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MessagePosté: 02 Jan 2022, 22:40 
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Prologue : une équipe de cinéma est dans la salle de visionnage d'un studio et commente des images d'archives. Le réalisateur a une attitude de réserve un peu sèche qui le rend bien reconnaissable. Les images débutent sur les scènes de liesse à la chute du fascisme. Un premier malaise s'installe. Les choix esthétique sont discutés par l'équipe de manière indirecte, autour du fait de reconnaître ou non les rues montrées, de trouver que les banderoles se répètent. Ce malaise est redoublé quand la projection reprend directement après la discussion sur des images de propagande en couleurs (usines sur fond de ciel bleu, tracteurs, ouvriers en contre-plongées) avec un commentaire beaucoup plus lénifiant.
Ensuite l'équipe reprend une autre discussion sur le fait de tourner une fiction en décors ŕéels sans autorisation. L'assistant ou le cadreur sort énervé. Aussitôt, ce qui est un peu suspect, un appariteur arrive et demande au réalisateur de poser sa cigarette (qu'il ne fumait pas).

Générique : des vues d'un Bucarest hivernal, avec une sorte de mire et de léger au ralenti qui laissent voir les pulsations de l'obturateur. Elles forment une contre-épreuve des images de propagande du prologue : couleurs bleuâtres et pâles, marchés avec peu d'activité, beaucoup de R12 fumantes, de temps en temps la R16 et la Mercedes d'un ponte, et surtout peu de groupes dans la rue, que des individus.

Premier segment : le tournage proprement dit, où un jeune premier un peu trop beau pour le rôle joue un rescapé d'hôpital psychiatrique ou d'une prison qui essaye de contacter un ami depuis l'unique téléphone public d'un café, au vu des autres clients, certains (dans le scénario) piégés en caméra cachée, ce qui inverse le sens des situations une fois le dispositif éventé (le râleur lunatique et vétilleux à la Jacques Villeret se met tout à coup à faire allusion dans sa colère à la surveillance du régime)

Second segment : dans le minibus de l'équipe, on a assigné au groupe un fonctionnaire qui les surveille. Il est assez âgé, borné mais porté sur la bonne chaire, peu intimidant en lui-même. Pour éteindre sa vigilance, on l'emmène dans une sorte de restaurant clandestin en rase-campagne. Le tenancier est un homme assez collant et ridicule, tout en fausse politesse, dont on ne sait dire s'il est opportuniste ou terrorisé. Il lorgne grossièrement sur l'actrice et se plaint de sa femme dont il ne peut divorcer. Le cadreur, intello-rebelle, se fout ouvertement de sa gueule, comme dans le Dîner de Con, ce qui fait ainsi perdurer la situation ainsi que le décalage social...

Troisième segment : tournage de la scène-clé du film, dans laquelle l'actrice joue le rôle de la fille d'un résistant de la seconde guerre mondiale, mort torturé, qui doit trouver son contact et amant dans un restaurant de luxe reconstitué en studio. Quelque-chose ne marche pas . L'actrice détecte le sentimentalisme irréaliste de la situation et se frite avec le réalisateur, qui est peut-être son compagnon. Celui-ci se venge : elle doit courir en talons autour du studio puis se prendre un seau d'eau sur la figure à chaque prise pour avoir l'air plus fatiguée.
Un échange plus intéressant, en miroir du film tourné, se passe entre deux figurants âgés qui jouent les clients du restaurant, au fond de l'image. L'un, encore assez dandy, habitué des tournages, et l'autre néophyte, que le premier guide avec une forme de nonchalance distante. Que recherchent-ils dans l'atmosphère du tournage (où beaucoup d'échanges sont des ordres que l'on exécute) et le fait d'apparaître à l'image (où l'imprévu est au contraire valorisé) ?


