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MessagePosté: 22 Fév 2012, 01:36 
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Mon premier Akerman...

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Anna Silver parcourt l'Europe pour présenter son dernier film. En trois jours, de trains en chambres d'hôtel, se déplie le tableau de sa solitude et de ses rencontres.


Gerry avait raison, c'est bien. Pas transcendant, mais malgré son parfum de détresse totale et définitive, et malgré l'austérité terminale d'un cinéma totalement anti-séducteur, le film est un charme à regarder. C'est sa limpidité qui fait son prix : soigneusement évidé, rationalisant l'espace jusqu'à virer géométrique (pleins faces, pleins profils, la caméra ne quitte que rarement ses quatre points cardinaux), l'ensemble se rend calmement disponible à recevoir la voix et les histoires des personnages croisés. Effet frais d'un cachet d'aspirine... Cette "écoute" du film, qui ne concerne pas tant les confidences elle-mêmes (plutôt aléatoires) qu'une façon de retrouver l'essence élémentaire des rapports humains, va de pair avec la sensation d'abandon absolu des chambres d'hôtel vides et toujours renouvelées, ou des trains de nuit offrant, pour plusieurs minutes, la contemplation apaisante du monde à travers leurs fenêtres.

Évidemment, c'est infiniment dépressif. S'il y a une claire dimension autobiographique, qui malgré quelques parallèles mastodontes se révèle finalement plutôt pudique (l'anti-naturalisme du film doit bien aider...), c'est en fait surtout la sensation d'une Europe en crise qui domine - misère existentielle, mélancolie de tout. Le monde a le cafard. Et je trouve ça finalement plutôt joli que les dialogues cliniques bressoniens, qui à chaque début de scène semblent lancer les rails d'un échange à la frigidité morbide, laissent place par leur simplicité crue à des confessions d'une humanité discrète, pâle et abîmée : les monologues sont beaux, pour la plupart.

C'est pourquoi je m'interroge sur un paradoxe qui m'a déjà frappé dans plusieurs films modernes, et qui ici menace aussi par moments : l'impression que le "dispositif" (les voix blanches, les corps fixes, l'espace conceptualisé), qui à la base n'est qu'un système de représentation comme un autre, devienne parfois presque l'outil de la mélancolie du film, une image littérale de celle-ci. Akerman nous fait parfois sentir que les pièces sont vides, les voix éteintes, les mouvements mécaniques... Cela me gêne un peu, car c'est du retournage de veste. Comme si l'atone voix du curé chez Bresson était non pas un moyen de nous atteindre d'une façon singulière, plus purement, mais le simple jeu d'acteur "réaliste", littéral, d'un personnage en dépression ! Il y a un petit truc là-dedans qui me titille, qui me trahit un brin en tant que spectateur, et qui gâche à mon sens certains passages du film, notamment sur la fin.


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MessagePosté: 18 Jan 2024, 10:12 
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Localisation: In the Oniric Quest of the Unknown Kadath
J'ai souffert. C'est un film sur lequel je suis totalement partagé. D'un côté je me suis ennuyé profondément, sa rigidité totale, son système construit sur des monologues atones (mais soudainement très émouvant, notamment Jean-Pierre Cassel à la fin) et le jeu bressonnien limite parodique des comédiens me tiennent totalement à distance mais en même temps je suis intégralement fasciné par cette mise en scène de la dépression ou plus profondément d'une espèce de vide existentiel littéralement terrifiant comme je crois n'en avoir jamais vu d'aussi forte au cinéma. Il faut voir ce personnage de réalisatrice totalement dévitalisée, spectatrice de sa propre vie, de son propre voyage, qui rencontre des gens sans jamais en montrer de véritable désir (sauf la rencontre avec la mère où soudain une étincelle inattendue pétille dans les yeux d'Aurore Clément avant que leur séparation ne soit de nouveau d'une froideur cadavérique).

Tout le film n'est qu'un parcours mortifère dans des territoires laids et impersonnels, de chambres d'hôtel neutres à cette petite maison de campagne qui, elle aussi, suinte la tristesse et la solitude. Vraiment un film à la fois d'une mise en scène incroyable, très géométrique, superbe photo, une manière de saisir les visages qui là encore renvoi pas mal à Bresson (notamment évidemment Aurore Clément, dont la mélancolie est impénétrable) mais en même temps je me suis quand même beaucoup ennuyé. J'aurais aimé le voir en salles ceci dit, l'expérience aurait certainement été plus intense.

Mais comment ne pas être hanté par le profond mal être du film. Par ces plans longs sur le visage d'Aurore Clément qui semble évidé de toutes velléités de vie. Je crois que je serai hanté très longtemps par ce dernier plan. Elle sur son lit filmée comme un cadavre immobile, telle La lamentation du Christ de Mantegna et qui écoute des voix sur son son répondeur sans la moindre réaction. Comme si cette humanité passée par la machine était déjà trop loin, trop inaccessible. Radical et profondément terrifiant (du mal à imaginer comment elle a pu aller présenter son film, aller en parler tellement ça semble un reflet d'un sentiment très profondément intime).

