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 Sujet du message: Eroica (Andrzej Munk, 1958)
MessagePosté: 05 Juin 2017, 22:00 
Scherzo Alla Pollacca:
Insurrection de Varsovie, à la fin de la seconde guerre mondiale. Dzidziuś est un riche dandy, sarcastique et nonchalant. Engagé dans l'armée populaire mais n'ayant pas une mentalité portée au sacrifice, il déserte, façon "intellectuel dégagé", et rentre dans son riche domaine situé à l'extérieur de la ville. Il y retrouve sa femme ayant une liaison adultère avec un colonel hongrois, qui a accaparé le domaine. Les Hongrois sont en principe alliés aux Allemands, mais le colonel qui a réquisitionné le manoir de Dzidziuś a des sympathies pour les insurgés (et sent sans doute aussi que le vent est en train de tourner) : il demande à Dzidziuś de retourner à Varsovie pour passer un message à la résistance et éventuellement fédérer communistes et nationalistes. Dzidziuś s'acquitte de la mission autant pour fuir sa femme (frivole et insupportable), que par patriotisme (ainsi que peut-être par un masochisme suicidaire de bourgeois décadent). Le voyage qu'entreprend Dzidziuś est dangereux. De plus son allure de dilettante et son ton narquois, transformant la situation la plus tragique en bon mot, le rendent suspect auprès des résistants.

Ostinato Lugubre:
Un camp d'officiers polonais prisonniers des Allemands. Il s'agît d'un camp militaire, relativement clément, où la convention de Genève s'applique. Au bout de plusieurs années, la promiscuité entre hommes a installé un environnement à la fois grotesque (rempli par des rituels et paris dérisoires et puérils, comme des concours d'indigestions, ou des batailles plus ou moins sophistiquées et encadrées par la hiérarchie pour les provisions et cigarettes) et tendu (les clivages politiques sont à la fois diffus et palpables). Un nouveau groupe de prisonniers, liés à l'insurrrection de Varsovie, arrive, ayant une culture moins militaire, et plus politisés, plus idéalistes, ce qui accroît les tensions dans le baraquement.
Le baraquement vit dans le souvenir du Lieutenant Zawistowski, qui aurait réussi à s'échapper et serait passé en Angleterre. Il devient un mythe, et un facteur d'émulation auprès du Lieutenant Zak, à la fois acariâtre et intègre, qui va à son tour essayer de s'évader.
Il apparaît cependant que Zawistowski ne s'est jamais échappé, et se cache dans le faux plafond du baraquement, avec l'aide d'un ou deux prisonniers, ayant visiblement fait un collapsus nerveux
.



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Film remarquable. Je ne connaissait pas Andrzej Munk, un cinéaste un peu plus vieux que Wajda, mort prématurément à 40 ans. Le ton du film réunit le lyrisme historique de Wajda, mais sans l'emphase nationaliste, et l'humour métaphysique et grinçant de Roman Polanski. J'ai vraiment eu l'impression de découvrir une source cachée qui se serait peut-être divisée et appauvrie à mesure qu'elle accédait à la notoriété.
Il est assez surprenant de voir, dans le premier des deux sketches, une film issu de la Pologne post-stalinienne traitant de la seconde guerre mondiale par le biais de l'humour noir, à la manière d'Antoine Blondin ou Marcel Aymé, et faisant franchement allusion à des points douloureux du passé récent. La nonchalance cynique de Dzidziuś est une sorte de reflet de la passivité de l'armée rouge au moment de l'insurrection de Varsovie, qu'il utilise d'ailleurs comme excuse pour justifier son comportement vélléitaire et son dégoût.

Mais c'est surtout le second sketch qui est extraordinaire, et emmène le film vers quelque chose de très singulier, à la fois grimaçant et poignant. C'est un peu la Chute de Camus ou la Plage de Scheveningen de Gadenne (le lien entre la mauvaise conscience politique issue du passé immédiat et un vertige métaphysique radical, encore plus innomable que cette culpabiltié) transposés et approfondis au cinéma. Il faut voir ces plan où les officiers sont filmés de loin tournant en rond dans la cours du camp, comme des fourmis, à la fois enfermés, impuissants et préservés miraculeusement de la mort : leur survie les infantilise et les déshumanise. En créant une situation improbable, qui à la fois confirme inverse grotesquement la réalité historique
à la fin du film, les SS protègent le mythe de Zawistowski, décédé, en organisant un faux appel pour transporter son cadavre caché dans une chaudière, qui sert à préserver l'image d'héros nationaal de Zawistowski, mais aussi à dissimuler le corps et empêcher le deuil,
, le film fait aussi allusion aux camps d'extermination, selon une logique (celle de la modernité) où les épreuves du deuil, de la culpabilté historique et le sentiment d'une tragédie existentielle absurde sont progressivement transférés des personnages au récit, au film lui-même et à l'image, sont présentés d'abord commes des affects psychologiques individuels, avant que ces psychologies soient retournés comme des apparences et le deuil survive comme une situation quasi-matérielle qui contamine le film.


