Vieux-Gontrand a écrit:
La réalité est plus nuancée que ce réquisitoire de procureur distrait, ce révisionnisme repentant, simplificateur et rétrospectivement apeuré chez l'un, et cet assentiment aussi lapidaire qu'intégral chez l'autre, pour Truffaut en tout cas. Delphine Seyrig dans Baisers Volés, Nathalie Baye dans la Chambre Verte sont plus fortes que les personnages masculins. Le double rôle de Julie Christie dans Farenheit (à la fois la dominée et l'eveilleuse en lutte) est significatif, et cette ambivalence encadrant le personnage principal se retrouve dans les deux soeurs des deux anglaises (qui déjouent sans qu'il ne le comprenne le narcissisme de Leaud) . Le personnage de Fanny Ardant dans Vivement Dimanche ! , son dernier film, est quand-même particulièrement énergique et caustique.
Quant à Adèle H., il y a quand même un pari de mettre en hors-champ ce qui est central pour l'histoire officielle (la littérature, et le père, en même temps) pour retrouver histoire d'un personnage oublié (mais il est vrai que c'est le seul film de Truffaut où le personnage qui fuit ne soit pas masculin).
Truffaut met aussi en scène l'hystérie chez les hommes (l'évanouissement de Montag dans 451). La première page du roman les deux Anglaises de Roché (non adaptée, mais d'où part le film) est par ailleurs la description d'une douche froide dans un asile sur le corps du narrateur.
Le sagesse, bien sûr, commanderait de ne pas répondre à un récipiendaire qui réclame solennellement qu'on s'adresse à lui respectueusement et poliment. Que l'on évite soigneusement, et qui de façon évidemment téléphonée, à chacune de vos interventions se sent obligé quasi ontologiquement de vous arroser de ses généreuses compulsions et projections psychologiques habituelles concernant des recoins obscurs de son ego: "révisionnisme repentant et restrospectivement apeuré". Rien que ça. Mais une fois encore: de quoi il parle?
C'est un peu chagrinant quand on pense que la production de l'impétrant est farcie de 80% en moyenne d'erreurs factuelles, de confusions et contresens destinés par vocation à rester lettres mortes puisque faisant référence à des mignardises culturelles ultra-chic que seuls quelques dandys peuvent décrypter.
Aussi parcourons, avec l'enthousiasme d'un Sisyphe et le goût de la vérité d'un Kant, les jaculations tristes projetées avec hardiesse par le négationniste instantané et toujours courageux, y compris rétrospectivement:
- Je connais bien entendu par cœur la filmo de Truffaut, et ne me risque à ne parler, moi, que de ce que je connais bien, sans chercher à faire passer des vessies pour des lanternes.
1) On ne voit pas en quoi Seyrig dans Baisers volés (que j'adore, comme la plupart des Truffaut) incarnerait un personnage "plus fort" que les persos masculins: son perso est au contraire le prototype de la bourgeoise bovaryenne fantasmant des liaisons passionnelles et évanescentes. Elle est décrite par Doinel comme une apparition désincarnée proche de l'esprit pur, tandis qu'elle nous est montrée conforme à l'essence dramaturgique de son personnage: une épouse passive, qui au fond goûte le luxe superficiel de sa condition, ce qui l'amène à préférer les amants occasionnels plutôt que de rompre avec son mari odieux. Ce qui à tout le moins correspond au cliché sociologique de la femme fatale, riche et vénale.
2) Nathalie Baye dans La Chambre verte n'a aucune espèce d'existence propre. Là-encore, son personnage est entièrement conforme à l'essence de son personnage, qui est d'être une figure passive, vouée à une oblativité ou à un effacement absolus: elle n'existe que dans l'ombre de ce veuf dont la douleur prend toute la place et consume littéralement le film. N'existant qu'au titre d'une écoute passive, fervente et dévouée, hyper-maternelle et sacrificielle. Que ce film, magnifique, soit totalement masculino-centré, c'est une évidence qui saute aux yeux et qui ne pose aucun problème en soi sauf si on se met en tête de le dénier.
3) Le perso de Julie Christie ne doit pas nous faire oublier le perso de l'épouse: là encore, l'attendue représentation de la passivité vénale, au sens où par goût du luxe et de la sécurité de son intérieur, elle préfère la soumission au système à son mari, qui ne devra attendre d'elle ni empathie ni solidarité (c'est conforme à son rôle dans le roman).
4) A quoi sert d'invoquer pour Adèle H le hors-champ du Père, alors qu'on peut tout aussi bien arguer que justement, ce hors-champ sert exactement le propos contraire, à savoir signifier l'omniprésence de cette figure à laquelle le personnage n'échappe pas parce qu'elle le coupe de manière interne et originaire de tout rapport à soi. C'est le cœur du film, qui pose une analogie explicite entre l'Enfant sauvage et l'Infante sans père (qui se vit comme orpheline), les deux drames de destinées étant rapportés, l'un à l'emprise envahissante du prof/père Itard "dans le champ", l'autre à l'emprise envahissante "hors champ" du père H.
J'ai écrit un long texte qui analyse en détail plusieurs films de Truffaut sur cette question du père mais passons.
On remarquera accessoirement que quasi tous les rôles d'Adjani dans sa grande période ont porté à la stéréotypie l'essence du personnage féminin hystérique, de la "femme-enfant" non pas forte mais faible au sens de privée d'autonomie psychique, nécessairement aliénée à l'imaginaire masculin jusqu'aux confins de la pathologie clinique.
Je conclus: il est sain de regarder les films qu'on aime avec un œil et un esprit ouverts, capables de changer à travers le temps plutôt que de les figer dans la glu fossile d'un souvenir fétichisé auquel il ne faudrait plus toucher.
Bien évidemment, comme attendu, les esprits agis par une forme de malveillance compulsive s'empresseront de requalifier ce simple souci de plasticité herméneutique "révisionnisme repentant et apeuré", etc. Business as usual.