à partir de ce matériau. Et, dans le tableau désastreux des lieux, quelque chose que sa caméra n'a fait que capter au passage.

En gros : passé la tenue, le kitsch mis de côté, qu'est-ce qui différencie profondément ce film d'un Faîtes entrer l'accusé ?

Quand Herzog demande à son interviewé de nous montrer les photos de son frère défunt, qu'est-ce qu'il fait ? Qu'est-ce qu'il cherche en épousant ce rituel TV américain débile ? J'ai parfois moins l'impression de le voir observer ce rituel que d'y plonger sans trop de gêne.

Quand un père incarcéré explique qu'il s'est retrouvé dans un camion menotté à son propre fils lui aussi condamné à perpétuité, et qu'il se tait, et qu'on a tout de suite compris la honte immense qu'il a ressenti devant cette situation tellement symbolique, à quoi rime la voix d'Herzog qui vient insister plusieurs fois d'un froid "describe what you felt". On tombe des nues. Est-ce du pur voyeurisme ? Ou est-ce qu'Herzog a senti quelque chose chez cet homme, qu'il cherche à accoucher quelque chose de lui ?

Bref, si je soupçonne constamment le film plus profond que ça, celui-ci a du mal à imprimer quoique ce soit sur moi. Aucune sensation de gouffre, aucune réelle confrontation à la peine de mort ; beaucoup d'ennui, même. J'ai peut-être raté un truc, mais je comprend pas tellement son projet. A part peut-être celui d'aller redonner à voir de l'être humain dans chacun des intervenants, certes, ils ne sont pas marionettisés... Mais ça ne suffit pas, et l'admiration béate devant chaque petite histoire originale, chaque anecdote, qu'Herzog pourchasse aveuglément sans les questionner, est un peu usante.