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MessagePosté: 29 Juin 2025, 12:04 
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1956-1960. Explosion commerciale du jazz (post) bebop qui touche le grand public américain blanc. Le mouvement est lié à la lutte pour les droits civiques, mais est aussi, au même titre que l'art moderne, récupéré par la CIA qui en fait un outil de propagande face à l'URSS, en tentant de jouer sur la réalité sociale du courant artistique, et le positionnement politique des musiciens, pour installer l'idée d'une forme d'internationalisme (voire impérialisme) progressiste latent et diffus.
Louis Armstrong est ainsi érigé en ambassadeur américain "de l'amour", mais vit mal son rôle, refusant une tournée en URSS en réaction à la ségrégation et au racisme dans le Sud. La campagne présidentielle de Dizzie Gillepsie peut aussi se comprendre comme une réponse à cette instrumentalisation.

Lorsque Khrouchtchev succède à Staline, une certaine détente a lieu. Khrouchtchev se rend à New York en 1959, râle de façon spirituelle parce qu'il ne peut pas se rendre à Disneyland, et semble avoir de bonnes relations personnelles avec Eisenhower. Mais les indépendences africaines, et la montée du mouvement des Non-Alignés, avec comme figure-clé Souharto et Nkrumah; vont tendre la situation internationale.
Ce mouvement de fond est soutenu diplomatiquement par l'URSS, tout en n'étant pas (et ne pouvant pas l'être étant donné la base ouvriériste de la théorie marxiste) une forme d'internationalisation du communisme). Il n'est pas pas d'ailleurs réductible à la guerre froide ; contrairement à une caricature réactionnaire qui justifie l'impérialisme et le sabotage des indépendances (d'ailleurs le film, tout en montrant des archives très intéressantes de Souharto, l'Inde de Nehru ou le Sri Lanka à l'ONU, relativement à la question congolaise, ne dit rien sur le Viet-Nam, lié à ce contexte, alors qu'il était plus central que l'Afrique dans les représentations politiques de la période jusqu'au XXIème siècle).

Il existait alors un vrai espoir que l'ONU soit le lieu d'une gouvernance globale, d'un outil de négociation directes, égalitaires et transparentes entre nations, y compris les pays ayant acquis récemment leur indépendance, disposant d'une armée conjointe efficace.
Mais les anciennes grandes puissances intriguent pour ne pas être marginalisées, et la crise congolaise (puis katangaise) , première intervention des Casques Bleus (qui vire à la tragédie) et en particulier la mort de Lumumba, instiguées par la CIA et les milieux coloniaux belges (avec l'idée de garder la mainmise sur l'uranium du Katanga), vont mettre un terme à cette possibilité. Cela suscite l' amertume politique chez les jazzmens américains, pour lesquels Lumumba et la question congolaise représentaient quelque-chose d'important voire de vital, d'autant que Louis Armstrong a été envoyé au Congo en même temps que Lumumba était assassiné, pour servir de diversion, et en même temps symboliser le lien culturel réel entre le jazz et l'Afrique, à la fois dans le passé et le présent. En réaction Abbey Lincoln et Max Roach, avec 60 autres personnes (dont beaucoup de femmes) vont investir le conseil de sécurité de l'ONU, dans le but de faire un tapage et d'interpeler le représentant américain, Aldai Stevenson.
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Le film est un montage d'archives, qui reprend lui-même les codes esthétiques de l'époque de façon un peu maniériste (génériques et intertitres entre Saul Bass et Godard). Il met aussi en avant des figures oubliées, comme Andrée Blouin, une activiste (ou plutôt une politicienne) française et centrafricaine, proche de Sékou Touré puis des indépendantistes congolais, qui travaille, dans une perspective panafricaine (que d'ailleurs le film aborde de façon lointaine, mais il lui faut certes délimiter son sujet) à assurer la présence des femmes dans les partis politiques indépendantistes, et était aussi la cheffe du protocole de Lumumba au moment de son discours, ce qui en faisait une cible risquant sa vie.