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CroqAnimement votre


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MessagePosté: 18 Jan 2024, 10:28 
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Inscription: 25 Déc 2008, 02:29
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C'est plus sinistre que Jeanne Dielman ? Bah putain.


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MessagePosté: 18 Jan 2024, 10:35 
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Inscription: 24 Nov 2007, 21:02
Messages: 28410
Localisation: In the Oniric Quest of the Unknown Kadath
Oui (mais faudrait que je revoie Jeanne Dielman pour comparer). Là il y a ce côté autobiographique évident et tu te dis vraiment que la réalisatrice va pas bien du tout. Et c'est le genre de film où tu imagines le tournage et ça devait être d'une déprime ("bon là tu regardes dans le vide comme si tu allais mettre fin à tes jours pendant 5mn").

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CroqAnimement votre


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MessagePosté: 06 Oct 2024, 15:32 
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Inscription: 30 Déc 2015, 16:00
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J'ai un peu souffert aussi, et je ne suis pas sûr que le temps réussira à le hausser ne serait-ce qu'au niveau de News from Home. Indéniablement, je préfère quand la parole est réduite au strict nécessaire chez Akerman et que l'essentiel passe par la mise en scène. Pas qu'elle manque de qualité et de précision ici (toute la séquence dans la train est de toute beauté), mais il faut tout de même se farcir des tunnels de dialogues par toujours passionnant (j'imagine que c'est le but, chacun de vider son sac et de verbaliser son mal être), au bout d'un moment mon attention et mon intérêt on commencer à en prendre un sérieux coup.

Peut-être aussi que je me suis imaginé au début un film qui n'était pas celui qu'elle souhaitait réaliser, la laïus interminable de son premier amant allemand nous fait miroiter une certaine vision de la seconde guerre mondiale, d'une responsabilité non totalement assumée de la nation allemande, l'horreur des camps, mais si c'est son point de départ ça n'est aucunement sa visée. Le film n'est au fond que le voyage retour depuis les camps de concentration, on part d'Allemagne pour retourner plus à l'Ouest, en chemin on croise une amie polonaise qui pourrait les avoir connu, les wagons pourraient être ceux que prendraient ses survivants, pour finir à Paris avec Jean-Pierre Cassel qui ne veux pas se faire mettre un doigt dans le cul (ou se faire masser les couilles, la destination de la main est incertaine). C'est peut-être cela qui m'a le plus chagriné dans le fond, qu'au lieu d'embrasser la question du traumatisme post seconde guerre mondiale à plein il se circonscrive aux jérémiades de quelques uns. Mais probable que ce soit le seul angle sous lequel Akerman se sentait capable de traiter d'un tel sujet.


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MessagePosté: 06 Oct 2024, 19:32 
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Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
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J'ai l'impression que le film se définit moins par une volonté de refaire le trajet de la déportation à l'envers, ou de symboliser le retour, que par le regret de ne pas parvenir à retrouver le monde d'avant la déportation, matériellement perdu. Elle semble vouloir identifier sa propre enfance avec celle de sa mère, ce qui est impossible (et le ton elliptique, mystérieux et pudique de la mère renforce l'impossibilité historique).
D'où peut-être la chanson noire de Piaf. Et la question à l'instituteur de la Ruhr : "est-ce la banlieue ?". Comme pour constater, afin de se rassurer une décision d'exclusion antérieure au fascisme. Le personnage de l'Allemand pourrait être sauvé par son environnement plutôt que par son discours. La froideur du personnage d'Aurore Clément semble ainsi être une tentative vaine de conserver le kitsch du passé, dans l'espoir d'en jouir. Elle est contrainte au sérieux. Akerman revendique une sensibilité plutôt qu'une identité. Souffrir du relatif, de la petitesse antérieure et moins forte que la haine, pour en retour faire du racisme un événement spécifiquement moderne, lourd mais potentiellement périmé. Il y a une forme d'espoir dans le film (l'instituteur allemand plutôt manipulateur, est équilibré par le passager dragueur mais que sa naïveté rend désirable : celui-ci plus jeune, plus simple et moins calculateur, est une promesse, y compris sexuelle)

Il forme aussi le début d'une trilogie bruxelloise avec Toute une Nuit et Golden Eighties. D'abord filmer un déplacement dans l'espace européen, des mémoires historiques qui finissent forcément par coincider, et devenir ainsi politiques, avec le risque de devenir partisanes, que le film déjoue par sa froideur. Puis dans le second film le contraste entre la diversité des désirs , des conditions, et le nombre limité de postures corporelles accessibles aux hommes. Et enfin, la vieillesse des hommes dans un seul lieu, que la tendresse rend supportable, insidieuse mais maîtrisée.

_________________
Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
- Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.


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