Emilie fait un film pour tenter de saisir le plus grand mystère de l’univers : sa mère, Meaud. Enfant brisée, mère punk, grand-mère géniale, féministe spontanée, elle fascine autant qu’elle rend dingue. Une odyssée intime, un voyage dans le labyrinthe de la psyché.Pour qui a découvert le cinéma d’Émilie Brisavoine avec son premier long
Pauline s’arrache il y a dix ans, pas de surprises puisque
Maman déchire se concentre sur cette même famille dysfonctionnelle (même si elle opère un recentrage de la belle-famille vers la propre famille de la réalisatrice, qui endosse ici le premier rôle), et s’appuie sur un dispositif d’images pareillement bruts, qu’elles soient issues du passé (photos, films Super 8 et camescope) ou du présent (Skype, WhatApp). Dans le précédent Émilie Brisavoine gardait une certaine distance, puisqu’elle n’était que le témoin du conflit ouvert entre sa demi-sœur et ses parents, distance qu’elle décide de rompre ici puisqu’elle ambitionne d’enfin confronter sa mère à ses manquements passés (son abandon), aux blessures qu’elle a ouverte sans jamais chercher à les refermer.
Réduits à ces quelques lignes le dispositif n’est pas sans rappeler
Une famille de Christine Angot, qui en l’absence d’un père incestueux décédé allait à la rencontre des témoins familiaux de ses abus et leur demandait des comptes sur leur absence de réaction et d’empathie (voir de dénégation) lorsque les faits furent commis. Mais le résultat me semble aussi opposé que possible, quand bien même (ou justement parce qu’)ils partagent un même rapport à la question de l'indécence. Chez Angot cette indécence se caractérisait par une irruption contre la volonté de certains de ses interlocuteurs (exemplairement au domicile de sa belle-mère, scène particulièrement malaisante), une manière de répondre au viol par un autre viol, symbolique celui-ci, de l’intimité domiciliaire d’autrui. Ça n’est certes pas cet angle de son documentaire qui m’aura le plus convaincu. Chez Brisavoine c’est par contre la conscience que de déballer les affaires de famille, ne serait-ce que des documents issus d’archives familiales, c’est déjà en soit obscène. Elle entreprend donc de désamorcer cette indécence en exposant les excès sentimentaux (détresse de son frère qui fond en larmes, furieux emportements de sa mère lorsqu’elle vide enfin son sac) tout en les tournant en dérision (toute la partie sur l’enfant intérieur et la litanie de charlatans qui se proposent d’en apaiser les souffrances). Sans amoindrir la sincérité et l’urgence de sa démarche, elle atteint ainsi une humilité bienvenue. Et en essayant d’expurger le film de tout égocentrisme, elle parvient à une certaine forme d’universalisme. Parce qu'il n'y a rien de plus commun et de plus complexe que les rapports parents-enfants, et que l'on ne sait jamais trop comment affronter les trauma passés (soient-ils les plus futiles).
Si on devait alors faire un rapprochement cinématographique, il me semble que le plus pertinent serait avec Sophie Letourneur, deux réalisatrices qui ne se destinaient pas à faire du cinéma et dont les œuvres se caractérisent par une même liberté plastique et formelle, un vraie regard féminin (et désacralisant) sur le couple, la parentalité, la famille, une note humoristique appuyée, un vrai vent de fraîcheur dans l'univers parfois trop sclérosé du cinéma d'auteur. Dans
Maman déchire Brisavoine multiplie les mélange de tons et de formes, jusqu'à ce filtre Snpachat appliqué à l'image de son enfant intérieur qui n'est pas sans rappelé la Bobita de
N’attendez pas trop de la fin du monde du grand expérimentateur formel qu'est Radu Jude. Au bout de deux documentaires il semble évident qu'Émilie Brisavoine a épuisé le vivier familial, elle dit vouloir se tourner vers la fiction (ce qu'elle a sans succès essayer de concrétier pendant 5 ans après son premier), espérons sincèrement que cette fois elle y parvienne.