Dans une ville portuaire, le gang de Kurtz, gangster élégant et au langage soutenu et précis, en Mercedes grise, organise le braquage d'une villa, pour le compte du mystérieux 9 Doigts. Le vol concerne des tableaux de maître, de l'argent, mais est en fait une couverture pour un trafic de Polonium qui implique un réseau plus vaste et opaque que les 5 gangsters paumés.
Le braquage se passe mal. Springer est blessé. Magloire, un homme qui semble avoir trahi Kurtz, et est témoin du meurtre de Delgado (le frère de la belle Drella qui assure l'intendance de leur planque), est poursuivi, rattrapé, tenu prisonnier et menacé avant de devenir peu à peu le confident de Kurtz.
Tous doivent fuire dans l'urgence à bord d'un mystérieux cargo, le Sidi Mohammed Volkson V. Où vont-ils accoster, où le reste du réseau de cache-t-il ? Peut-être sur l'Atlantique aux environ des Açores, peut-être au Chili, entre Antafagasto et Valparaiso ? Peut-être sur Nowhereland, le mystérieux continent de déchets plastiques, grand comme le tiers du Canada, légendaire, mythique mais positivement connus des scientifiques, qui erre entre le Japon et Hawaï, et qui a peut-être été aménagé en un gigantesque refuge de pirate moderne, ou bien en contre-société rousseauiste ? Peut-être nulle part, ce qui serait déjà une issue, finalement ? Je sais que l'on peut tenir ce cinéma-là pour de la pose et de l'affétérie, ou gêné par une une sorte d'ambiguïté politique propre à Ossang (le côté punk symboliste, sans doute conservateur au plan politique) mais pour ma part j'ai aimé ce film, qui est sans doute un des plus beaux que j'ai vus ces cinq dernières années.
Le film a l'air en apparence décousu et parcellaire, mais dit mine de rien des choses fortes sur l'époque (le Bataclan, ou l'affaire Skripal, qu'il semble avoir mystérieusement anticipée, mais aussi le rattrapage, encore impensé, de la terreur nucléaire de la guerre froide par une terreur écologique, liée à l'anthropocène, qui passe de l'objet scientifique à l'idéologie politique d'état).
J.F. Ossang est fasciné par les idéologies, et les filme comme des objets poétiques, comme ce dont la poésie parle, mais sans parvenir à s'y adresser.
Cela lui permet d'avoir un point de vue que j'ai trouvé très justes sur le nihiiisme terroriste, qui est lui-aussi (comme le cinéma, mais en ne l'assumant pas, en faisant du meurtre le refoulement de ce qui devrait rester un symbole) un récit. Il filme le cinéma et la littérature comme des idéologies de replis, défaites, lucides et savantes dans le vide séparant ce qu'elles avaient investi en étant détrompées, et leur mort, à la fois proche et perpétuellement retardée.
Ce sont strates de discours, des métaphores et une pulsion vers la parole, que l'image incarne et organise, mais déjouées par l'idée (marxiste mais sans appel à une utopie ou une promesse) de l' équivalence de l'imaginaire avec une marchandise, qui est à la fois leur secret, et ce qui, rendu visible et assumé dans l'esprit dominant de l'époque (ce famaux Zeitgeist, auquel les personnages obéissent sous la forme d'un contrat mafieux, codé et menaçant) les étouffe. On n'est pas si loin non plus de Vernon Subutex (le punk, vécu comme une utopie rebelle, qui se dégrade en idéologie dès lors qu'il na plus de descendance).
Bref c'est assez intello, même si le film, vu au premier degré, comme une histoire de gangster métaphysique qui perdent en route la raison et leurs motifs, et veulent se sauver seuls, tient aussi.
Les acteurs sont bons, le cadre et le montage sont plastiquement superbes (entre Aldrich et Murnau, mais aussi Melville, Garrel période Sauvage Innocence, voire Lautner), notamment dans la manière de filmer la mer et le bateau, Lisbonne de nuit, ou une plage volcanique des Açores, la musique, aussi, point de rencontre improbable entre the Godfathers ou Sham 69 et Vangelis, aussi.
5.5/6
(Je précise, car le film à été descendu ici, que j'avais moi aussi lâché Dharma Guns après 10 minutes).
Une interview intéressante d'Ossang :
http://debordements.fr/F-J-Ossang