Copier-coller de la critique de gehenne666 avec qui je partage presque totalement l'avis :
Il y a une évolution et une logique visuelle qui parcourent les derniers films de Scott. Une approche de l’illustration qui opère un tournant dans la notion même de concevoir l’image et de porter à l’écran des mots, des personnages, un scénario. Une conception somme toute personnelle de la réalisation qui va bien au-delà de toute forme de considération logique et raisonnable. Ennemi d’état constituait un premier saut timide et une attitude un peu bancal dans la représentation de la volonté du cinéaste. Le film souffrait d’un manque d’affirmation et lui donnait une attitude bâtarde et finalement incompréhensible. Spy game appuyait, avec déjà plus de poigne, les propos et dérapages visuels du cinéaste. Le scénario se transformait en un faire valoir, prétexte à quelques débordements, encore gentillet. Mal accueilli parce qu’il portait en son sein deux grosses têtes d’affiche et qu’il ne s’en souciait aucunement, Spy game imposait enfin la naissance d’un style et de nombreuses promesses. Man on fire aurait pu représenter la quintessence de cette réalisation. Une œuvre somme ou presque, qui proposait un formalisme impressionnant. Un travail sur la déconstruction de l'image pour arriver à un stade à la limite de l'expérimental, et un rapport somme toute viscéral. On peut effectivement comparer son travail avec celui de Bay. Mais là où le cinéma de Bay ne repose que sur du vide dans le seul but d'atteindre un formaliste sensoriel dénué de la moindre portée psychologique et émotionnelle, Scott habille et illustre davantage une idée ou un thème et semble le pervertir consciemment par l'outil de l'image.
Domino va encore plus loin dans l’idée, dépasse toutes les attentes et semble atteindre les limites du possible. Les frontières visuelles ont explosé et donné naissance à un film hybride, alliant les délires désordonnés du réalisateur et une inscription logique dans la filmographie du cinéaste.
Avant même que le film ne commence, on est mis sur la voie quant aux intentions du réalisateur. Scott ne s’adonne pas à l’exercice simple du biopic. Il a simplement trouvé en l’histoire vraie de Domino Harvey, la parfaite illustration du terme bigger than life et de sa propre réalisation. Elle symbolise toute la richesse, la décadence, la folie, l’extravagance, la surenchère, la générosité et l’outrance qui caractérisent le cinéma de Scott. Elle devient l’icône d’une réalisation, l’expression de la démarche explosive et démente du cinéaste.
Le scénario ne propose aucune logique narrative, aucun repère réellement tangible qui permettrait de contrecarrer la mise en image insensée. Grâce à l’utilisation du flash back, Scott peut ainsi dynamiter la narration, et jouer avec elle. Le métrage gagne alors une impulsion supplémentaire, bercé par les pensées et le flot des paroles de Domino, mais aussi une réflexion postérieure sur la représentation picturale du scénario et de l’histoire. A l’instar de Hanneke sur Funny games, Scott peut revenir sur le récit, opérer un retour arrière sur l’image elle-même pour retrouver la réalité et finalité de certaines situations. Il peut disséquer une situation dans le seul but de la contredire ou la réévaluer. A tout moment, Scott prouve qu’il contrôle totalement sa réalisation, qu’il possède le pouvoir d’agencer les images à sa guise, bien au-delà des mots et de l’histoire de Domino. Il rompt toutes les règles du biopic en agençant la construction et l’illustration à sa manière sans se soucier de la véracité des propos qu’il retranscrit. Domino devient un film dépassant les convenances.
Mais alors qu’il ne porte plus de considération sur le déroulement de la vie de son héroïne, Scott ne manque pas pour autant de passion à son égard. Au contraire, dans un jeu clair obscur de sacralisation et décadence, il glorifie à chaque instant Domino, au point de lui donner une nature de sainte sous-jacente. On attendrait presque de la voir canonisée (l’est-elle finalement ?). Il dépeint son personnage avec une grâce indélébile, et marque de son emprunte chaque plan et chaque personnage. Scott l’entoure d’un charisme à la fois proche d’une dimension messianique, et de la candeur et l’innocence de l’enfant. Fragile et forte, Domino devient une figure iconique dont la représentation visuelle tiendrait presque de la peinture religieuse. Mais il sait la situer proche de l’homme, puisqu’elle fait tout de même partie de ce monde, l’a pervertie dans certaines situations. Domino est l’image du film, une représentation irréelle, un fantasme décadent et gangrenée, une illusion qui n’a d’existence que dans la réalisation outrancière de Scott. Le film ne devient pas une illustration, n’est représentatif de rien du tout. Il fourmille d’images qui s’accumulent, s’annulent les unes au autres afin d’offrir une multitude de tableaux dont la simple portée lyrique suffit à justifier son existence.
