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MessagePosté: 19 Juil 2019, 21:29 
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De 1962 à 1977, de Paris à Hyères en passant par Soissons, l'Iran et Amsterdam, l'amitié de deux jeunes femmes. Pomme (Valérie Mairesse), la blonde fille de parisiens moyens, est extravertie, rebelle et caustique, elle deviendra actrice, chanteuse et metteur en scène dans une troupe de théâtre, féministe, typique de l'esprit post -68.
L'autre, Suzanne, brune (Thérèse Liotard) est plus introvertie, et marquée par une vie plus âpre : fille de paysans pauvres et sévères, mère très jeune de deux enfants non reconnus par le père. C'est une exposition de l'amant de Thérèse, photographe torturé (cela va tourner au tragique), centrée sur les femmes d'un même quartier, qui réunit accidentellement les deux jeunes filles qui n'étaient jusqu'ici que voisines. Très différentes, séparées pendant de longues périodes, elles ont en commun d'être investies dans les luttes féministes - notamment pour l'avortement -, et de devoir trouver tant bien que mal et chacunes dans un chemin indécis; un équilibre entre solitude, vie amoureuse et de mère, et engagement. Elles communiquent parfois par cartes postales.


Image

Le début du film est très fort avec un ton flou, un déséquilibre radical entre l'énergie burlesque de Valérie Mairesse (qui trouve là le rôle de sa vie : à 22 ans, elle peut tout jouer : une jeune fille montée en graine, de 17 ans se perdant dans Paris qu'elle sembe défier, et une femme blessée de 35 ans, la pitrerie limite anar coluchienne et l'introspection quasi-durassienne -personnage assez bouleversant, déchiré de plus en plus entre un besoin de s'engager dans le monde, à gauche, et une tendance à la solitude radicale qu'elle ne comprend pas) et la partie beaucoup plus sombre (en apparence, c'est tout l'enjeu du film) centrée sur Thérèse, et la campagne. Le passage en insert où on montre la dureté de ses parents à Soissons est absolument remarquable, au-dessus de ce qu'Eustache a pu filmer de la Province,

il y a un certain irréalisme nonchalant (on décide après-coup que le film part de 1962, en ayant montré le Paris de la fin des années 1970, reconnaissable aux voitures et vêtement) mais ce déquilibre enracine paradoxalement le film dans le réel et la vie, où le tragique et la farce coexistent - évidemment -, et où l'engagement dans le monde est souvent une forme indirecte d'oubli et de fuite. Le film résonne avec le meilleur du cinéma de l'époque, Femmes Femmes de Vechialii (le dispositif chanté est d'ailleurs assez proche) Anatomie d'un Rapport de Moulet, peut-être aussi une version féministe et moralisée du Plein de Super de Cavalier

Bizarrement c'est à la fois très proche de la Nouvelle vague est complètement en dehors du mouvement, plus radical politiquement, mais plus classique, plus travaillé par le didactisme et la mauvaise conscience que Godard. Varda partage en fait le même désenchantement, le même humour, le même colère et refus despéré du nihilisme, qu'Eustache, Cavalier ou Moulet, le sentiment que l'intime est un piège poisseux, une retraite après l'espoir révoluionnaire, et en même temps le réel (la limite de la mise en scène, ce que la lutte de mai 68 ne voulait pas être) qu'il s'impose avec le corps et contre l'édologie, à la fois comme un pur sollipsisme et comme une passion christique imprévue (le film est sociologiquement proche du Foucault des bio-pouvoir, mais métaphysiquemeny opposé à lui : le discours est le début d'un désinvestissement, la gigne d'une déception : le désir est au contraire aussi orginaire que le silence, mais toujorus vaincu).
Il y a donc un truc qui rappelle à la fois Pialat et la comédie farfelue à la Dhéry, et le mélodrame irréel et en même temps hyper-lucide à la Sirk ou Minelli. Paendant 25 minutes c'est remarquable, âpre et grâcieux, et très drôlle grâce au numéro (finalement à la Shirley McLaine) de Mairesse.


Après , lorsqu'il rejoint le présent, le film a tendance à vouloir résumer toutes les problématiques féministes et sociologiques hyper-massives de l'époque et d'aujourd'hui (l'avortement, le divorce, l'union libre, le mariage multiculturel avec un musulman qui finit avec le conflit pour les enfants - passage très proche de l'Arabe du Futur -, le gauchisme qui s'instituionnalise en bourgeoisie dès lors qu'il veut représenter les intérêts de plusieurs classes sociales, les séparations entre classes sociales qui résistent à l'idéologie, encore plus que la nature, la libération sexuelle comme nouvelle norme, les déserts culturels de la province, l'enfantement, comment être une mère de gauche, entre ouverture et autorité, la différence salariale, la port du voile, l'école, la sexualité des ados et j'en oublie). Honnêtement le film verse un peu dans le film dossier et l'intrigue-prétexte. Pourtant il "tient" et reste touchant, grâce à l'abattage de Valérie Mairesse
il faut dire qu'elle ressemble dans ce film beaucoup à une amie avec qui je me suis méchamment embrouillé, ce qui accroît l'identification
.

