Rome, la nuit. Une femme, plutôt élégante, tire sur son amant, et fuit à pied dans le quartier de la Via Cavour. Elle se souvient. Quelques années plus tôt, Liana, obtenait un diplôme d'architecte, fière et consciente d'effectuer une démarche encore rare pour une femme à cette époque. Elle doit alors épouser son ami d'enfance, ingénieur en génie civil, un homme sans beaucoup de relief. Ses amitiés l'inclinent vers un milieu plus artistique et intellectuel. Elle y rencontre Gerrardo, un chef d'orchestre reconnu, affectant une sorte de dandysme hédoniste qui lui plait . C'est donc le film que Luc Moullet spoile allègrement dans (l'assez anecdotique)
les Sièges de l'Alcazar (quoique pas tant que cela, car la structure du film est en flashback). Alors plus important qu'Antonioni ? Je ne dirais pas (quoique c'est très proche de
Femmes entre Elles, qui lui est postérieur) : c'est moins singulier,; à la fois plus bavard et moins théorique. Mais c'est vraiment pas mal (et en effet plus féministe qu'Antonioni), et a plutôt bien vieilli. C'est une sorte de mélodrame quasi-fassbinderien (disons aussi sirkien), à ceci près que la description de la lutte à mort (mais partiellement victorieuse) d'un sujet contre l'aliénation est déplacée des "marges" de la société (ou plus exactement de ce qui est un univers d'outsiders chez Fassbinder, qui a besoin de se transfigurer d'abord dans l'imaginaire pour s'opposer ensuite au monde) vers le cœur de la bourgeoisie, sur un mode réaliste et brut, ce qui est d'autant plus troublant. Le film a aussi une dose d'humour bienvenue qui réhausse l'intrigue. Celle-ci est malheureusement des plus conventionnelles, mais le portrait de femme est extrêmement fouillé, les personnages existent vraiment. Gino Cervi, le Peppone de Don Camillo, est excellent dans un rôle dramatique (qui fait pas mal penser à Desailly dans la Peau Douce). Cela fait aussi penser beaucoup (en mieux, plus direct, tout aussi spirituel mais moins cynique) à certains Chabrol des années 90 avec Huppert.
Et en effet la caméra est étonnament mobile pour l'époque (beaucoup de plans à la grue voire à la dolly, dans un univers apparemment intimiste , qui dynamisent le film a bon escient. En effet l'espèce de zoom avant/zoom arrière sur le visage de Françoise Christophe (l'aspect implusif du meurtre créant à lui seul le hors-champ) à la fin est génial.
Belle découverte.
On voit aussi sur Wikipédia que Cottafavi a tourné 4 films en 1954 ce qui explique peut-être que son nom soit à la fois connu et oublié.
Les premiers rôles, français et pas très connus (Françoise Christophe et Pierre Cressoy) sont très bons. Cottafavi retourne astucieusement la contrainte de la co-production franco-italienne en intégrant un passage très vivant à Paris (où Françoise Christophe est redoublée par une italienne qui reparle français très correctement, mais avec un accent italien...) et quelques piques bien senties sur la mode existentialiste (et son symétrique : les Hussards, incarné par le compositeur raté qui pose à l'Ubermensch suicidaire), pointant sans y toucher une belle ambiguïté : une attitude permettant intialement la liberté et un esprit politiquement critique devient une aliénation et un conformisme lorsqu'elle se veut trop exclusivement une démarche culturelle - appelant sur elle la reconnaissance plutôt que l'action, sans que le seuil ne soit facilement discernable. Il faut alors une forme de répétition où l'idéal de départ apparaît sous une forme dégradée pour rompre avec ce conformisme : dans cette prise de conscience, le tragique n'existe plus que dans le regard des autres . Regard des autres qui n'est pas celui de la caméra. Disons que le point de vue de la caméra est celui de la logique de sens, solitaire là où elle a réussi à déjouer les identités trop évidentes.. Par exemple le film montre discrètement mais finement un complexe d'Oedipe mal réglé, mais pour le coup complètement incestueux et régressif (le meurtre est alors une conséquence logique du fait qu'un premier tabou a sauté sans que personne ne le remarque vraiment, ce que l'abruti d'amant ne pouvait pas comprendre
), allant du père en apparence sévère et rangé vers la fille, là où l'on s'attendrait à l'inverse
).
Sinon cela risque de bugger dans la tête de Carstop s'il tombe un jour dessus : c'est très anti-bourgeois, mais pas ouvertement politique.