Faux documentaire, par un artiste belge qui a fait le Fresnoy, de 18 minutes généré par aiturbo/runway, sur une mine de terres rares en Chine (inspirée de Bayan Obo en Mongolie-Intérieure).
En voix off, on entend tout d'abord le texte (fictif mais inspiré de textes trouvés sur les réseaux sociaux, démarche dont il faut reconnaître l'ambiguïté, mélant compassion morale, revendication politique et veille voire surveillance), désabusé et sarcastique, d'un mineur racontant (en alternant mandarin et anglais) sa vie là-bas, la pollution, le sentiment d'exploitation , ainsi qu'une certaine fierté consciente, mettant en avant son cynisme et son endurance. Puis celle féminine, énergique et automatique, d'une publicité vantant la perspective d'un monde virtuel illimité et matérialisant spontanément les désirs de chacun.
Les plans alternent scènes d'extraction minières, vue mineurs dans leur gourbi, vue de la ville minière ou technologie et archaïsme industriel coexistent, puis plan de villes modernes, le tout avec le glitch et le flottement des IA, d'aboid difficile à déceler, mais de plus en plus marqué à mesure que le propos s'éloigne du témoignage (sobre mais fictif) et bascule dans la parodie de la propagande politique ou publicitaire.
On est à la fois dans Chris Marker, Wang Bing, Jia Zhangke pour la lumière et le ton, voire même Blade Runner, et dans les vidéos touristiques simultanément élégiaques et soporifiques que l'on peut voir dans les avions
.
C'est vertigineux, notre esprit critique correspond directement à la fiction de la machine, notre colère ou notre peur politiques sont en quelque sorte déjà son inconscient : un contexte qu'elle reproduit de manière fidèle et brute, illisible à force de transparence.
Le principal signe d'irréalité tient dans le caractère démesuré et enfantin des camions miniers - et on réalise que tout ce qui relève de la mise en oeuvre matérielle de l'extraction minière, du travail et de l'épuisement, est aussi le plus onirique, le plus conforme à la part d'imaginaire d'enfance qui a survécu dans nos vies d'adulte. Le film touche par moment le fait que notre fatigue et notre insertion dans l'ordre économique sont en deça de la fatigue (et du risque) de l'altérité, sont perçus sur le mode de l'intuition rassurante.



(ce plan résonne étonnament avec le Rire et le Couteau de Perdo Pinho, finalement placé dans un angle politique proche, tout aussi ambigu)
Ce qui est intéressant, c'est qu'E. van der Auwera essaye de comprendre ce qu'il fait (très bonne interview)
https://debordements.fr/emmanuel-van-der-auwera/Un des éléments de réponse les plus immédiats, les plus visuels, qui ferait de ce film un « métadocumentaire », réside dans le fait qu’effectivement, on y voit le film se construire : l’IA recalibre et change la scène à mesure qu’elle la génère. En cela, le film ouvre à tout moment une lucarne sur son processus de conception. C’est l’exemple de tout à l’heure, des roues qui deviennent des tunnels. Et cela n’est possible que parce que l’algorithme peine à maintenir une cohérence dans sa continuité temporelle. Pour chaque image produite, l’algorithme prédit ce qui se passe ensuite, mais sans mémoire ou compréhension de la cohésion générale. Comme une personne dont l’amnésie effacerait de sa mémoire à chaque instant les souvenirs des instants précédents, l’IA prédit ce qui lui paraît le plus plausible à l’instant d’après. En permanence, les choses hésitent, sont fluides, se reconfigurent. On sent alors le travail de l’IA à l’œuvre dans son indécision ; c’est la fluidité granulaire de l’image dans la durée. Cela vient du fait que l’IA générative que j’ai employée pour White Cloud était très « primitive » au regard des avancées réalisées en un an. Les IA vidéo génératives actuelles, telles que Kling ou Sora, sont déjà en mesure de maintenir une cohérence et une stabilité dans la durée des vidéos qu’elles génèrent, ce qui me fait penser que nous ne sommes qu’à quelques années d’un mimétisme complet entre image générative et image « authentique ».
Un autre élément de réponse se trouve dans mon interrogation vis-à-vis de la chaîne de montage du réel, que représente pour moi métaphoriquement la mine de Bayan Obo dans White Cloud. Je pense qu’assez tôt dans le projet du film, j’ai demandé à ChatGPT de me raconter comment les images génératives apparaissaient en proposant la métaphore d’un désert de sable. Le logiciel m’a répondu quelque chose de très poétique : il me demandait de me représenter l’espace latent comme un désert dont la configuration des dunes serait le résultat de strates et de strates d’images pulvérisées et concassées par le temps et par une force extérieure. Selon sa métaphore, quand on génère les images depuis l’espace latent, on les exhume des profondeurs vers la surface, on reconfigure les dunes de sable. Et j’ai d’ailleurs utilisé cette métaphore dans une autre œuvre intitulée The Gospel (2024), en y faisant figurer une voix qui imagine chaque point de ce désert de coordonnées, comme le résultat de triangulations d’où apparaissent les images.
D’une certaine façon, à partir de là, j’ai commencé à voir le travail des mineurs que je mettais en scène, pas celui évidemment réel de Bayan Obo, mais celui métaphorique de l’excavation que l’IA était en train de faire. Je l’ai vue comme une espèce d’usine originelle qui sert à fabriquer la « nouvelle » réalité : dès lors, le travail des mineurs pour faire exploser la montagne, pour faire venir les images, c’était une représentation de ce qui se passait aussi dans le réel. En définitive, je pense que White Cloud n’est pas qu’un film documentaire, c’est un film d’horreur, sur l’horreur du réel qui montre par l’IA le caractère apocalyptique et le prix à payer, en termes d’aliénation humaine et de catastrophe écologique, qui sous-tend notre monde voué à l’accélérationnisme technologique. Le caractère d’anticipation, presque science-fictionnel du film, n’est que le reflet déformé de cet accélérationnisme, comme dans un miroir déformant, un Portrait de Dorian Gray numérique, que nous renvoie l’IA. J’ai peu abordé la dimension écologique du film ici, mais Bayan Obo est un endroit qui a été durablement pollué par les opérations d’extraction minière. Tout le film est une parabole de l’engrenage infernal qui relie le développement exponentiel de la technologie, l’obsession de l’évasion par le virtuel, et les dégâts réels que cette situation perpétue en termes de coût humain et environnemental.https://kingkong-mag.com/emmanuel-van-der-auwera/Et donc la voix du film est elle-même issue de prompts d'IA
