1863, Adèle H.,, la fille de Victor Hugo, alors proscrit à Guernesey , franchit l'Atlantique et débarque à Halifax au nord du Canada sous un nom d'emprunt, et sans argent. Elle veut retrouver un soldat anglais, le lieutenant Pinson, qui participait à des séances de spiritisme avec la famille Hugo et l'a séduite. Celui-ci, beau garçon, est hâbleur et joueur ; Adèle ne compte pas beaucoup pour lui.Il y a, certes, dans
Adèle H., une manière de concession au chromo romantique de la psychose, ennoblissant l'idée fixe. Le film boucle sur cette phrase du journal d'Adèle, comme s'il s'agissait d'une morale, et d'un défi que la folie avait pu relever, formant un accomplissement morbide :
Ce qu'aucune personne n'a jamais faite, marcher sur les océans et franchir trois océans pour rejoindre mon amant, je le ferai !. Le messianisme politique et littéraire de Victor Hugo est ainsi subverti par l' égoïsme de sa fille , le sacrifice d'elle-même à elle-même.
Ce qui est plus intéressant, c'est que le film est construit autour de l'acceptation de sa folie par les habitants d'Halifax, y compris par le lieutenant, qui ne renonce jamais à l'appeler par son prénom, même à la fin . Victor Hugo, au contraire, quand il lui écrit, lui parle de fonctions, et de lui-même :
"ton père qui t'aime ", "pense à ta mère que son inquiétude tuerait". Un système d'articulation du nom et de la fonction dont Léopoldine est devenue le pivot par sa mort...elle seule possède un prénom dans la famille Hugo; sans jamais avoir joué de rôle. C'est l'autonomie de la fonction sur l'identité qui est à la source la folie, en fait une sorte d'écoute maintenue au sein d'une frustration sexuelle radicale.
Adèle est consciente du piège de l'identification au désir de l'autre, mais pas de celui que lui tend le sien. Sa folie correspond directement à ce qui est le souvenir d'une valeur pour la communauté qui l'entoure . Les passages où son identité est progressivement devinée par la communauté sont très beaux, notamment la maladresse du libraire, qui avoue son amour en-même temps qu'il voudrait lui faire avouer son nom. Madame Mba, qui aide le plus efficacement (mais aussi de la façon la plus "psychiatrique", avec la connotation positiviste qui accompagne l'idée ) Adèle, est justement externe à ce quasi marché où entrele nom et la personnalité s'échangent: elle se place dans une logique d'échange avec le père lui-même
(vous étiez contre l'esclavage : vous rendre votre fille signifie dès lors quelque-chose pour moi). Si l'on court-circuite Adèle on tombe tout de suite dans la politique et la comparaison des légitimités...
J'apprécie aussi le fait que le personnage du Lieutenant soit suffisamment développé et complexe pur que l'érotomanie d'Adèle cesse d'être explicable par l'idée convenue qu'elle élirait le mauvais objet. Au contraire, elle choisit le bon objet (il y a quelque-chose entre le Lieutenant et elle), mais en le faisant, renonce à sa langue. Le désir est échangé contre le discours. Les moments les plus féministes du films, où elle reproche au lieutenant sa cour passée et son opportunisme, tendant à déjouer la logique, de folie d'une façon qui semblerait presque victorieuse (au début du film, on voit qu'elle impute à une cousine imaginaire ce qu'elle reproche réellement à Pinson, quand elle consulte le détective privé à son arrivée). Il ne lui manque que la conscience d'une différence pour guérir : il lui faudrait séparer la fiction de l'équivalence de toutes les identités, qui est déjà le réel, du discours des autres. Paradoxalement se détacher du réel pour acceptée l'idée que le désir n'est pas tout puissant.
Magnifique scénario de Jean Gruault, que Truffaut a su défendre et porter à l'écran sans l'affaiblir. Ils réussissent là où
Lilith de Rossen se plantait, malgré Jean Seberg. Isabelle Adjani est à la hauteur du film, très juste, ne jouant pas la surenchère.