Une famille aisée, un couple et deux jeunes enfants, s'est installée à la campagne. Un soir, le diable leur rend visite.Ça commence au sommet : l'ouverture de ce film est le truc le plus scotchant que j'ai pu voir au ciné depuis des lustres. Surexcité tout d'un coup le Tom, le voyant rouge "CHEF-D’ŒUVRE! CHEF-D’ŒUVRE! CHEF-D’ŒUVRE!" qui beugle dans la tête... Ah putain qu'on vienne me le traiter de poseur mon Reygadas, j'en veux bien à la pelle des poseurs comme ça, bande de frigides !
Après ce prologue, le film est en quelque sorte déjà foutu : il est évident qu'il fera forcément moins bien par la suite. Mais cette débandade tient surtout à la nature du projet, pourtant assez passionnant. À l'équilibre souverain et pacifié de
Lumière Silencieuse, à un film pour Dieu, répond ici un film pour le Diable : c'est la force du film de donner à voir le monde comme l’œuvre du Diable. Que ce soit par des images doucement cataclysmiques (la tombée des arbres, tellement dommage que la scène n'existe pas juste pour elle-même), ou même par la visitation de scènes très quotidiennes (le silence absolu de la maison la nuit, le chaos des vestiaires de rubgy...), où toujours semble sourder un parfum de méfait, de monde-catastrophe. Le Mexique de Reygadas est toujours aussi extrêmement violent : rarement concrétisée, la violence (le danger, la tension) y est constante et omniprésente, comme un paradoxe temporel où un quotidien occidentalisé côtoierait un monde médiéval en guerre civile.
Le regard du Diable, c'est aussi la forme même du film : hétéroclite, grotesque, saillante, découpée, fragmentée, trafiquée (par ce dédoublement des bords qui selon les moments oscille entre l'effet ravissant qui donne presque à tâter la matière, et le "truc" irritant qui divertit de l'essentiel). Bref, un monde et un film en petits morceaux ostentatoires. Et une farandole plus qu'un mouvement d'ensemble d'où fleurirait un sens, le film s'épuisant dans un acharnement empoisonné de vues que le montage s'obstine à rendre hermétiques (même quand elles partagent l'unité d'une même scène), chacune à travailler sa propre logique interne... C'est très vite assez impossible de rentrer dans le film, de s'y impliquer, d'autant plus par le biais des personnages. Quand l'un deux, pas loin du final, résume ses sensations par un long monologue qui devrait nous toucher, on a l'impression que Reygadas met dans la bouche du type ce qu'il n'a pas su nous transmettre.
C'est le double-effet Reygadas, qui te prouve qu'il est l'héritier le plus légitime de Tarkovski, qui rejoint le club des grands cinéastes sensoriels de cette dernières décennie, qui vient rajouter au tas commun son tribut de fulgurances et de ravissements ; et putain, parmi tous, là, y en aurait pas un qui pourrait réussir et aboutir un film genre EN ENTIER ? Tsss...