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MessagePosté: 12 Juin 2017, 16:33 
Je n'ai pas été au bout car il s'agît d'un film éprouvant, mais j'ai entamé la Passagère , que Munk n'a pas pu terminer car il est mort pendant le tournage
il s'agît d'un film sur les camps de concentration, dont le ton tranche avec l'ironie d'Eroica , qui toutefois avait déjà un aspect kafkaïen visionnaire, par devers l'ancrage historique précis.

Il est subdivisé en trois volets : dans les années 1960 une ex-surveillante SS d'une annexe d'Auschwitz, destinée à la récupération des effets personnels des gazés (principalement des enfants), s'est réfugiées aux USA, et s'est mariée avec un émigré au profil de vieux beau.
Elle revient en Europe lors d'une croisière, dans un bateau de luxe. Lors d'une escale en Angleterre, elle pense reconnaître une détenue (politique, le mot "juif" n'est peu prononcé, pour désigner les morts invisibles dans le centre de tri) qu'elle avait promue au rang de Kapo, et qu'elle croyait morte.

Il y a alors deux flashbacks, un premier dans laquelle elle raconte à son mari une version de ce passé à son avantage, où elle se montre touchée par l'enfer vécu par les déportés, et se présente comme ayant essayé de sauver, "dans la mesure du possible", ses subalternes. Suit une seconde version "qu'elle se raconte à elle-même", plus proche de la réalité, où le rapport avec cette femme apparaît beaucoup plus sadique (mais qui expose moins les camps comme "système").

Les deux flashbacks étaient reliés par une intrigue sur le bateau, que Munk n'a pas eu le temps de monter, et qui est présentée sous forme de photogrammes, avec une voix off qui énonce le récit du point de vue de la gardienne, tout en questionnant parfois les intentions possibles du réalisateur.
Les incertitudes sur le choix narratif de Munk et ses intentions pour arriver à une fin déjà définie, soulignent ainsi indirectement le caractère mensonger des souvenirs de la gardienne.
En revanche les deux parties qui concernent les camps ont été filmées, montées et post-synchronisées. Le mixage sonore est très doux, presque muet, avec peu de bruits d'ambiance , ce qui accentue le caractère irrepresntable des camps (et rend le film beaucoup plus juste que le Fils de Saul de Nemes, qu'il préfigure d'assez près). Les images les plus dures sont prises en grand angle, avec un énorme recul et solarisées, sans que l'on sache si cela relève d'un choix, ou bien d'un accident lié à l'état parcellaire du film.

Au contraire le récit lacunaire sur le bateau à base de photos, seelon un procédé proche de la Jetée de Chris Marker , évite au film verser une intrigue romanesque qui aurait pû être maladroite et trop grandiloquente compte tenu du sujet ; tout en assumant le risque de la fiction. Mais l'objet de la fiction est ici le témoignage lui-même, que le film répète et déconstruit.

Le tournage a été apparemment lent, discontinu et pénible, avec une césure nette entre la partie "documentaire", terminée et la" partie" fiction contemporaine, laissée ouverte et raturée, réduite à une note d'intention.

L'aspect inachevé du film lui permet de trouver une forme assez juste pour parler de "cela", sans (trop de) forçage ni d'interdits qui rendraient la mémoire de la Shoah trop dogmatique et dirigiste.
Cette hypothèse est peut-être impudique et gratuite, mais on peut se demander si la mort du réalisateur n'est pas une sorte d'acte à la fois manqué et réussi : un moyen indirect d'achever un film inachevable, en laissant les impasses morales et esthétiques tranchées par d'autres, tout en en assumant la part problématique. Il y a finalement une mise en abyme involontaire, troublante, mais assez ambigüe, le film a été monté par son assistant et primé à Cannes en 1966, le geste de sauvegarder la mémoire d'un film fragmentaire se superposant exactement, du fait de la mort accidentelle de Munk, à la sauvergarde de la mémoire des faits historiques eux-mêmes.


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