Une tragédie violente affecte la vie de deux couples de façon différente.Le synopsis reste délibérément vague mais la nature de la tragédie est révélée presque dès le début et c'est ce qui m'avait attiré dans ce premier long improbablement écrit et réalisé par un acteur de différentes œuvres signées Joss Whedon : les parents d'un ado tué lors d'une fusillade scolaire rencontrent les parents de l'ado responsable. En huis clos. Et en temps réel.
Ambiance.
Si la forme épouse mes
kinks, donnant la part belle à la parole et aux confrontations, le risque avec ce postulat était de tomber dans du
misery porn ou du pathos surligné, mais l'écriture évite habilement cela, alors même qu'elle parvient à naviguer tour à tour à travers toutes les émotions du livre
Les Couleurs des émotions (à part la joie mdrrrrr), de la peur à la colère à la tristesse à la sérénité, de façon organique dans une conversation ininterrompue et néanmoins fluide et réaliste. Et pour autant, jamais le vérisme de l'approche ne vient donner l'impression de regarder un docu-fiction avec des acteurs professionnels, comme dans un
Je verrai toujours vos visages auquel j'ai pensé durant le film, déjà parce que les acteurs et les répliques américain.e.s sont plus démonstratives et grandiloquentes, mais aussi parce que l'absence de médiateur laisse les personnages livrés à eux-mêmes. Ils sont en quête d'une réponse, d'un sens, de mots qui ne peuvent vraisemblablement jamais arriver. Et c'est aussi ce qui nous tient engagés. On a la chance de ne pas avoir vécu ce que ces gens ont vécu mais la possibilité d'une explication rationnelle et concrète à une telle tragédie nous est inimaginable.
Alors on suit en se demandant où ça peut bien aller, où ça peut bien se finir, et ce faisant on assiste à un épatant portrait de l'humanité, celle de parents en deuils, qu'ils soient ceux de la victime ou ceux du coupable, mais également celle de ce dernier, victime lui aussi. Si aucune réponse il ne peut y avoir, c'est justement parce que l'humain est bien trop complexe, bien trop plein de zones d'ombres, même (ou surtout) pour ses parents, l'indicible et l'incompréhensible allant de pair, pour que l'on puisse y poser un regard simple, manichéen, binaire, pour que l'on puisse assigner un blâme. Alors que reste-t-il? Quelle issue? Quelle catharsis? Quelle justice réparatrice? Comment surmonter l'inimaginable?
En un sens, le film suit le même arc que la chanson
"It's Quiet Uptwon" de
Hamilton pour en arriver à une notion qui résonne forcément avec ce titre à double sens (
"Mass" comme "tuerie de masse" mais aussi comme "messe") et le cadre choisi (une pièce au sous-sol prêtée par l'église) sans pour autant basculer dans du prêchi-prêcha prosélyte. Et d'ailleurs, alors que l'évolution finale semble un peu soudaine, le film refuse de se terminer sur cette conclusion facile et lui préfère là aussi un dernier échange plus complexe, ambivalent, honnête, terriblement humain. Comme le reste du film.
Formellement, je ne trouve pas ça aussi fort que ça aurait pu l'être. Dans un premier temps, cela m'a paru peu inspiré, avant un franchissement de la ligne des 180° assez intéressant mais je m'interroge encore sur le sens du changement de format pour le dernier tiers (une manière de signifier que la catharsis n'est possible qu'en fiction?). Mais l'écriture et les comédiens sont suffisamment forts pour porter le film.