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MessagePosté: 09 Mai 2021, 15:52 
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1863, Adèle H.,, la fille de Victor Hugo, alors proscrit à Guernesey , franchit l'Atlantique et débarque à Halifax au nord du Canada sous un nom d'emprunt, et sans argent. Elle veut retrouver un soldat anglais, le lieutenant Pinson, qui participait à des séances de spiritisme avec la famille Hugo et l'a séduite. Celui-ci, beau garçon, est hâbleur et joueur ; Adèle ne compte pas beaucoup pour lui.

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Il y a, certes, dans Adèle H., une manière de concession au chromo romantique de la psychose, ennoblissant l'idée fixe. Le film boucle sur cette phrase du journal d'Adèle, comme s'il s'agissait d'une morale, et d'un défi que la folie avait pu relever, formant un accomplissement morbide : Ce qu'aucune personne n'a jamais faite, marcher sur les océans et franchir trois océans pour rejoindre mon amant, je le ferai !. Le messianisme politique et littéraire de Victor Hugo est ainsi subverti par l' égoïsme de sa fille , le sacrifice d'elle-même à elle-même.

Ce qui est plus intéressant, c'est que le film est construit autour de l'acceptation de sa folie par les habitants d'Halifax, y compris par le lieutenant, qui ne renonce jamais à l'appeler par son prénom, même à la fin . Victor Hugo, au contraire, quand il lui écrit, lui parle de fonctions, et de lui-même : "ton père qui t'aime ", "pense à ta mère que son inquiétude tuerait". Un système d'articulation du nom et de la fonction dont Léopoldine est devenue le pivot par sa mort...elle seule possède un prénom dans la famille Hugo; sans jamais avoir joué de rôle. C'est l'autonomie de la fonction sur l'identité qui est à la source la folie, en fait une sorte d'écoute maintenue au sein d'une frustration sexuelle radicale.

Adèle est consciente du piège de l'identification au désir de l'autre, mais pas de celui que lui tend le sien. Sa folie correspond directement à ce qui est le souvenir d'une valeur pour la communauté qui l'entoure . Les passages où son identité est progressivement devinée par la communauté sont très beaux, notamment la maladresse du libraire, qui avoue son amour en-même temps qu'il voudrait lui faire avouer son nom. Madame Mba, qui aide le plus efficacement (mais aussi de la façon la plus "psychiatrique", avec la connotation positiviste qui accompagne l'idée ) Adèle, est justement externe à ce quasi marché où entrele nom et la personnalité s'échangent: elle se place dans une logique d'échange avec le père lui-même (vous étiez contre l'esclavage : vous rendre votre fille signifie dès lors quelque-chose pour moi). Si l'on court-circuite Adèle on tombe tout de suite dans la politique et la comparaison des légitimités...

J'apprécie aussi le fait que le personnage du Lieutenant soit suffisamment développé et complexe pur que l'érotomanie d'Adèle cesse d'être explicable par l'idée convenue qu'elle élirait le mauvais objet. Au contraire, elle choisit le bon objet (il y a quelque-chose entre le Lieutenant et elle), mais en le faisant, renonce à sa langue. Le désir est échangé contre le discours. Les moments les plus féministes du films, où elle reproche au lieutenant sa cour passée et son opportunisme, tendant à déjouer la logique, de folie d'une façon qui semblerait presque victorieuse (au début du film, on voit qu'elle impute à une cousine imaginaire ce qu'elle reproche réellement à Pinson, quand elle consulte le détective privé à son arrivée). Il ne lui manque que la conscience d'une différence pour guérir : il lui faudrait séparer la fiction de l'équivalence de toutes les identités, qui est déjà le réel, du discours des autres. Paradoxalement se détacher du réel pour acceptée l'idée que le désir n'est pas tout puissant.

Magnifique scénario de Jean Gruault, que Truffaut a su défendre et porter à l'écran sans l'affaiblir. Ils réussissent là où Lilith de Rossen se plantait, malgré Jean Seberg. Isabelle Adjani est à la hauteur du film, très juste, ne jouant pas la surenchère.

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
- Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.


Jean-Paul Sartre


Dernière édition par Vieux-Gontrand le 28 Aoû 2022, 15:04, édité 5 fois.

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MessagePosté: 28 Aoû 2022, 14:39 
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Robot in Disguise
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Épaté par la mise en image. Superbe photo sépulcrale de Nestor Almendros qui accompagne Adjani (épatante elle aussi) vers les rives du cinéma fantastique. Pas étonnant qu'Herzog ait débauché Adjani pour son NOSFERATU (d'ailleurs certaines juxtapositions de visages et de mappemondes préfigurent le DRACULA de Coppola), ni d'ailleurs qu'elle ait ensuite bifurqué chez Zulawski grâce à sa performance hystérique (le mot désormais interdit).

Face à elle, le non-jeu et la lisseur extrême de Pinson a un double intérêt: plat au possible, il rend Adjani encore plus passionnante à regarder ; et d'un désintérêt total, il rend l'amour qu'elle a pour lui encore plus insensé.

Sympa comment le film se tortille pour n'exister qu'à l'ombre du père, du grand homme, au nom presque indicible à l'écran (j'ai eu très peur qu'on le voit à Guernesey mais heureusement non). Ombre également de la grande sœur, à la mort noble et accidentelle, qui fait d'Adèle la survivante un vilain petit canard, une sorte de boulet tragique à la Hunter Biden.

Déçu par contre par la fin "Que sont-ils devenus ?" presque hagiographique, avec cette musique gentillette. Comme si Truffaut au final n'était pas assez cruel pour son propre film.

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Liam Engle: réalisateur et scénariste
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MessagePosté: 31 Aoû 2022, 11:51 
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Hagiographie (n.f.) : biographie édifiante d'un saint de l'Eglise catholique. Boomer : caractéristation sobre d'un personnage noir dans une fiction

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