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Le dispositif qui permet d'articuler fable-commentaire social-et réfléxion sur le cinéma est assez voyant mais le film possède d'immenses mérites. Il est d'une part travaillé par la contradiction qui réside dans le fait que, pour produire un message de critique politique (qui valorise plutôt l'individualisme moral), il lui faut mettre en oeuvre des rapports de pouvoir collectif, avec un réalisateur-autocrate mis dans une position comparable à l'autorité qu'il dénonce. Le réalisateur essaye de jouir de sa critique comme le pouvoir voudrait jouir de son autorité et de sa sécurité.
Cette ambivalence est renforcée par le fait que l'équipe du film tourne à la fois (et en même temps) du cinéma de propagande et de la fiction à portée critique. Insensiblement, cela fait dériver les problèmes de l'objet de l'accusation et la forme critique vers celui de l'identification à ce que l'on dénonce. S'il ne veut pas être piégé et en être réduit à présenter la violence politique et la censure comme des fonctions, il faut que le cinéma politique renonce à situer et localiser la contrainte. Déterminer sa place, la reconnaître n'est pas son enjeu pour Tatos. Toutefois, rien qu'en supposant que ses personnages (comme le tortionnaire du dernier sketch) énoncent eux-même et de façon complète leurs torts et leur mauvaise conscience historique, en se plaçant après le jugement de l'histoire plutôt qu'en l'instruisant, un élément reste donné à la fiction et à l'imaginaire, assez ambivalent certes car il fonctionne comme une réserve ou un refuge.

Par ailleurs; Tatos comprend bien que le film politique est soit au-delà, soit en deça de l'histoire, jamais "sur" elle. Il rate l'engueulade et le règlement de compte entre les figurants, situation qui fait penser beaucoup au procès de la fin du Radu Jude (qui doit bien-sûr connaitre ce film). Mais en ne la recueillant pas, (c'est certes d'une certaine façon quand-même le cas, car c'est une mise en abyme sans hors-champs) il montre aussi une situation où la lâcheté historique devient une souffrance pour celui qui la porte, une amertume devant une possibilité ratée de reconnaître l'autre qui a toujours été possible.
Là où la film est très incisif, c'est que le réalisateur, joué par lui-même, compense la frustration de rater son sujet, de ne pas pouvoir se placer directement au niveau de l'enjeu historique et le reproduire, par un sadisme discret envers ses acteurs . Parce que le film est sur la guerre et le régime d'Antonescu, le fait que le tournage soit lui-même une épreuve pour ses acteurs devrait lui apporter un surcroît de véracité, mais c'est bien sûr faux. C'est que d'un certain côté, la seule chose qui soit entre le fait de se placer avant l'histoire (la nostalgie rétro) ou après (le moralisme et la prédiction du passé - copyright Daney) est le corps des acteurs eux-mêmes. Et le film le montre de façon brillante, assez caustique.

Loony Porn me l'a beaucoup rappelé mais Secvente me semble plus fort, à la fois moins cynique et moins moralisateur. Dans le segment central, la femme adultère cloîtrée dans sa chambre joue par exemple le même rôle que la grand-mère cachée de Loony Porn (qui pue comme l'histoire comme le relève finement le Polyester), sauf qu'ici la rencontre a lieu, l'équipe de tournage la voit, et ne peux alors plus jouer au procureur. Formellement à ce moment là le film bascule même de manière assez séduisante dans un presque fantastique (le retour de l'obturateur lorsque le bus s'éloigne dans la neige, le travelling du bus qui plonge le tenancier dans l'immensité noctunre). C'est que Tatos a conscience qu'un discours de critique politique qui parle au nom de l'autre, de son respect et de la justice, ne les saisit pas forcément directement pour autant. Il sait que son film est situé dans cet intervalle qui est finalement l'affaire du spectateur : c'est ce qui le regarde.

Le montage, le travail sur le son (la fausse musique de la prise) le soin apporté aux mouvement de caméra (le travelling arrière à la grue qui clôt le film depuis la bouche muette et simulant la parole des figurants) sont aussi remarquables.

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Jean-Paul Sartre


Dernière édition par Vieux-Gontrand le 04 Jan 2022, 15:09, édité 1 fois.

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MessagePosté: 03 Jan 2022, 22:41 
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Vieux-Gontrand a écrit:
joue par exemple le même rôle que la grand-mère cachée de Loony Porn (qui pue comme l'histoire comme le relève finement le Polyester), sauf qu'ici la rencontre a lieu,


Je vois pas trop de quoi tu parles, ni ce à quoi fait référence le Polyester

Si les enfants courent un danger, c’est parce que les adultes sont ignobles, d’ailleurs mamie pue au point de donner envie de vomir.

