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1975. A Rome, Claude Lanzmann filme Benjamin Murmelstein, le dernier Président du Conseil Juif du ghetto de Theresienstadt, seul "doyen des Juifs*" à n’avoir pas été tué durant la guerre. Rabbin à Vienne, Murmelstein, après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne en 1938, lutta pied à pied avec Eichmann, semaine après semaine, durant sept années, réussissant à faire émigrer 121.000 juifs et à éviter la liquidation du ghetto.
2012. Claude Lanzmann à 87 ans, sans rien masquer du passage du temps sur les hommes, mais montrant la permanence incroyable des lieux, exhume et met en scène ces entretiens de Rome, en revenant à Theresienstadt, la ville « donnée aux juifs par Hitler », « ghetto modèle », ghetto mensonge élu par Adolf Eichmann pour leurrer le monde. On découvre la personnalité extraordinaire de Benjamin Murmelstein : doué d’une intelligence fascinante et d’un courage certain, d’une mémoire sans pareille, formidable conteur ironique, sardonique et vrai.
A travers ces 3 époques, de Nisko à Theresienstadt et de Vienne à Rome, le film éclaire comme jamais auparavant la genèse de la solution finale, démasque le vrai visage d’Eichmann et dévoile sans fard les contradictions sauvages des Conseils Juifs.

Exhumant une interview de Benjamin Murmelstein datant de 1975 en arpentant quarante ans plus tard texte à la main le lieu des horreurs passées, Lanzmann poursuit sa fresque mémorielle de la Shoah. On apprend l'existence de ces conseils juifs, présidés successivement par trois doyens, dont Murmelstein était à l'époque le dernier à être encore vivant, et par là-même la compromission indirecte des victimes dans le processus d'exterminations. A l'époque, les juifs étaient parqués dans des ghettos, présentés comme des villes-cadeaux de Hitler à la communauté juive, Murmelstein jurant que c'est bien après que la confirmation des camps d'extermination. Ces doyens avaient une responsabilité administrative d'encadrement de ces ghettos, présentés comme des zones modèles, mais désignant aussi indirectement ceux qui allaient survivre ou pas. C'est pour ça que Murmelstein vit aujourd'hui à Rome, faisant encore l'objet d'une haine tenace de ceux ayant réchappé au génocide. D'une mémoire étourdissante qui n'exclut pas l'humour, cet homme ambigu aura également participé au sauvetage de plus d'une centaine de milliers de juifs. Il n'empêche qu'il parle parfois de cette époque comme un bon manager exposant sa théorie de l'organisation. C'est cette ambivalence, ponctuée par le rôle-clé et aujourd'hui oublié de ce témoignage essentiel, qui fait toute la force de ce film de trois heures trente, brillant et complexe.
4/6

Je me rappelle que juste après avoir vu le film sur Hannah Arendt cette année (plutôt bon soit dit en passant), j'avais lu une interview de Lanzmann dans la presse qui estimait que ce que disait Arendt de la Shoah (que les Juifs, et notamment les chefs responsables des Conseils, ont inconsciemment laissé faire le massacre et ont rempli à merveille le rôle de courroie de transmission que les Allemands leur ont donné) était une infâmie absolue. Du coup ça m'intrigue, parce que c'est tellement la mode de cette philosophe depuis une dizaine d'années que c'est la première fois que je la vois si ouvertement contredite.