Forum de FilmDeCulte

Riwka a soixante-cinq ans. Son car d'excursion, qu'elle partage avec de nombreuses personnes âgées, tombe en panne sur une route entre Varsovie et Auschwitz...


Ce film est une image bizarre, périphérique, de ma cinéphilie émergente à la fin des années 90. Je me souviens qu'on en parlait beaucoup, sans trop avoir su ce que c'était (je pensais que c'était un doc). Il n'était bien sûr alors pas question de voir ce petit truc d'auteur réaliste avec des vieux, qui avait l'air chiant et déprimant, mais la photo (celle ci-dessus) m'était restée gravée en tête. Le réal n'ayant pas percé au-delà de ce succès, c'est resté un film bizarrement perdu dans les limbes de son époque.

Le découvrir 15 ans après (gloups), c'est faire un flashback assez saisissant. Vers une certaine manière de parler de la diaspora juive, d'abord : comme un des tous derniers éclats d'une certaine manière de traiter la question, c'est à dire autrement qu'à travers le prisme du conflit israëlo-palestinien. C'est le côté le plus saisissant et réussi du film : peindre la génération ayant survécu à la guerre comme les âmes errantes de l'Europe, coincée (littéralement) dans le retour éternel aux camps, attachée aux fantômes du passés, pour finalement arriver en Israël comme une série de vieux corps échoués. L'image métaphorique (le bus errant rempli de vieux retournant aux racines du drame) n'est jamais lourde, parce que paradoxalement Finkiel n'en passe pas par une distanciation symbolique pour l'explorer : c'est toute une série de sensations universelles qui nous prennent pas la main - on monte dans le bus dans le noir de la nuit, on se colle à la vitre, on s'oublie dans le paysage, on écoute distraitement une conversation deux sièges derrière, on se blottit pour se protéger du froid...

Le deuxième effet flashback, c'est celui du cinéma d'auteur français des années 90, ici encore totalement intact des effets de rupture un peu poseurs, ou des effets d'étrangeté ou de frappe immédiats, impatients, de la génération qui suit (oui je sais, je généralise mais j'ai la flemme d'être plus fin). Le film, calme et solide, inspiré sans en faire le spectacle, balance entre la souveraineté impériale de sa proposition (le film en trois actes, la portée allégorique, le grand voyage d'hiver vers l'été, d'Auschwitz vers Israël) et des relents plus académiques, le naturalisme latent du film permettant le meilleur (la place et le temps laissés aux vieux acteurs, la fille du premier segment notamment est sublime) comme le plus paresseux (un rythme pépère dont point parfois l'ennui, des tableaux facilement désenchantés, des émotions en veilleuse, des enchaînement de scènes assez démonstratifs...). Globalement, le film souffre surtout d'une seconde partie qui peine à résonner fort au-delà de l'anecdote (bien qu'elle soit pas moche), et d'un premier acte très réussi qui écrase un peu les deux autres.

C'est joli et classe, tout de même. Je ne suis pas déçu (mais après, les années 90 je suis définitivement vendu, jusqu'au cinéma français auteuriste à déviances naturalistes de l'époque visiblement, c'est dire ).

Tu peux détailler avec des exemples qu'on voit à quels films tu penses exactement ?

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Liam Engle: réalisateur et scénariste

Sans même aller chercher les récents (la nouvelle nouvelle nouvelle vague...), je pourrais prendre un autre premier film sorti à peine trois ans plus tard, 17 fois Cécile Cassard d'Honoré, pour pointer les différence d'approche. Le cinéma d'auteur français dans lequel Finkiel s'inscrit a comme point de départ le naturalisme, la description posée des choses, et c'est à partir de cette base que ces films développent autre chose qui leur est propre, y compris des passages plus oniriques ou étranges, dans de lents glissements patients (c'est visible ici par exemple dans la scène des deux bus). Chez Honoré (sans vouloir absolument en faire l'avatar de toute une génération), on est dans une démarche révélatrice : direct à la scène qui m'intéresse sans s’encombrer du reste (les 17 scènes du titre), pas de base vraisemblable (on ne sait pas où on est, ce qui se passe, si c'est censé être réel), recherche d'un effet de frappe immédiat (la transe du passage dansé, par exemple). On doit pouvoir trouver d'autres films séminaux ces années-là, qui commencent à nier ce passage obligé par une base naturaliste (tout en en gardant pas mal de petites choses) pour aller direct vers ce qui les intéressent : Pas de repos pour les braves de Guiraudie (2003), Sur mes lèvres d'Audiard (2001)... Y a plein d'exceptions bien sûr (comme le premier film de Jérôme Bonnell, 2002), je parle d'une métamorphose lente.

Je trouve que ça se voit pas mal dans l'évolution de Desplechin, par exemple : j'ai pas vu Comment je me suis disputé, mais entre La sentinelle (1992) et Rois et Reine (2004), pourtant à la recherche du même parfum d'étrangeté, on a vraiment deux bases de travail différentes. Dans les années 90, le cinéma qui veut voyager vers le fantastique ou la fantasie (Marius et Jeannette de Guédiguian, par exemple, 1997), doit d'abord en passer par la description patiente d'un monde réaliste.

Bon je laisse Léo venir foutre en l'air mes suppositions avec une armée de contre-exemples