La dame qui demande à la mère de s'occuper de son enfant lors de la scène inaugurale ? Quand est-il question de puer ou de vomir ?

Sinon l'influence de Tatos sur le cinéma de Jude est indéniable, via ce recours à la mise en abyme, avec tout un tas de réverbérations plus ou moins significatives. Après avoir vu Secvente, on se dit que la première party de Loony Porn est une reprise des premiers panoramiques de Bucarest qui ouvrent le film et que tu mentionnes dans ton synopsis. Film il est vrai plus intéressant aussi, même si, un peu fatigué, j'ai décroché à la dernière partie. C'est aussi dû à la structure dite "de petit malin" du film qui multiplie les effets de boucles, de manière différentes - ça peut être la chanson qui revient en boucle dans la deuxième partie qui finit par rendre les personnages et le spectateur fous ou une scène qu'on rejoue interminablement jusqu'à ce que le réalisateur ait la prise qui le satisfasse, alors qu'à l'arrière-plan de la scène, chez les figurants, se jouent par hasard un drame bien plus intense que sa traduction pour le cinéma romantique qui se trouve au premier plan. Tatos s'attribue le rôle de démiurge désabusé, conscient de ses effets, de l'espèce d'aura ou de pouvoir dont il jouit en tant que réalisateur, mais comme partagé entre le dégoût et le sarcasme. Dans la seconde partie du film, s'il est bien le représentant du pouvoir, il l'a abandonné à son chef of, qui non sans sadisme manipule le restaurateur plouc. En une scène, différents rapports de pouvoirs se trouvent subtilement résumés, à droite, dans des rôles de figurants, c'est une tablée comportant le fils du maire qui dérange tout le monde avec sa musique, il y a donc aussi le réalisateur las, et son équipe venue de la capitale, le chef-op méprisant, le premier rôle féminin qui finit par se reconnaître dans le rôle de victime qu'on fait jouer au restaurateur, non comme le disait Gontrand sans une certain sadisme encore une fois de la part du réalisateur, qui laisse faire, laisser-faire dans lequel on peut voir aussi une forme d'empathie, ou de curiosité qui n'est pas malsaine.
L'idée de la troisième scène est intéressante, mais c'est trop théorique, ou mener de manière trop flottante alors que l'émotion pourrait être plus présente.


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MessagePosté: 03 Jan 2022, 23:12 
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Tout d'abord, merci de l'avoir vu.
Je crois pas que le but de la dernière scène soit de produire de l'émotion. Tout le comique de la situation vient de ce que le réalisateur n'y arrive pas (violons qui jouent involontairement -enfin volontairement compte tenu du scénario du film- un truc à la Morton Feldman "la bonne musique sera rajoutée ensuite", la compagne du réalisateur qui le traite en sifflant derrière son dos de démagogue). Quant au personnage de Papacha, il rappelle quand-même que le communiste vertueux a oublié qu'il a été épargné par qu'il avait trahi son chef, et qu'il joue lui-même avec un peu trop d'entrain son rôle de victime de guerre (de la même manière qu'il joue son attitude enfantine de néophyte devant être initié au plateau). Dans le contexte du régime de l'époque ce n'était pas un truc qui créait forcément une émotion fédératrice avec des ballons qui tombent du plafond *(cela renvoie à la fois au pacte Ribbentrop-Moloov avant la guerre et la technique du Salami après), et on comprend que risquant un peu plus il implicite cette révélation un peu plus que chez Costa Gravas qui peut filmer le même type de situation (le film rappelle pas mal aussi l'angle de l'Homme de Fer de Wajda tout en étant placé dans un contexte politique encore plus verrouillé que celui de la Pologne de 1981).

Seule mention d'un nom de victime quand Papacha dit de son chef qu'il était dur avec les communistes mais biaisée et annulée par cette révélation. Antonescu n'est jamais nommé : c'est un film qui critique l'adhésion au pouvoir plutôt que le pouvoir.
Ceci dit j'ai été touché par le jeu sur leurs lèvres à la fin de la scène, ou la signification du fait que Papacha aille chercher le café (l'acteur, Geo Barton, est très bon), même si ce sont des moment sursignifiants, pas forcément subtils.