Varda maintient aussi en permanence l'ambiguïté des situations et des personnages : au début du film Mairesse rompt avec ses parents, typés comiquement comme des Bidochon bloqués dans la France des années 50, mais quand on y regarde un peu plus attentivement, le père (dont on dira rapidement qu'il est mort quand une réconciliation aura lieu avec la mère) reste humain et attachant, et se montre plus maladroit que veule. L'articulation du film est une relation houleuse entre Mairesse avec un bourgeois iranien qui verse dans la situation-clichée "Jamais sans ma Fille", mais le personnage n'est pas enfoncé et jugé, le film évite la xénophobie, car le cliché exprime en fait la douleur du réel, condensée et innommable. Le cliché c'est la figure réunissant le masochisme du sujet et le secret de son introuvable émancipation, c'est donc un discours à la fois constant et immédiatement communiqué, mais un masochisme où le sujet ne s'oppose plus à la loi qu'il créé lui-même poru se punir, mais qui tient plutôt dans une impuissance que dans une épreuve : l'impossibilité non pas de vaincre mais de rejoindre quelque chose d'antérieur à la loi, de plus immédiat : le champ social, de plus en plus en plus abstrait et lui aussi innomable à mesure qu'il est investi par le désir. Peut-être sortirait-on de la confusion et du sollipsisme si on pouvait distinguer pls clairement ce qui est un transfert (comment l'amie commence sa vie et sa lutte à partir d'une situation qui pour moi a été un échec) et ce qui est une imitation (plus elle me ressemble moins je l'aime, car cette ressemblance est l'aveuglement ultime face au changement, la négation du temps), mais les personnages du film buttent finalement amérement sur cette impasse.

De son côté, Thérèse, sortie de la misère sociale, s'engage à gauche et en même temps vit une promotion sociale vers la bourgeoisie, fuyant Soissons pour Nice, où elle ouvre un centre de planning familial. Le film pointe qu'en croyant émanciper les filles du peuple, les éduquer à la pillule, elle reproduit sur elles une attitude paternaliste et parfois perversement autoritaire (celle de ses propres parents sur elles), à la fois un complexe et une forme de "nationalisme" obtus de classe, opposant encore bonne et mauvaise sexualité comme des purs révélateurs du milieu. Pomme, dans sa troupe de théâtre, fait une chanson rose bonbon, délirante et commiquement névrotique sur la joie d'être enceinte, une femme du public lui dit aussitôt qu'une troupe de théâtre de droite pro-life pourrait chanter le même texte.

Le film et les personnages s'auto-critiquent en permanence, dans ces moment-là la voix off de Varda elle-même, celle des personnages centraux et celle des figurants coïncident. Cette autocritique est finalement la coïncidence des trois discours discours du réel, de la fiction et de celui de l'auteur, qui permet au film de s'ellipser et se projeter dans le futur, elle fonctionne comme un raccord. Mais dme manière assez belle, on découvre que quelque chose résiste dans le texte des carte postales que s'envoient Pomme er Thérèse, qui trouvent des formules brèves et ironiques qui à la fois dissimulent et donnent des indices sur ces crises et impasses : le mot fonctionne à la fois comme un signe et une résistance, essaye de compenser la faiblesse politique par un sentiment, mais ce qui doit assumer cette compensation est justement trahi et détourné, quand la négativité est sans métaphore. Cela donne au total une drôle d'impression, comme un monde où seuls les faiblesses les intérêts et les échecs (les "vices") nous ancreraient dans l'histoire, quand la noblesse l'âme et le désir amoureux pour l'autre (les "vertus") nous confronteraient à une éternité mythique et codée : entre les deux le moment 68, l'engagement poltiique qui fonctionne directement comme spectacle.

Scènes ahurissantes où Pomme et son groupe féministe, à la limite du Living Theater, du chant à la Brigitte Fontaine et du rock progressif à la Magma, donnent des représentation dans une France ultra-rurale, âgée, qui paraît pourtant spontanément complice de leur esprit libertaire, sans que cette unanimisme irréel ne soit réfléchi par les personnages eux-mêmes : ce qui fonctionne comme un public à convertir et sauver est aussi, dès lors que la conscience d'ene fragilité intime est la même pour tous; et montrée non comme le résultat d'une révélation mais au contraire une origine et une condition, d'où part le regard - un refuge, où le combat politique se retourne en image : le spectacle devient l'avenir du politique, le film est là-dessus super visionnaire.
Ce qui est très fort dans le film, c'est d'ailleurs la manière dont le personnage de Pomme, qui en 62 apparaît intialement émancipé, libre, créatif, politisé, avant de devenir assez amer et perdu quand les années 70 avancent, quand Thérèse d'abord sévère, souffrante, engoncée dans le drame et l'humiliation sociale, devient de plus en plus sûre d'elle-même, sereine et ferme alors qu'elle s'embourgeosie (et constat la réussite de sa bonne éducation : sa fille devient de gauche pour elle - ce n'est d'ailleurs pas ironique, Varda est consciente de la cruauté de la situation). Varda est aussi très consciente que le trait le plus caractérisique de l'époque qu'elle filme est peut-être plus nietzchéen que marxiste : le bourgeois rattrape et annexe l'artiste, qu'il tue (toujours un transfert qui se déguise en imitation). Le didactisme sociologique fonctionne alors comme une forme de tact, un masochiste abstrait : arrêter le récit au moment exact où ces deux parcours, partis du même endroit et maintenant concurrents, se rejoignent, où l'échange et la parole sont encore possibles , avant que les deux amies s'éloignent et divergent à nouveau, suprises comme par leur involontaire fidélité à elles-mêmes comme par un fièvre.

