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MessagePosté: 26 Mar 2025, 19:33 
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A travers le portrait du jeune Andrés Roca Rey, star incontournable de la corrida contemporaine, Albert Serra dépeint la détermination et la solitude qui distinguent la vie d'un torero.

Après la déflagration Pacifiction (et la révision très à la hausse de ses deux précédents longs), j’attendais énormément du dernier Albert Serra, attente qu’il a à la fois outrepassée et complétement déjouée. Sur la base de son seul sujet (qui me semblait être une évidence, entre sa nationalité et son inclination à décrire ces mondes finissant au point de bascule vers la décadence), je m’attendais à ce qu’il livre un regard acerbe et goguenard sur le milieu de la tauromachie, et s’il y a bien une dimension grotesque dans Tardes de soledad, ce qui le caractérise avant tout c’est le profond respect de Serra envers ses principaux protagonistes, et la dignité qu’il accorde pareillement au matador et aux taureaux qui se font face. Pour ces derniers d’abord, le film s’ouvrant (après un générique totalement silencieux, caractères rouges sur fond noir) de nuit sur un taureau haletant dans son enclos pendant de longues secondes, nous faisant ressentir toute la puissance et la tension de l’animal. Eu égard aux martyrs que ses congénères vont vivre par la suite, Serra fait alors le seul choix qui me semble être opportun et respectueux. S’ensuit la captation de la quadrille entassée dans la camionnette qui les emmène vers les arènes, figure récurrente du film, qui concentre toute la malice du réalisateur et répond à la grande interrogation que je pouvais avoir sur comment il gérerait la bascule de la fiction au documentaire.

On connait maintenant bien la méthode Serra, tournage à 3 caméras, oreillettes pour les acteurs que Serra fait plus ou moins dévier du script, scènes de longueur hors norme pour laisser le temps à la vérité (de la scène, de l’acteur) d’y faire progressivement irruption. A la manière de de Oliveira ou de Bresson, avec ses propres règles. C’était donc pour moi la grande inconnue, comment ce grand manipulateur allait-il s’y prendre pour tordre le bras à la réalité et y faire advenir ce qu’il souhaitait. La réponse est dans ces scènes de transport, un dispositif de captation précis et au plus près de l’action (40cm entre l’objectif de la caméra et le visage du protagoniste qu’il capte), un nombre d’heures de rush une nouvelle fois gargantuesque (800 heures), et la parfaite sélection du sujet (Serra a d’abord suivi d’autres matador avant d’arrêter son choix sur Roca Rey). Parce que nul besoin pour lui d’influer sur les éléments de cette quadrille constamment survoltée, qui n’a absolument rien à envier à la cour du roi Louis XIV, assemblée d’infatués et de charlatans au chevet H24 de sa seigneurie moribonde. La réalité est ici au-delà de la fiction.

Et donc, loin d’être le documentaire critique auquel je m’attendais, Serra de resserrer au plus près le champ de sa captation. De ce qui entoure l’arène nous ne verrons pour ainsi dire rien, tout au plus quelques invectives interjetées çà et là par le public. Des aficionados des mots d’encouragements succincts lorsque l’on s’engouffre dans la camionnette. Non ce qui intéresse Serra, c’est uniquement ce combat à mort entre le matador et les taureaux, d’une bestialité et d’une violence inouïe, d’une totale inconscience également (on verra Roca Rey se faire quasiment encorné, plaqué contre la palissade par la bête de plus de 500kg, se faire arracher sa jambe de pantalon et repartir derechef au combat, séquence totalement hallucinante), voire de bêtise également partagée (pas pu m’empêcher de penser que si le taureau était moins con, il ferait demi-tour plutôt que de continuellement foncer tête baissée à chaque fois qu’on lui agite un chiffon devant les yeux, alors que son corps est déjà couvert de sang). Jamais vu un meilleur concentré de toxicité de ce que peut représenter masculinité et virilité poussés à leur paroxysme, virilité qui semble être la valeur ultime que le matador cherche à démontrer aux yeux du public et de ses concurrents, le nombre de grosses couilles prononcés sur plus de deux heures battant tous les record. C’est clairement là où Serra m’a le plus surpris, je ne m’attendais pas à ce que l’on passe autant de temps dans l’arène, aussi prêt des forces combattantes (si prêt parfois que les corps du matador et du taureau semblent fusionner), mais de fait à l’instar d’un film sur les libertins où il ne s’interdit aucune golden shower et autre anulingus, il ne transige jamais avec la réalité de son sujet (et c’est à mettre totalement à son crédit), la corrida est un « spectacle » d’une extrême violence et c’est très exactement ce qu’il va nous servir pendant quasiment deux heures, à de multiple reprises (on assiste à 5/6 passes différentes), jusqu’au dégoût. En toute sincérité, sans dire que le film à influer sur mes certitudes extrêmement négatives sur la tauromachie, du moins dois-je reconnaître qu’il a su les faire par instant vaciller.

