Quelques lectures de ces dernières semaines.
Deux prix Nobel de littérature, pour commencer.
La lac, Yasunari Kawabata
Ma troisième tentative de m'attaquer à Kawabata a été (enfin) la bonne, après avoir tenté à deux reprises de rentrer dans Pays de neige.
Nouvelle étrange, en tout cas, qui superpose présent et passé, accumule les personnages sans les faire se rencontrer, et se dévoile sans réel fil directeur, si ce n'est un rapport maladif aux femmes et une vision pervertie du beau, où sa quête se transforme en perversion. C'est dérangeant (on entre dans la tête d'un tordu de première, mais que Kawabata parvient à rendre sympathique malgré tout, tant il rend sa détresse palpable) et forcément daté dans sa description des rapports hommes/femmes, mais la virtuosité de l'ensemble, la profondeur des sentiments décrits, et la justesse de cette plongée dans la misère sexuelle emportent le morceau.
Superbe texte.
Plus de mal avec
Neige, d'Orhan Pamuk, roman politique qui entreprend de faire de la ville de Kars, près de la frontière arménienne, une allégorie de la situation politique en Turquie dans les années 90, avec la violence des militaires sécularistes face à la résistance des islamistes (c'est avant qu'Erdogan accède au pouvoir). Sur ce point, je trouve le roman passionnant, principalement parce que Pamuk parvient à expliciter en quoi le sécularisme turc est profondément différant du sécularisme occidental, dont il ne comprend pas l'essence, ce qui le rend complètement incapable de ne pas se retrouver en conflit frontal avec l'islam.
Je suis beaucoup moins convaincu par la dimension humaine du roman, profondément alourdie par la nullité crasse du personnage principal, poète raté qui passe 400 pages à essayer de se taper la fille de son hôte "parce qu'elle est belle", auquel il est absolument impossible de s'attacher, tant il est insupportable. Et comme Pamuk (qui s'essaie ici de façon foireuse au thème du double littéraire) est plus doué pour poser un cadre et lui donner vie que pour dépeindre l'âme humaine, ce personnage geignard devient vite relou.
Bref, mitigé... mais malgré tout content de l'avoir lu.
Et enfin :
The Spectator Bird, de Wallace Stegner : c'est un roman de vieux sur les vieux, mais surtout une plume incandescente, un style admirable et d'une densité folle, et des passages vraiment mémorables.
Ce court roman raconte le voyage d'un vieux couple d'Américains au Danemark, à la recherche des origines du mari. C'est bourré de références littéraires (avec même une rencontre fantasmée avec Karen Blixen), et comme souvent quand les Américains racontent l'Europe, c'est fait uniquement par un prisme bourgeois un peu vain (avec beaucoup, BEAUCOUP de fantasmes), et pourtant, les 150 premières pages sont admirables, et j'aurais du mal à y trouver quelque chose à redire tant ce roman sur les origines et l'hérédité est juste, beau, et profondément humain : c'est avant tout une histoire d'amour, mais une histoire d'amour du temps long, où la passion a laissé la place à une acceptation tendre de l'autre, malgré les épreuves, le deuil, et la mort qui approche.
Bref, j'avais vraiment la sensation d'avoir un chef d'oeuvre entre les mains... jusqu'à un final débile, qui n'a aucun sens, et vient tout gâcher en abandonnant ce ton low-key si savoureux pour une espèce de sensationnalisme à deux sous (et qui vient couler la toute fin, pourtant très belle).
Dommage... mais je conseille quand même.
Et autrement, en plein dans les essais de Loren Eiseley, ce que j'ai lu de plus beau depuis des années. C'est une honte que ce soit introuvable en français.