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MessagePosté: 03 Déc 2024, 20:57 
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A gothic tale of obsession between a haunted young woman and the terrifying vampire infatuated with her, causing untold horror in its wake.

Robert Eggers a découvert le film original à l'âge de 9 ans, via une VHS tirée d'une copie 16mm, la basse résolution rendant le film d'autant plus impressionnant aux yeux du gamin et, après l'avoir joué sur scène dans sa jeunesse, son remake fut le premier projet annoncé au lendemain de ses débuts assurés avec The Witch. Il aura fallu près de dix ans pour que le cinéaste concrétise enfin cette envie ou plutôt devrait-on dire exorcise enfin ce spectre qui hantait déjà ses précédents films et notamment le premier donc, dont ce Nosferatu s'apparente à une suite thématique, parvenant à justifier son existence après les versions de Murnau et Herzog (et 1001 adaptations de Dracula dont le film de 1922 est un plagiat) avec un nouvel axe, dans la continuité de l’œuvre de l'auteur.

Dans cette nouvelle itération, le personnage féminin, Ellen, est tout autant un protagoniste que le simili-Jonathan Harker, Hutter, si ce n'est le protagoniste principal. C'est elle qui ouvre le film, avec une vision onirique qui donne le ton ni expressionniste comme le Murnau, ni naturaliste comme le Herzog, ni opératique comme le Coppola mais profondément gothique et cauchemardesque, et illustre d'entrée la question qui sera posée par le texte plus tard sur l'origine du Mal. Sans refaire le Coppola, un lien unit l'héroïne au vampire et l'on pourra théoriser longtemps sur sa signification exacte mais c'est sa nature métaphorique qui m'apparaît comme la plus pertinente, faisant du Comte Orlok la manifestation du désir sexuel d'Ellen.

Herzog faisait déjà de sa Lucy un être sexué et Coppola évoquait déjà la répression sexuelle des jeunes anglaises de l'ère victorienne mais Eggers surenchérit en accentuant le traitement que réservent les hommes (mari, ami, docteur) pensant "aider" la jeune femme "hystérique", à grands renforts de corset médical et de culpabilisation alors que cette épouse délaissée - et presque indirectement vendue - par son conjoint est juste horny on main. En outre, le vampire campé par un Bill Skarsgard incroyable n'a rien de l'Orlok mélancolique de Klaus Kinski ni du Dracula romantique de Gary Oldman. Il garde un aspect humain et charnel mais parce qu'il ressemble davantage à un cadavre en putréfaction, avide de vie, qu'à ses prédécesseurs. Il devient l'incarnation de l'appétit des personnages, qu'il soit sexuel ou cupide, Hutter étant loin d'être totalement innocent. Ce n'est sans doute pas un hasard si le réalisateur a choisi Lily-Rose Depp et Nicholas Hoult, avec leurs pommettes saillantes qui leur donnent à chacun des faciès émaciés...de vampires.

Parmi les variations apportées par Eggers, il y a également le personnage de Willem Dafoe, qui s'ajoute au médecin analogue de Van Helsing afin d'opposer à l'explication scientifique inefficace l'acceptation de l'occulte. Dès The Witch, Eggers présentait un fantastique qui n'appelait pas au doute, évacuant ce dernier en montrant la sorcière dès les premières minutes. Les personnages pouvaient se poser la question mais in fine, l'héroïne trouvait son salut en s'a(ban)donnant au folklore. C'est la notion qui traverse la filmographie du cinéaste : que choisit-on de croire? est-ce que nos croyances nous sauvent ou nous condamnent? Ici aussi, ce n'est que lorsqu'Ellen accepte de croire à la légende, et accepte donc le "Mal" en elle, qu'elle peut trouver la solution finale qui élude aux hommes, qu'elle peut s'émanciper, quel qu'en soit le prix. Si le récit ne peut plus surprendre dans sa mise en place, le dernier tiers, dans lequel Eggers donne à son héroïne plus de pouvoir d'action que dans les précédentes adaptations, emporte le morceau.

Et comme elle on ne peut que céder à l'emprise horrifique, celle du film, beau à tomber dans son 35mm au grain pesant et tangible et ses plans-séquences toujours aussi immersifs que les dialogues d'époque, dans l'intensité de ses moments d'épouvante comme cette première rencontre entre Hutter et Orlok où la créature, par sa seule présence dans la périphérie du champ, retrouve tout ce qu'elle peut avoir de plus glaçant.