Pour autant, et s’il a su ainsi me surprendre, Tardes de soledad reste malgré tout dans la parfaite continuité de ses précédents films, construit autour d’un personnage central magnétique, un Roca Roy mutique remplaçant ici Magimel et son costard en flanelle et semblant totalement planer au-dessus de tout ce qui l’entoure, totalement habité par sa mission, entouré d’une cour qui rivalise de termes flagorneurs pour le rassurer, constamment injurieuse (jamais vu un film où le flot d’insultes est à ce point nourri et continu, à l’encontre des taureaux, à l’encontre du public, à l’encontre des autres quadrilles, l’impression qu’ils sont en guerre contre la terre entière), survoltée (ce que je peux comprendre lorsque l’on se confronte ainsi en continu avec sa propre mort), les yeux exorbités lorsque Roca Roy se fait charger par un taureau. Et puis tous ces petits détails signifiants captés à la volée, la prépondérance de la religion avec ici l’image d’une vierge Marie, là un signe de croix avant de partir au combat, ailleurs la masculinité gentiment moquée lorsque le matador se retrouve en collant transparent monté jusqu’à la poitrine et ses chaussettes roses, ou encore des mots d’inquiétudes lorsque le taureau ne tombe pas assez vite au sol ou lorsque le couteau ne permet pas de couper l’oreille efficacement. En résulte, comme toujours chez Serra, cette ambivalence entre l'attirance pleinement assumée pour une figure de pouvoir à l'attraction certaine (voir envers laquelle le réalisateur se sent une certaine proximité), et une ironie mordante qui démystifie cette même figure et encore plus la cour qui l'entoure.


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MessagePosté: 27 Mar 2025, 11:57 
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T'as bien tout défriché, donc je vais me permettre de faire un gros +1 et de vous donner rendez-vous pour notre vidéo à tous les deux dimanche :mrgreen:

N'y allez pas si vous vous sentez pas de voir de la corrida de très près pendant deux heures. Y a aucune concession. Mais c'est une sorte de film d'action, pas si loin de Scorsese dans la description de violence et de vulgarité pures d'une bande de mecs passionnés. Avec, comme tu dis, toute l'ambivalence que ça suppose. Sacré morceau de cinéma.


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MessagePosté: 27 Mar 2025, 15:50 
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J'ai beau avoir détesté Pacification, le sujet ici m'intéresse. Je n'y connais rien en tauromachie mais revenant de vacances à Seville, j'ai découvert un engouement populaire qui me pousse à une curiosité morbide.


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MessagePosté: 27 Mar 2025, 16:03 
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Pacifiction. La pacification c’est pas trop le truc d’Albert. Pour la curiosité morbide tu seras servi.


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MessagePosté: 27 Mar 2025, 16:50 
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MessagePosté: 27 Mar 2025, 17:56 
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Mr Degryse a écrit:
J'ai beau avoir détesté Pacification, le sujet ici m'intéresse. Je n'y connais rien en tauromachie mais revenant de vacances à Seville, j'ai découvert un engouement populaire qui me pousse à une curiosité morbide.
En fiction, tu as le récent Animal qui est une excellente incursion dans le milieu de la tauromachie. Tu sens que la réalisatrice connait ce monde et ça pue l'authenticité. Après j'ai du mal à te le recommander car c'est bon pendant 1 heure, mais dans la dernière demi-heure ça se vautre dans du fantastique foireux à la française.


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MessagePosté: 30 Mar 2025, 16:26 
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Baptiste a écrit:
T'as bien tout défriché, donc je vais me permettre de faire un gros +1 et de vous donner rendez-vous pour notre vidéo à tous les deux dimanche :mrgreen:

Puisque personne ne vient poster son avis, restons entre nous.



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MessagePosté: 30 Mar 2025, 16:30 
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Il faudrait encore qu'il passe par chez moi


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MessagePosté: 30 Mar 2025, 17:08 
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Mr Degryse a écrit:
Il faudrait encore qu'il passe par chez moi


Tu n'as pas de salle arts et essais par chez toi ?

