Un couple se dirige vers un train en partance pour Venise. Sur le quai, Julien annonce à Marie qu’il part en rejoindre une autre et s’en va, la laissant seule à Paris, enceinte.
Bouleversée, Marie se refuse à être victime de cette situation. Elle trouve du réconfort dans son travail auprès de ses deux « cow-boys » de patrons, Jean-Jacques et Jean-Loup, qui dirigent un cinéma du quartier latin spécialisé dans les films classiques américains.Ancienne programmatrice des cinémas Action et ex d'Olivier Père, Elise Girard semble bien régler ses comptes avec son ex, en tout cas le film, qui sonne autobiographique et raconte comment une programmatrice du Grand Action est larguée par son couard de mec critique de cinéma alors qu'elle tombe enceinte, en donne cette impression.
A dézinguer à tout va la petite vie étriquée du cinéphile en appartement, Girard semble d'abord tourner en rond dans une manière de faire du cinéma très parisiano-centrée, de projections dépeuplées en valises faites pour des festivals exotiques, de déprimes en appartement étroit en bouffes entre potes qui dérivent mal...
Autant dire que pendant un tiers, ça fait très peur et on s'en contrefout. D'autant que l'alter-ego de Girard, c'est la Donzelli de la Reine des Pommes, c'est dire l'ampleur de la flippe.
Et puis à mesure que ça avance, le film se gorge tellement de rage rentrée, que c'est le sentiment que cette rage va exploser qui soudain donne l'impression que les choses vont basculer. Un humour noir commence à colorer le tout, les personnages sont de plus en plus perdus, de plus en plus livrés à leur rage, qu'ils contiennent si fort, qu'on se dit que ça va exploser.
Et puis hélas ça n'explose pas, c'est ravalé, et c'est pire.
Le film vire à la haine, au dégoût, à la violence rentrés, sans qu'on sache jamais ce qui pourrait inverser ça, à quoi même ça servirait, si même le bonheur pourrait exister (à une scène près, de chant à deux, mais tellement artificielle, tellement attendue dans ce cinéma français-là, disons ici plus originale parce que morbide). C'est très dommage, car il y a un vrai quelque chose, quelque chose de dissonnant, dans ce morbide permanent, qui n'est pas sans intérêt. Mais à force d'être hanté par la mort, le film s'y complaît. Ce qui me surprend, c'est qu'il ne tombe pas dans la neurasthénie naturaliste habituelle, ce n'est pas poisseux. Mais c'est comme une résignation à une rage rentrée, pour vivre il faut serrer les poings, être en colère est inévitable, inutile mais inévitable. C'est terrifiant, d'ailleurs, certes plus saisissant que l'habituelle fiction française grise, mais si on doit échanger une pulsion d'ennui contre une pulsion de mort, je sais pas si ça vaut mieux.
Mais c'est intéressant à décortiquer : en faisant ça, en sachant que la mort plane, inéluctable, et en étant en permanence furieuse contre cet état de fait, Girard casse "l'effet nouvelle vague" du départ. L'omniprésence des signes de cinéma, par exemple (affiches, etc.), tu t'aperçois à mesure que ça avance que ce n'est pas la nouvelle vague de Godard où les signes de cinéma étaient des signes d'actualité. Ici ce sont de tristes et mortifères signes de fétichisme, des signes de mort, on finit d'ailleurs par le noyer, le cinéma, dans les temples Action du fétichisme, où les derniers films survivants décèdent, peu fréquentés, détruits...
L'amour n'a plus trop lieu d'être aujourd'hui, semble dire le film, peut-être que dans les années 60 cette histoire aurait été pleine de vie.
Le film dégringole ainsi par pallier, d'abord misandre, puis misogyne, puis simplement misanthrope.
Comme une course en avant, pas dénuée de talent certes (Girard sait où poser sa caméra, le montage est assez exemplaire, la dernière séquence possède une tension rare), vers un accident violent, quelque chose de proche de ce qui anime l'envie d'auto-destruction lors d'une rupture.
Réussir à reproduire cette rage-là, celle qui t'envahit lors d'une injustice amoureuse, ce n'est pas rien.
Mais ne proposer que cette rage-là dans un film, c'est trop gratuitement éprouvant. Ne rien proposer comme alternative, refuser que la vie puisse continuer et la beauté persister, ça ne me va pas, je ne suis pas d'accord, ce n'est plus du romantisme, c'est du nihilisme.
(le film sortira en juin)