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MessagePosté: 09 Déc 2011, 00:36 
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Une étudiante en Histoire enquête sur la "Cité de la Muette", à Drancy, ancien camp de concentration pour les Juifs, près de Paris - cité HLM encore habitée aujourd'hui.


Des Pallières a fait part de son amour égal pour Duras et Terminator, et de son désir de marier les deux. Il ne devrait donc pas prendre ombrage du fait que, durant la vision de son film, la phrase qui finit par me venir en tête fut une citation de Doctor Who. "Il y a des points fixes dans le temps, qui ne peuvent pas être réécrits, et qui doivent toujours advenir".

J'ai le sentiment que c'est ce qu'il a filmé : un point fixe dans le temps (l'extermination), qui aussitôt advenu a contaminé de manière irréversible passé et futur. Et qui altère notre présent, surtout, qu'on ne peut plus conjuguer autrement qu'avec lui. Le refus d'archive ou de témoins (qui bientôt, nous dit-on, n'existeront plus : tout le sujet du film est d'ailleurs plus ou moins de savoir comment faire avec cette absence prochaine de lien vivant à la catastrophe), et l'utilisation de ce décor non ré-aménagé (HLM inchangé et réinvesti par la vie quotidienne), lui permet de marier Shoah et présent comme il l'entend : de filmer la cohabitation plutôt que le face à face, la contamination plutôt que la preuve. Bref, de se focaliser sur ce qu'est devenu le monde, sur la végétation inquiétante et omniprésente qui a pris racine dans la cité comme d'autres forêts fleurissent sur Tchernobyl, des bois se nourrissant des eaux calmes de la rivière du temps - d'avantage que sur l'évènement qui arriva à Drancy durant ces années, quand bien même les camps occupent la quasi-totalité des textes lus.

Faire l'expérience de ce présent muté, c'est d'abord le projet dans lequel le film nous embarque. Talent d'envoûteur et de conteur (toujours aussi incroyablement lisibles et limpides, ces voix multiple), parure toujours aussi monstrueusement séduisante, Des Pallières est à son aise sur ce terrain-là, sur cette transfiguration du réel par l'infiltration de mondes parallèles, de visions et de traumas, de cauchemars suggérés avec trois fois rien (une simple question de diaph, dans le sublime dernier plan). Le plan-séquence de l'aiguillage, sommet du mariage ambiant entre les temporalités et les images, qui abandonne illico toute tentative d'ancrage (images de quand ? d'où ? de quoi ?), est peut-être l'exemple le plus parlant de cette capacité à ne pas rester la tête plongée dans l'évènement, à ne pas être soumis à son autorité historique.

C'est en ça que son film, malgré l'écrasant héritage cinématographique qu'il prolonge, et dont il est visiblement très conscient, me semble se démarquer du rapport coupable qu'a eu le cinéma moderne vis-à-vis de la Shoah. C'est aussi son défaut de jeunesse d'y être encore un peu trop rattaché, comme si Des Pallières agissait en apprenti des modernes, de façon parfois scolaire - on pense notamment au Godard des années 80-90, qui traîne parmi de nombreux tics (la façon d'utiliser les jeunes acteurs, par exemple), notamment durant la scène de cours. Cela pourrait rester des maladresses, si finalement cela n'entravait pas (j'en ai l'impression en tout cas) les possibilités du film : je sens comme une gêne, en tant cas une prudence, à sortir plus que de raison de l'évènement, quand bien même le geste premier du film est de le contourner - comme s'il fallait toujours rendre tribut par une discipline exigeante à l'holocauste, se condamner à une certaine austérité. Dans la façon dont le film a trouvé son rapport au lieu, dans la façon dont il en déduit et déplie son programme, il y a ainsi une certaine facilité : ce n'est pas étonnant, finalement, si le film ne se permet pas d'autre rapport que cette superposition de l'image et de la voix, sans autre rouage que cette simple cohabitation. C'est la matrice du style Des Pallières, son point fort, mais aussi sa maîtrise pépère et du même coup sa limite.

Je suis de plus en plus convaincu que Des Pallières a besoin d'une altérité, de quelque chose de profondément étranger à son cinéma (ou pour être plus précis : d'étranger à la caricature du cinéma d'auteur français), pour que son talent s'épanouisse complètement. Ici, c'est la rivière au jour tombant, cette traversée du temps qui prend forme d'une belle manière, tout en restant malheureusement trop prudente. Dans son meilleur film (on le répètera jamais assez), c'était le clash spectaculaire avec une utopie qui, sous la forme d'un parc de loisir, était tout son contraire. Et ce genre de clash, ici, me manque...

Quelqu'un lui faisait remarquer très justement, dans un entretien, que le foisonnement de références dans ses films évitait presque toujours le patrimoine cinématographique, comme si cela était trop incestueux (il y a en fait justement un extrait de film, dans celui-ci, mais vraiment bien trouvé, et d'ailleurs mis à distance par la crudité rauque de la texture VHS). Je pourrais tirer les mêmes conclusions des objets qu'il filme : son cinéma reste l'enfant d'une longue lignée auteuriste française, et de l'approche terne et atone qui la caractérise. Et le tranchant du cinéma moderne comme le mystère du conte ne peuvent à eux-seuls l'en détacher complètement...

Drancy Avenir manque de ce grain de sable dans l'impeccable mécanique, de cette étincelle qui puisse sortir le film de sa boucle, du ton ambiant de constat, de sa dimension d'objet irréprochable. Il manque un risque.

J'en reviens à cet héritage des modernes : tant qu'à apporter une nouvelle pierre cinématographique à la façon d'approcher la Shoah, Des Pallières aurait sans doute du se permettre de libérer, sans hésitation aucune, toute la dimension poétique de son cinéma. Je n'attendais que ça, ce démarquage - créer une véritable nouvelle étape dans la façon de traiter de l'évènement (une façon de sa génération à lui, qui lui soit propre ; pas celle de ses modèles). Il me semble que, malgré la très grande force et beauté de son film, il a un peu raté le coche, le rendez-vous avec une génération cinéphile qui continue à attendre d'avantage de lui.


Presque tout vu, sinon, à présent.
On en arrive là, pour mon top Des Pallières :

1 - Disneyland mon vieux pays natal
2 - Drancy Avenir
3 - Les choses rouges / Adieu / Poussières d'Amériques
6 - Parc
7 - Is Dead (mais à revoir...)


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