Comme tous les personnages qui peuplent ce film, qui gravitent autour de Domino. Ils n’existent pas. Ils deviennent des éléments ajoutés qui tendent à représenter l’irréalité du film. Scott assoit un peu plus ce propos en détournant des figures réelles, en incorporant un peu plus de réalité, dans l’unique but de la déconstruire au fil des scènes, et par la grâce boulimique de sa réalisation. Il désordonne ces éléments (les acteurs de Beverly hills, le Jerry Springer Show), les jette en pâture dans l’entourage de Domino et feint de figurer la fonction et l’exemplarité du biopic. Ne pas oublier le carton qui nous prévient que toute cette histoire est basé sur la vie de Domino Harvey… ou presque.
Ainsi, Scott joue le jeu de ses détracteurs en usant et abusant de ses effets, ses tics de réalisation pour provoquer l’overdose dans la capacité à abreuver le spectateur d’imageries récurrentes et contestataires. Il entre dans la logique de l’émission de Jerry, dans la mesquinerie de la télé-réalité, la médiocrité des acteurs de Beverly (excellents, jouant avec brio le second degré) et les sublimine par son filmage. Il déconstruit l’image, déstructure la réalisation et dynamite ces thèmes avec une fureur non feinte.
Toutefois, Scott ne peut s’empêcher d’évoquer un sentimentalisme exacerbé, de pousser le lyrisme émotionnel à son paroxysme. En invoquant la maladie d’une petite fille, il renforce le côté saint de Domino, mais encombre plus ou moins son film d’une sorte de mélodrame superflu. On retrouve dans cet élément, les travers qui encombraient Man on fire, et Spy game dans une moindre mesure. A une telle proportion, Scott rejoint Bay dans cette déclaration d’une naïveté, dans cette idéalisation sentimentale. Domino devient un ange salvateur, mais un ange aux ailes meurtries, à la peau sale, tachée de sang. Le film possède cette rage. Il est l’expression d’un chaos, personnifié par le filmage, le montage de Scott.
Le réalisateur joue avec ses personnages, joue avec Domino. Il l’a martyrise, la brutalise, la chérit, la cajole. Une petite fille qui a choisi de jouer avec les grands, avec le danger, avec la mort. Une fille qui a préférer se marier avec l’adrénaline plutôt qu’avec l’amour. Mais Scott joue, dramatise, enjolive une réalité, des sentiments pour retomber dans des figures et des thèmes connus. Il provoque Domino et joue avec le public. On apprend une information de Domino, il désinforme. Elle raconte, il modifie par l’image son récit. Elle voudrait mourir, il l’a ramène en enfer.
A aucun moment, le cinéaste ne semble lâcher prise, à aucun moment il ne perd le fil de son récit. Même quand celui atteint les sommets de l’improbable, même quand il joue avec l’expression même du deus ex machina. Il use des ficelles, il brode des évidences sous un déluge d’images qui désarçonne le spectateur. Le film est un kaléidoscope d’images et de genres. Un métrage qui assimile le burlesque et la violence crue sans les mélanger, le lyrisme et l’érotisme, la rage et la douceur. Et dans ce maelstrom d’images, dans ce récit volcanique, des acteurs se débattent et livrent une prestation remarquable.
Scott prouve avec Domino qu’il peut aller encore plus loin que Man on fire dans la démesure, dans l’expression même d’une réalisation outrancière. Il manipule un récit par le biais d’un filmage, et manipule la réalisation elle-même par le biais des images. Il déstructure, déconstruit, surstylise, esthétise à outrance. Il élabore un chaos, un non-sens et parvient à un résultat qui dépasse toutes les attentes jusqu’à provoquer une possible rupture et un total rejet. Il va encore plus loin dans la définition d’un cinéma expérimentalo-consumériste. Scott parvient à sublimer la futilité de son exercice et offrir une réalisation unique. Domino devient un exercice de style où l’exagération et la profusion d’un formalisme trouvent un parfait écho dans la représentation de son personnage principal. Un dialogue entre deux images, l’une en mouvement constant comme sous acide, et l’autre, celle d’une vie que l’on a du mal à s’imaginer vraie.
Domino est à la fois la glorification d’un personnage devenu fictif le temps d’un film, et d’une réalisation qui trouve toute sa raison d’être et de paraître. Le métrage va mettre plus d’un spectateur sur la touche, va provoquer l’effroi, le rejet, la colère, l’injurie. Il va conforter certains dans leur opinion, à savoir que Scott offre un énième produit calibré et gratuit, voire complaisant et les autres, les adorateurs d’un cinéma qui a conscience de ses effets, mais qui les manipule avec grâce. Un cinéma qui torture ses images, sans tomber dans la facilité. La réalisation de Scott n’est pas un faux semblant, mais l’expression d’une démarche recherchée, qui trouve toute sa quintessence et sa raison d’être dans le personnage de Domino. Là où elle pouvait paraître superflu dans Man on fire, elle devient dans ce film, d’une logique imparable qui la rend plus belle encore.
Domino signifie la fin d’un voyage sur l’exercice d’un formaliste aigue, la question sur l’avenir du cinéaste est posée…
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