Forum de FilmDeCulte

1974, la France est en pleine période électorale. Valéry Giscard d'Estaing, alors ministre de l'Économie, se lance dans une campagne à l'américaine. Il demande au photographe expérimenté mais cinéaste novice, Raymond Depardon, de le filmer tout au long de celle-ci. Depardon s'inspire fortement du cinéma américain et suit le candidat jusque dans les coulisses de ses meetings afin de restituer une ambiance live.


Un des premiers films de Depardon où il travaille son style contemplatif, on sent qu'il ne maitrise pas encore son art qu'il déploiera dans ses films suivants mais le résultat n'en est pas moins passionnant à plusieurs titres. Tout d'abord ne pas s'attendre à un film centré sur la politique en elle-même. Des meetings, on ne verra pas les images, simplement un Giscard se préparant, allant au meeting mais plus que filmer le théâtre politique, Depardon s'intéresse à l'intime et à l'homme Giscard. Aux antipodes de l'hagiographie, on dirait presque un film intime et personnel au ton résolument neutre qui nous montre le cheminement que va suivre le personnage durant ces quelques mois. C'est presque un portrait nu de l'homme que chacun pourra juger, ce que vit le candidat, plus qu'une analyse politique dont se contrefout Depardon.

Le deuxième point qui est captivant, et surtout si on compare à aujourd'hui, c'est de la manière dont est perçu le show politique dans la société française de l'époque, la proximité que peut avoir un candidat avec le peuple. Ca démystifie quasi l'impression de hauteur de ces dernier, les rendant presque banaux. Truc rigolo, Giscard conduisant toujours sa dodoche comme le péquin lambda allant chercher son pain alors qu'il se rend à un meeting politique primordial. Où le grand moment où il est tout seul devant sa télé regardant les résultats à 20 heures sans savoir ce qui va se passer.

Et puis aussi voir l'évolution qu'a pu avoir le rôle des médias par rapport à aujourd'hui est fascinante. Bref le film est passionnant comme témoignage d'une époque et portrait à nu d'un homme politique qui est rendu d'une banalité confondante devant la caméra scalpel de Depardon.

4/6

Il faut aussi voir Reporters qui forme une sorte de dyptique avec 1974 : campagne de 1980, à la fin du mandat de Giscard, avec une dillution encore plus poussée du politique dans le sociétal et le people qui prend Giscard à son propre jeu et le fait disparaître alors qu'il est au pouvoir. C'est aussi ce film qui a (plus que les Guignols) créé le personnage truculent et bonimenteur de Chirac. On comprend que la mairie de Paris était une plateforme idéale, créée sur mesure pour faire campagne en permanence et sans en avoir l'air : visibilité nationale, accès à ded réseaux politiques quasiment permanents tout en étant beaucoup moins exposé qu'un ministre.
Dans Reporters, Joël le Theule, qui a lancé Fillon, joue un rôle relativement important (Coluche rappelle quand-même dans le film que 4 ministres de Giscard sont décédés pendant son mandat, ce qui fait beaucoup), cela m'avait incité à lire cet article intéressant de Claude Askolovitch : https://www.google.com/amp/s/www.vanity ... llon/50960
Il y a aussi une scène d'anthologie dans laquelle Richard Gere se fait littéralement bouffer à l'écran par Francis Apestéguy, le photographe de Gamma qui sert de fil conducteur au film.

Sinon le proximité de Giscard avec le peuple m'a pas forcement frappé dans ce film. Le moindre déplacement est en avion ou en hélicoptère, le mec est installé en chaise longue sur la terrasse du Louvre d'où il salue ses supporters très "loden troués" en disant à peu près en rigolant "vous voyez bien qu'ils me voient'. Il y a aussi la séquence de la réunion fort intéressante avec Poniatowski sur la manière calculée de parler aux habitants des villes moyennes, en ne disant justement rien du tout pour ne pas risquer de révéler accidentellement un intérêt de classe. Il témoigne par ailleurs d'un mépris sourd et larvé pour les élus régionaux, et très explicite pour les députés de son propre parti (la séquence sur Michel d'Ornano lors du débat télévisé). Les déplacements en voiture où il conduit lui-même dans Paris (des DS 23 , l'équivalent d'une Mercedes pour l'époque, pas des 2CV) sont aussi très calculés, ce ne sont pas des moments volés du tout (paradoxalement c'est dans l'avion qu'il se lâche et oublie la caméra et focalise son attention essentiellement sur les embrouilles et rancoeurs entre gaullistes et centristes - cela n'a pas tellement changé).

En revanche le film montre bien que le positionnement "bismarkien" de Giscard est radicalement opposé à celui de Macron, pourtant lié à la même famille politique. Pour couper l'herbe sous le pied à la gauche, Giscard centre sa campagne sur les plus faibles, en leur promettant la sécurité, mais dans un sens non-identitaire : le maintien de prestations sociales qui garantissant l'intégration d'un homme dans la société. En un sens la politique est pour lui ce qui compense en sens exactement inverse les effets de la maladie. On est loin du social-darwinisme assumé actuel.On voit aussi par contraste le coût social de l'effondrement (voire du seppuku) du PS et d'une droite qui n'est plus concurrencée que par le FN (enfin le RN).

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
- Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.

Jean-Paul Sartre