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MessagePosté: 03 Déc 2024, 21:02 
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Robot in Disguise
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Pas lu l'avis, évidemment chaud bouillant. Je ne sais même pas qui joue le Conte Orlok.

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Liam Engle: réalisateur et scénariste
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MessagePosté: 26 Déc 2024, 22:53 
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C'est évidemment de bonne facture et même plus sur le plan visuel, mise en scène, DA, etc. Certaines séquences valent le détour, pour schématiser le début et la fin sont bien.

Mais l'ensemble est bien trop "sage" et appliqué, que ce soit dans l'ambiance générale, les cadrages, le découpage, le choix de la voix pour le démon (moustachu?!)... Moi qui ai vu le Coppola y a deux mois, la différence en terme d'audace saute aux yeux. Il faut dire que la trame est vraiment la même, quasi scène après scène, et ça ne tourne pas à l'avantage d'Eggers qui surligne tout - et pourtant je ne suis pas un fan du Coppola, qui m'a plutôt poliment ennuyé.

En fait, au visionnage de la bande-annonce il y a plusieurs mois, j'étais déjà légèrement déçu qu'Eggers, assez courageux et original lors des choix de ses sujets précédents, ait choisi de faire une énième version de ce mythe. Et ça se confirme: quel est au fond l'intérêt de ce film en dehors de le faire connaître à une nouvelle génération de spectateurs (ce qui peut se défendre en soi)?


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MessagePosté: 05 Jan 2025, 13:11 
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Attention tarte à la crème: je suis fasciné par le métier de réalisateur car tout n'y est que question de point de vue. Même sur un sujet ou un décor ou une situation traitée mille fois, chacun y amènera toujours sa perspective, bonne, mauvaise, réchauffée ou pas, mais spécifique. Et forcément c'est sur les adaptations moult fois faites que cette perspective saute le plus aux yeux. Un peu comme dans le BATMAN de Matt Reeves, où le mec est obligé de faire son propre batsuit avec son délire perso sans faire trop redite avec tout ce qui est venu avant.

Bref forcément très intéressé de voir ce cinquante-millième DRACULA, en plus d'être le remake arbitraire du légendaire plagiat allemand, lui-même remaké depuis.

Et les spécificités eggersiennes sont jouissives. Son amour du paganisme, son obsession pour les folk et leur lore, et puis bien sûr son kink pour les voix sépulcrales et tonitruantes, tout ceci contribue à créer une vision étonnamment fraîche d'un matériau usé jusqu'à la moelle.

Parlons-en de ce Orlok ! Déjà c'est trop bon de voir à quel point il est ancré dans "un territoire". La scène dans la village transylvanien, génial. Bon, j'aurais aimé moins de décors VFX mais ça reste ancré. Et son look mes aïeux. Ce côté à la fois émacié et massif, presque loup garou avec son manteau ; sa toque ; son hommage au look du Orlok originel avec le grand crâne et le nez de... euh... de goblin ; et puis la moustache ! Ce détail du livre qu'aucune adaptation ou presque ne respecte et qu'Eggers embrasse pleinement.

Quant au parti-pris undead, il est génial. Jamais on n'a autant senti un vampire littéralement non-mort, en putréfaction, galérant à respirer. C'est glaçant.

Là où le Dracula de Coppola n'était au final qu'amour (oui je suis indulgent avec lui), celui d'Eggers n'est que désir et volonté de posséder. Film Freak dans son avis met parfaitement le doigt dessus avec ce vampyr comme une incarnation du désir d'Ellen, désir qui fait peur à Hutter (irregardable Nicholas Hoult) et que les autres docs essaient tant bien que mal de contenir. Dès la première scène j'ai adoré comment c'était déjà en place: cette ombre maousse dans les rideaux, cet appel de l'ailleurs...

Après ça résulte en un film quand même un peu opaque et donc froid as fuck, où les motivations des personnages ne sont pas toujours claires. Pas tout compris aux revirements d'Ellen, elle veut, elle veut pas, elle résiste, elle cède ?

Mais au final ça ne suffit pas à gâcher mon plaisir de ce film envoûtant.

Bon par contre j'attends maintenant les avis des débiles: "weuh pourquoi tout le monde parle (avec l'accent) anglais ?"