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
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Jean-Paul Sartre


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MessagePosté: 20 Juil 2019, 12:41 
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Je parle du maintien constant de l'ambiguïté des situations politiques à travers l'usage du cliché par Agnès Varda. Mais la première ambiguïté du film, au plan chronologique, qui restera fondamentale et le tend comme un arc, n'est pas politique. Elle ne réside pas non plus, dans la situation, mais, pour une fois, dans la subjectivité des personnages eux-mêmes. Mais elle correspond toujours à un cliché.
Lorsque au quart du film l'amant photographe se pend dans son atelier sans que son geste ne surprenne ni n'apparaisse non plus explicable ( on sent que la principale raison est de l'ordre de l'impuissance artistique, plus tragique pour Varda que celle qui est d'ordre moral ou politique), Varda ne nous épargne pas le plan sur le cadavre qui balance brièvement au bas de la corde, puis revient sur les deux actrices qui rentrent chez elles. La scène est ultra-clichée : Suzanne qui voit la porte fermée et comprend tout de suite. Pomme qui escalade une fenêtre, casse le carreau, rentre dans l'atelier, puis ressort par la porte en disant, trop éprouvée pour pleurer "il est là,... Mais il est mort". Mairesse qui raconte une histoire aux enfants pour faite diversion.
Puis les flics, entre compassion et rivalité avec la sociologie de l'artiste rive gauche. L'enterrement où Mairesse dit "Viens, on n'a plus rien à faire ici, on rentre !".

Tout cela est extrêmement cliché, mais aussi puissant et juste, car Varda n'esquive rien (alors que la suite du film ellipsera beaucoup).
Par la suite, quand Pomme retrouvera Suzannz, elle mentionnera qu'elle se souviendra du flic. Mais l'amant-artiste ne reviendra plus (comme si ces deux rôles étaient mutuellement incompatibles, ce personnage et sa disparition ont quelque-chose à voir avec Jacques Demy, le film et d'ailleurs très différent du cinéma de Demy, y compris dans la manière d'intégrer les chansons au récit), on en oublie même pourquoi Suzanne signale plusieurs fois qu'elle ne veut pas d'aventure avec des hommes mariés.
Le film opère un geste moral assez sévère : replier le tragique et l'ambiguïté politiques (ou même idéologiques) sur le tragique et l'ambiguïté existentiels, plus originaire et mystérieux pour Varda. Pour cela il doit supposer que les faits et leurs mémoires sont pareillement représentables, nier la déperdition liée au temps et au doute (la fadeur , et ce qui est incapable de rendre raison de soi sont d'ailleurs ce qui est ellipisé par le film, quel qu'en soient leur durée), et montrer l'allusion au passé aussi bien que le passé.

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MessagePosté: 02 Mar 2022, 20:01 
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a.k.a The MLF Story a.k.a MeToo begins

Bon je vois me faire moins lyrique que Gongon, plus terre à terre #lunchantelautrepas

Ce qui frappe c'est à quel point tout est déjà là en 1977 dans le discours féministe, que Varda illustre avec pleins de nuances et de variations au travers de ses 2 portraits croisés de femmes, en s'appuyant sur les personnages secondaires. Et tout ça lui permet de dépasser le simple pamphlet en trouvant de la justesse et une originalité dans le ton, toujours attachant, jamais victimaire, comme deux personnages soumis au gré des flots que l'on suit avec une tendresse qui augmente au fil de la vision.
J'avais un peu peur de Valérie Mairesse mais sa gouaille fonctionne bien en contrepoint d'une Thérèse Liotard plus taiseuse.

Je suis moins convaincu par la voix off de Varda herself mais c'est vrai comme le dit Gontrand que ça amorce un autre niveau de lecture, avec un pied dans le réel, et que l'on retrouvera il me semble chez Varda la documentariste.

C'est une belle découverte, même si c'est un peu balisé sur la lutte pour l'IVG (ça reste cependant un témoignage précieux de l'époque) ça a aussi le mérite de confronter ses héroïnes dans leur relation aux hommes (et de ne pas en faire forcément les méchants de l'histoire) et c'est aussi un beau film sur la transmission lors d'un très beau final.


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