Vraiment pas mal. Le titre laisse craindre un récit folklorisant (c'est en partie cela) mais il s'agît plutôt et tout à la fois d'une fresque politique, d'un récit d'initiation familiale puis sexuelle dans le contexte de la colonisation de Taïwan par le Japon (qui précède la guerre avec la Chine continentale et a duré pendant 50 ans, de 1895 à 1945). L'occupant d'abord réprime (pendant l'enfance du maître) puis au moment de la seconde guerre mondiale (qui correspond à sa maturité) essaye de récupérer la tradition du théâtre de rue taïwanais à des fins de propagande.
En fait, le film raconte la vie d'un collabo avec sa participation. D'abord présent en voix-off pour lancer les séquences en parlant de son enfance, il apparaît tout à coup dans le plan à mi-film pour exprimer une conscience nationale qui surplombe le récit, mais le film décale à son tour le récit qu'il fait (qui est peut-être plus fictif que le film) sans le trahir ni se mettre dans une position d'obligé, ce qui est un point de vue assez fort. L'assurance et l'espèce de mythomanie calme du vieillard lui confèrent une fragilité qui désamorce la pertinence d'un procès historique, car ils sont déjà suffisamment contrebalancés par la fiction qui le montre au contraire taciturne et déterminé dans un monde qui tout à la fois l'accepte, le protège et le perd, dans une vie qui est déterminée aussi bien par la nature que l'idéologie. Le film n'est pas sans rappeler 1900 ou le Conformiste de Bertolucci ou des films comme "Non ou la Vaine Gloire de Commander" de de Oliveira. Le montage et le travail sur la profondeur de champs, les raccords sonores entre les plans, la circulation des corps et du regard sont magnifiques (grosse influence sur le Jia Zhang Ke de Platform). Le dispositif (une fiction intimiste qui commente et recadre la voix off du maître de marionnette réel; qui lui émet des poncifs auto-justificateurs sur la guerre, plutôt que l'inverse) permet de basculer insensiblement du récit intimiste apparemment anecdotique vers le film-monde.
Cela permet de comprendre mieux "les Fleurs de Shangaï" (dans lequel je n'étas absolument pas rentré) qui est thématiquement et formellement très proche, mais qui à la fois développe le regard sur les corps et l'espace et soustrait la mise en scène du contexte historique
Bien envie de voir le reste de sa trilogie sur l'histoire de Taïwan au début du XXème siècle ("La Cité des Douleurs" et "Good Men, Good Women").
Par contre la copie que j'ai vue à la Cinémathèque de Bruxelles avait veillie, avec des griffes qui dessinaient des motifs abstraits, dansants silencieusement et s' harmonisant accidentellement au rythme de film. Ce n'était pas génant, mais évoquait un film venu d'un passé lointain, antérieur à la seconde guerre, alors qu'il s'agît d'un film de la période précédant immédiatement l'arrivée du numérique. Les films de cette époque sont paradoxalement plus mal conservés que des films plus vieux qui sont plus facilement considérés comme classiques.