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Liam Engle: réalisateur et scénariste
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MessagePosté: 08 Jan 2025, 22:25 
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Antichrist
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Pas très convaincu. Si la direction artistique est impressionnante, le film souffre de la comparaison avec le Herzog et surtout le Coppola plus troublant et érotique. L'ouverture est bien, la fin marquante mais le film patine entre les deux, la faute aux seconds rôles. Je crois que je m'attendais à plus de liberté sur le récit en lui-même, c'est vraiment la même trame que les deux autres... Lily Rose Depp est relativement convaincante (mais bon, par rapport à Wynona Ryder...) quant aux deux mecs, ils souffrent hein, on va pas se mentir? Dafoe fait du bien quand il arrive.

3/6


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MessagePosté: 09 Jan 2025, 10:34 
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Karloff a tout dit.

Me suis quand même grave fait chier.

Je suis plutôt client des précédents films de Eggers tout en les trouvant chaque fois un peu moins bien que le précédent, je pense que le dénuement lui convient mieux. Il y a des choses très réussies, Orlok lui-même, toujours ce travail sur la gutturalité et les rites païens qui se limitent un peu trop ici au passage obligé. Mais vingt dieux, 2h20 pour ça avec un énorme ventre mou qui laisse la part belle à des personnages secondaires tous entièrement cousus de fil blanc. Le muet emballe tout ça sans temps mort en 1h20, bam bam bam et c'est parfait.

Et il y a une telle déférence et un sérieux papal vis à vis de l'original qu'on étouffe. J'avais adoré dans The VVitch et un peu The Lighthouse, qu'on soit plongé dans la morale et les querelles de l'époque au premier degré sans, san recul narquois, ici ça passe plus mal. Tout ce qui tourne autour de Aaron Taylor-Johnson est juste interminable. Il y a tout le sous-texte sur la sexualité, mais ça reste finalement hyper timide.


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MessagePosté: 09 Jan 2025, 19:26 
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Antichrist
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Aaron Taylor-Johnson


Sacré acteur lui.


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MessagePosté: 10 Jan 2025, 10:17 
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Le petit Art Core est demandé dans le topic.

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MessagePosté: 10 Jan 2025, 10:20 
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MessagePosté: 22 Jan 2025, 09:27 
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J'ai des sentiments contradictoires suite à la vision du film. En même temps, je trouve le film visuellement d'une classe folle. C'est souvent très beau. On est dans le haut du panier du cinéma de divertissement actuel. Il y a des images fortes qui restent en tête ( l'image finale notamment). Orlok est particulièrement réussi. C'est le point fort du film. Même Lily-Rose Depp dont je ne suis habituellement pas fan offre une bonne performance.
Cependant pour tout spectateur connaissant les précédents films sur Nosferatu notamment le Coppola, il n'y a quasi aucune surprise et on peut se demander l'intérêt de faire un tel film ( à la fois l'envie du réalisateur mais aussi des financeurs). La comparaison avec le Coppola est clairement en faveur de ce dernier. Il y avait en plus cette histoire d'amour, de la vie, de l'emphase, etc. Ici tout est froid et solennel. On s'attache à aucun personnage. Il y a aussi le bémol d'une partie du casting secondaire. Notamment Dafoe. C'est le seul à ne pas jouer avec le sérieux premier degré du film et cela déparait dans ce long métrage d'un sérieux absolu.

Bon film mais cela aurait pu être encore plus.


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MessagePosté: 22 Jan 2025, 09:45 
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tape dans ses mains sur La Compagnie créole
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Je ne suis pas spécialement fan de Robert Eggers, que je vois comme un formaliste talentueux mais qui ne m'a jamais vraiment embarqué. Ses films sont beaux mais je n'ai jamais été à fond. (c'est du 4/6 mais jamais plus)
Est-ce le prestige du légendaire Nosferatu, je ne sais pas, mais j'en attendais beaucoup de cette nouvelle version. Hélas, ce n'est pas avec ce film-ci que mon avis sur Eggers changera, bien au contraire.
Très soigné esthétiquement, le film est ainsi traversé de quelques fulgurances visuelles, mais a posteriori je me dis que le film aurait pu encore aller plus loin, le film ose peu de choses finalement, et semble s'empêcher de pousser le curseur à fond. Mais le vrai souci, c'est que je trouve le film vraiment désincarné. Tout prend trois plombes à se mettre en place, tout est alourdi, que ce soit par le rythme, les dialogues, les personnages secondaires... Tout m'a paru interminable. Quand, à la fin (qui est pas mal, pour le coup), on voit finalement le récit aboutir, je n'étais déjà plus très réveillé pour l'apprécier pleinement. Bref, le film, assez long en soi, m'a paru interminable et j'en suis sorti déçu, avec ce sentiment que Eggers avait raté son coup, ce qui est vraiment dommage puisqu'il réalise là un rêve de gosse.