J'avais vu DIAL H-i-s-t-o-r-y, qui avait la même forme, mais abordait à la fois les crashes d'avions et la lutte palestinienne (en mettant Dawson's Field au centre du propos), et en avait gardé un souvenir mitigé : le film était intéressant, mais comportait un aspect à la fois radical-chic et esthétisant, en transformant à distance et de façon rétrospective le preneur d'otage en icone esthétique.
L'assurance morale d'être au service (ou même simplement d'accord en fait, tout le problème est là, le saut n'est pas un problème, l'engagement révolutionnaire est prédenté comme une chose aussi mystérieuse et évidente que le don artistique, c'est une vision élégante et romantique, individualiste) d'une cause politique juste se transformait en distance ironique et rétrospective. Le film, comme celui-ci, roulait en fait sur un hiatus entre un combat national, politique, confronté à la violence et opaque, et l'opinion internationale, vue comme au contraire un domaine culturel et esthétique, tendant à la transparence, en représentation permanente, sans que cela ne soit très réfléchi. Le 11 Septembre survenu après le rendait un peu obsolète.

Ce film a les mêmes défauts mais atténués, il est à voir si l'on s'intéresse à la période, ou même souhaite en savoir plus. Paradoxalement le prisme esthétisant et romantique, un peu racoleur, lui confère une fonction synthétique qui joue bien son rôle.
La meilleure partie en est lorsqu'il déroule sur une certaine durée des archives rares : voir Souharto, Nkrumah et V. K. Krishna Menon, s'exprimant dans un anglais direct, sans langue de bois (recul actuel de la parole politique à la fois nationale et internationale), aux propos la fois précis et consciemment incertains à l'ONU est remarquable. L'aspect musical est aussi intéressant, mettant au centre des jazzmens un peu oubliés, comme Abbey Lincoln et Max Roach, ou Melba Liston. Il rend aussi hommage à l'intelligence politique de Louis Armstrong, Roach, Lincoln et Dizzie Gillepsie, vraies figures intellectuelles.
Il permet aussi d'objectiver certains enjeux, ainsi le président (pas le directeur) du MOMA en 1960 William A. M. Burden (sic), a quitté le Musée pour devenir ambassadeur américain en Belgique pile pendant la période qui va de l'indépendance congolaise à la mort de Lumumba...

Autre limite cependant : l'Afrique et l'URSS (voire la Belgique), ne sont incarnées que par leurs dirigeants (il est vrai que les mémoires audio de Khroutchev sont un document étonnant, peut-être prolongeant la tradition russe d'un Gorki voire de la Maison des Morts de Dostoïevski, non sans un humour calculé, on vout mal Poutine faire pareil), tandis que l'ONU, parce qu'il était une instance de délibération multilatérale investie de manière plus sincère qu'aujourd'hui, figure directement le peuple ou l'humanité. Alors que la vision de l'Amérique, par le truchement des jazzmens, mais aussi des manifestations contre la politique africaine des USA ou la ségérégation, représente directement la société civile. Cependant le film laisse parfois libre-court à des sous-entendus complotistes placés uniquement du côté occidental (pas forcément vains, après tout il interviewe des figures du renseignement, mais sans les critiquer ou les contextualiser, laissant place au contraire à une certaine fascination).
Le complotisme est une intentionnalité morale poussée à la limite, qui doit être capable d'objectiver l'histoire pour l'orienter, dont la part positive en serait l'art, et le revers morbide la guerre internationale et le racisme.
Dans le même temps, pour parler un peu pédantement, le.leader politique est à un signifié (une idéologie) qui a trouvé le bon signifiant (un style physique, ou une voix) qui l'exprime pleinement, tandis que le peuple reste dans la séparation du signifiant et du signifié (que le film compense, mais de façon distante et extérieure). Système clos et fataliste : la sympathie pour une cause politique se confond avec une évaluation de celle-ci ; il s'agit moins de montrer des raisons que de dire ou prouver qui avait raison (mais cette limite est sans doute inhérente à tout documentaire d'archives).

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