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MessagePosté: 30 Mar 2025, 19:47 
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Lille. 70 bornes.


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MessagePosté: 31 Mar 2025, 10:11 
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Ce qui m'a immédiatement surpris c'est la sécheresse et la simplicité du film. Aucun effet, aucune affèterie, pas de musique (à la fin seulement il me semble), pas de jeux de montage, aucun commentaire ou carton. Un film qui se divise pour sa plus grande partie en deux espaces contradictoires l'arène ouverte durant la corrida et le mini van fermé où se retrouvent tous les participants avec au centre le héros, le matador. Et le principe de mise en scène de Serra est là aussi finalement assez simple. Essayer de capter l'expression la plus pure de cette discipline (ou divertissement, on ne sait trop comment le nommer) en filmant au plus près sees personnages principaux, le torero évidemment, ses compagnons mais aussi le taureau. Cela crée un film à la fois absolument limpide dans ce qu'il montre et dans sa manière de le faire et en même temps suscitant une espèce de vertige esthétique passionnant.

J'adore vraiment cette approche documentaire où tu es laissé seul face au film, il n'y a pas de "prêt à penser" et c'est d'autant plus précieux ici que ça concerne un sujet hautement polémique qu'est la corrida, très majoritairement rejetée (en France du moins) et qui semble réservée à une population bloquée dans des traditions barbares et ridicules. On est face à tout simplement la réalité de la corrida ni plus, ni moins. A nous d'en faire un objet de rejet intégral ou de nous pâmer devant le rituel et le danger pris par ses protagonistes (il faut avouer que l'image de cet homme couvert de sang dans ses habits de lumière a quelque chose de furieusement iconique). Alors évidemment ce qui est passionnant c'est ce qui ressort naturellement de cette captation de Serra. C'est finalement cette dichotomie entre les apparats et les intentions (qui s'exprime parfaitement dans un paradoxe entre les images et les sons). Un homme richement vêtu (les vêtements sont sublimes), qui semble obéir à un rituel presque fantastique (cette manière de mettre son chapeau, cette eau uniquement bue dans un goblet en métal) et qui affronte une bête puissante et sanguinaire mais derrière ça un homme ridicule, totalement imbu de sa personne et égocentrique qui n'a aucune espèce de respect pour l'animal en face de lui, lâchement insulté et même pour le public qui le regarde.

Cela s'exprime particulièrment dans les scènes du mini van où on assiste à un véritable boy's club où ça ne parle que de tailles de couilles avec une espèce d'admiration béate des collègues d'Andrés Roca Rey qui ne font que lui dire à quel point il est génial et il est le meilleur. Et au premier plan cet homme qui ressemble à un enfant (détail absolument génial du bonbon au début), à une espèce de petit roi entouré de sa cour. C'est vraiment fascinant. D'autant plus que la corrida c'est aussi le paradoxe de cet unviers très masculin dans une esthétique presque effeminée. La scène où il s'habille n'a littéralement rien de viril bien au contraire.

Un documentaire en tout point passionnant, dans la durée de ses scènes et encore une fois dans sa simplicité qui nous dit, voilà la tauromachie, son rituel, ses protagonistes. A vous d'en faire une matière à penser. Et du coup c'est un film devant lequel on est sans cesse en ebullition, tout à la fois fasciné, dégouté, indigné... Je ne m'attendais pas à aimer autant (malgré mon amour pour Pacifiction).

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CroqAnimement votre


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MessagePosté: 31 Mar 2025, 11:04 
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Art core en mode je chauffe Degryse à faire 150 bornes en voiture mardi soir.


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MessagePosté: 31 Mar 2025, 11:10 
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Antichrist
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Pour compléter, mon interview de Serra
https://www.parismatch.com/culture/cine ... ite-249394

et un portrait WTF de Roca dans Paris Match, avec une photo crypto-gay qui a fait tripper Serra quand je lui ai montrée.
https://www.parismatch.com/actu/sport/a ... nge-227867


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MessagePosté: 31 Mar 2025, 11:27 
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Serra qui confirme son statut de réal Match-soluble.


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MessagePosté: 31 Mar 2025, 11:27 
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Excellente interview de Serra, il semble moins faire le fanfaron que fasse à un public, et il dit beaucoup de choses très intéressantes.


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