3/6

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MessagePosté: 22 Jan 2025, 23:01 
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Alors j’ai adoré (et je vais spoiler).

Adoré d’autant plus que j’admire Dracula de Bram Stoker, un roman qui, depuis 1897, n’a rien perdu de son dynamisme, de son suspens et de sa richesse polyphonique comme formelle. Incroyable aventure épistolaire.

Adoré d’autant plus que je trouve que les vampires à l’écran sont un des plus spectaculaires ratages du medium. Le Murnau est une archive précieuse, mais le fait est qu’un film qui a 100 ans paraîtra toujours plus dépassé qu’un texte qui en a 130 ; Bela Lugosi et Christopher Lee sont cultes et iconiques, des images irremplaçables, mais les films sont nuls ; Coppola, au-delà de sa fougue formelle, y a infusé un romantisme parfaitement tarte à base d’amour maudit qui réduit d’une part l’impact de la menace, puis rabougrit le personnage Mina. Elle se trouve reléguée à une sorte de parodie de cruche victorienne, version débile de Juliet, qui ne lutte contre pas grand-chose, et certainement pas contre ses sentiments pour un monstre, alors même que le personnage original est un modèle de ressource et de combativité (elle est même littéralement l’autrice de la compilation de lettres).

Adoré d’autant plus que la BA semblait vendre un personnage féminin plein de soupirs qui traîne son air de chien battu d’un boudoir à l’autre. Je voyais donc venir le truc, d’avance lassé, en mode emprise lourdingue et plaintive + vampire qui charriera les mêmes poncifs romantico-toxiques en peut-être plus dégueu. Quelle ne fut donc pas ma surprise.

Déjà, rien que formellement et en termes d’effets, c’est le premier film de Robert Eggers face auquel je ne me suis pas fait chier une seule seconde. The Northman, son plus convaincant jusque-là, avait encore quelques longueurs complaisantes. Là, ce n’est plus le cas. Captivé de bout en bout, aussi bien par les scènes d’installation, formidablement dialoguées, que dans les moments de pesanteur cauchemardesque, lors des rencontres et confrontations : c’est toujours intéressant à regarder, observer et écouter.

Je pense de plus en plus qu’Eggers est un meilleur adaptateur qu’autre chose, qu’il a besoin d’un matériau de base déjà très riche (une tragédie, un roman (ou le plagiat d'un roman, soit)) pour y ajouter non seulement son sens de la narration visuelle, ici d’une grande maîtrise, mais aussi ses obsessions que je trouve louables et intéressantes, mais jusque là mal exploitées. Ainsi :

Film Freak a écrit:
Dès The Witch, Eggers présentait un fantastique qui n'appelait pas au doute, évacuant ce dernier en montrant la sorcière dès les premières minutes. Les personnages pouvaient se poser la question mais in fine, l'héroïne trouvait son salut en s'a(ban)donnant au folklore.


Alors ce n’est pas tant le fantastique qui ne prête pas au doute, c’est surtout la nature du mal. Dans The Witch, la sorcière existe, Satan existe, les deux sont dangereux et malveillants. Les Puritains ont raison. La jeune femme ne trouve aucune espèce de salut, bien au contraire. Elle se damne entièrement.

Et on retrouve ça en mode full frontal dans ce Nosferatu avec d’abord le monastère orthodoxe. Ses moniales et son prêtre connaissent parfaitement la nature du mal, son origine et son fonctionnement (tandis qu’à ce sujet, Von Franz, occultiste passionné mais dilettante (il se définit même comme « touriste »), ne possède que des bribes de notions livresques). Connaissances religieuses — savoirs, à vrai dire— qui permettent aussi à Hutter d’être libéré de l’emprise du comte et de verbaliser, donc d'incarner, son inquiétude pour Ellen.