Dans Loony Porn, quand Emi voit sa famille, sa mère doit être malade, et des petites filles qui doivent être ses nièces sortent de la chambre (qu'elles refusent comme Emi de voir en disant "mamy pue"). Elle annonce à a sa soeur que la cassette va sortir, mais la nonchalance de celle-ci n'est pas un soutien, elle est confrontée à une autre puanteur, celle de sa famille.
Au passage dans cette scène la télé montre brièvement Pierre Gasly, dans la posture certes ridicule de gladiateur moderne des mise en scènes de la F1, ce qui est raccord avec le discours de Radu Jude sur la voiture comme signe de narcissisme viriliste, auquel l'espace de la ville doit se plier, et banalisant par une incarnation matérielle l'idée de sélection sociale.

Le personnage de la grand-mère joue un peu le même rôle que celui de la femme du tenancier, plongée dans le noir (leurs intérieurs sont typés de la même manière, et Emi rappelle un peu par son allure et ses expressions l'actrice du film de Tatos) sauf qu'ici l'équipe de cinéma est bien obligé de rentrer dans la chambre (le tenancier se venge ainsi de leur humiliation, d'un certain côté il ne parle pour lui mais réellement pour elle), de voir "la honte muette de la famille", et le rire qui brocarde le ridicule se convertit en impuissance morale : comment peuvent-ils prétendre jouer un rôle politique, si ce sont eux les intrus et que ce statut leur convient, et est la condition de leur liberté de parole ?

Autre point commun entre les deux films : l'importance d'Eminescu (je crois cité dans le carton du générique de Tatos). L'homme en uniforme marin blanc qui offre une rose à Emi rappelle le folklore du clochard-poète du café ou même le tenancier dragueur.

*-sauf qu'en fait c'est justement ce qu'il se passe avec le plan arrière à la grue et l'équipe qui est contente d'avoir réussi la prise, une fois l'aveu des figurants arraché, l'actrice qui se met à faire des petits sauts de supporteuse de football - avec une large dose d'humour noir aussi grossier qu'efficace. Là non plus le film de Radu Jude avec son filet qui tombe sur le plateau n'est pas très loin.

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MessagePosté: 04 Jan 2022, 14:41 
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Disons que la dernière scène tient volontairement une émotion, qui pourrait être assimiler à celle factice qu'on crée de toute pièce au premier plan, par une série d'empêchements, de contrariétés qui perturbent de manière tragicomique ce face à face. Mais l'acteur qui joue face à Geo Barton a une intensité triste et rentrée qui est très forte. C'est là que je regrette d'avoir été un peu trop fatigué pour apprécier la séquence, qui est riche - plus que la première par exemple et finalement en constitue l'inverse. La situation reste assez opaque et donc pointerait pour toi vers une espèce de relativisme intégral.

J'ai pas trop fait attention à ce dialogue périphérique dans Loony Porn. Pas important mais n'est-ce pas sa collègue, la directrice, à qui Emi rend visite.


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MessagePosté: 04 Jan 2022, 14:52 
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Oui le film est pour moi très cynique et relativiste (à la différence de Loony Porn, même si le ton et surtout la structure en trois parties sont proches), et renvoie tout le monde dos-à-dos, et de la même façon, tant dans la comédie humaine du tournage qu'au plan historique et politique. On est quand-même en plein dans l'idée - questionnable- que le communiste et son tortionnaire fasciste forment un vieux couple et ont éprouvé des expériences morales et politiques proches, voire les mêmes (ironiquement personne d'autre n'est là pour entendre leur histoire), ce dont le dernier s'accomode mieux que le premier. Papacha peut d'ailleurs se permettre d'affirmer qu'il ne faisait pas cela pour des raisons idéologiques, et que la sincèrité et l'idéalisme des communistes sont pour lui un mystère (au fond le sujet du film : comment croire à ce qu'on fait ?), ce qui est très ambigu...
Est-ce que le film a pu être tourné malgré cette phrase, ou grâce à elle ?
Je n'avais pas décelé directement le fait que l'actrice se reconnaît dans l'aubergiste auquel l'équipe de tournage inflige une lente humiliation, mais c'est bien vu, c'est d'ailleurs le seul personnage du film qui atténue ce relativisme.

Dont le fond le film est une farce, un peu comme si on refilait le scénario de Papy fait de la Résistance à François Truffaut ou Pasolini.

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