Mr Chow a écrit:
J'attends le topo de Tom sur ce film en matière de néo-naturalisme
Je le rangerais plutôt avec les rejetons du cinéma moderne, du coup, m'enfin bon, c'est pas très important.
Cette précision de réal "moderne" justement, ou en tout cas ce style maturé à travers une série de films ultra-exigeants et dépouillés, font que Jia Zhang-ke parvient ici à rendre la violence dans toute sa singularité. Ce n'est jamais une routine, elle a toujours un impact, elle sidère d'une manière ou d'une autre.
Mais dans cette volonté de la réduire à sa dimension de pur phénomène, de la couper d'un réseau de sens (et par "sens", j'entends autre chose que
"je suis vénère contre mon patron alors je vais prendre un fusil", ou
"on m'a donné un couteau par hasard donc je vais l'utiliser", sans parler du
), il y a aussi une certaine complaisance. Artificialité des situations, mais aussi de l'effet recherché (en mode "tiens dans ta gueule, voilà ce que c'est la violence" façon Haneke), qui finissent par engendrer un propos pessimiste automatique et nébuleux du type "la violence est un cycle infernal", "le pêché est partout", ou je ne sais quelle autre joyeuseté du genre. Ce qui fait que quand on essaie de réinvestir un peu d'idéal là-dedans (prenons un couple de jeunes top-model et habillons-les en blanc), ça sent forcément le chiqué.
Bizarrement, les rares moments où je sens le film aller quelque part, c'est quand il croise le genre (ce qui me confirme, pour reprendre la discussion récente avec Orange, que les codes du genre sont une plus-value et pas une prison). Quand la silhouette du tueur arrivant à l'usine évoque le cow-boy de western, quand l'employée redistribue la violence ambiante dans une charge vengeresse et dansée évoquant le wu xia pian, bref, quand une typologie refait surface, la violence se réinvestit à nouveau de sens, le temps d'un plan. Mais c'est évidemment bien trop rare, et même si le film se tient tout à fait (je suis peut-être un cinéphile ultra-blasé, mais pas encore aveugle), on se fait quand même bien chier, je trouve.
Reste une capacité certaine à dessiner une cartographie de la Chine contemporaine (ou à en faire l'inventaire, devrais-je plutôt dire : tout ça me semble pas très organisé en ce sens, mais de l'éventail de milieux sociaux aux comportements et tensions qui les traversent tous, du capitalisme rampant à ses équivalents dans les rapports humains, le compte y est). Adresse au spectateur et photo de famille, là-dessus le film est incontestablement ambitieux (jolie fin), et dans le dialogue entre le réalisateur à son propre peuple, il y a certainement quelque chose d'assez fort.
Il va faire la gueule mon top 2013... Me déçoit pas Kore-Eda.