Ensuite, le comte lui-même qui, avant de symboliser quoi que ce soit (j’y reviendrai), incarne une menace tout sauf mystérieuse. C’est un démon (un vampire, pas le vampire), un être humain qui a prolongé artificiellement son existence terrestre par des rituels occultes. Mêmes rituels, dont l’imagerie sataniste ne laisse aucune place à l’interprétation, qui ont raison du notaire. C’est exactement le même mal que dans The Witch. Ou que dans L’Exorciste, d’ailleurs. Un mal qui ne cherche qu’à posséder puis détruire, sans aucune ambivalence ou ambiguïté, sans dimension tragique, sans "part d'humanité". Un mal tout à fait traditionnel, qui n’a pas été forgé par le cinéma. A nouveau, Eggers se saisit. Il adapte. Mais dans l’autre sens aussi, puisqu’il adapte également le cinéma à une tradition, à une anthropologie qui le prédatent.

Pour ce qui est de la dimension symbolique, ou métaphorique, je rejoins ensuite FF à ce sujet :

Film Freak a écrit:
Sans refaire le Coppola, un lien unit l'héroïne au vampire et l'on pourra théoriser longtemps sur sa signification exacte mais c'est sa nature métaphorique qui m'apparaît comme la plus pertinente, faisant du Comte Orlok la manifestation du désir sexuel d'Ellen.


Les dialogues (entre Ellen et Orlok, puis Ellen et Hutter) réussissent l’exploit d’être explicites à ce sujet sans être didactiques.

J’irais en revanche plus loin que le simple « désir sexuel » de La Femme™. S'arrêter à ça réduirait une nouvelle fois le vampire (comme sa victime) à des considérations symboliques postfreudiennes psycho-sexuelles d’une banalité désormais non plus confondante mais carrément interdite. Je parlerai donc de luxure, au sens du péché capital, au sens de recherche active de l’assouvissement de ces désirs. Autrement dit, notre part animale, autre motif récurrent des échanges dans le film.

Le mariage, dans les monothéismes, est censé être un des remparts principaux contre la luxure. L’union entre Ellen et Hutter est d’ailleurs régulièrement désignée comme un marqueur de récession de l’emprise d’Orlok sur la jeune femme (qui existait bien avant l’arrivée du mari, et empire une fois le mari au loin). Orlok doit se débarrasser d’Hutter en suivant certaines règles très strictes, notamment : Ellen doit en son âme et conscience rejeter son mari pour lui laisser la place, comme une extension de l’invitation seule qui permet au vampire de pénétrer dans une maison. Règle que le comte impose par le chantage, puis en en la possédant pour la forcer à rejeter Hutter par rancœur (le délaissement matrimonial, la trahison pour l’argent (imposée elle aussi sous emprise et intimidation dans le château)) et désespoir (« de toutes façons on va tous mourir »)… ce contre quoi elle lutte aussi férocement que lutte la Mina de Stoker. Le mariage la protège du vampire comme il protège au sens large de la luxure. Pas anodin, d’ailleurs, qu’Eggers conjure alors l’imagerie du porno, avec Ellen qui d’abord bave, tire la langue et roule des yeux, puis est filmée façon POV le visage contre l’entrejambe d’Hutter, yeux levés vers lui pour une provocation qui débouche sur une scène de sexe totalement dépourvue d’amour… amour qui revient aussitôt ce coït sans âme, sans réelle connexion, interrompu et dans la promesse de la lutte (dont le coup de grâce est, pour Ellen, de se marier littéralement en accueillant le monstre en robe blanche pour mieux le faire succomber par l’irrésistibilité animale de son appétit). Incroyable.

Bref, 2025, 1ère adaptation de Stoker qui vaut le coup et rend justice au roman. J’appelais déjà de mes vœux qu’à l’aune de The Northman, Eggers adapte Robert E. Howard, soit Kull, soit Conan (pourquoi pas même Solomon Kane, son aventurier puritain). Avec Nosferatu, j’adorerais qu’il s’essaye à Lovecraft.

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MessagePosté: 22 Jan 2025, 23:04 
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Le Coppola est beaucoup plus proche du roman original mais j'aime bien ton texte. Et j'adore aussi le livre.


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MessagePosté: 22 Jan 2025, 23:10 
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Niveau péripéties et scénario oui, pas concernant le personnage de Mina. Et merci !

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MessagePosté: 23 Jan 2025, 07:26 
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Oui bon texte Müller. Lovecraft x Eggers en plus ce serait assez jouissif.

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