Octobre : dix jours qui ébranlèrent le monde en entier.
Октябрь : Десять дней, которые потрясли мир en VO.
Et un certain Grigori Aleksandrov en co-réalisateur...
Pétrograd, de février à octobre 1917, de la première révolte à la révolution.Pas la force de faire une critique, alors quelques remarques.
1)
On comprend rien. Je suppose qu'il y faut rentrer avec la connaissance des évènements, mais ce n'est pas que ça : l'habituel manichéisme du cinéma russe de l'époque m'a pris en défaut. Pas qu'il soit absent ici. Mais tout est tellement violent, baroque, foutoir, que même les intrus sont presque "négatifs", ou terrorisants. On finit par plus trop savoir qui on est censé prendre en pitié, qui est repoussant ou pas. Sur la fin, les nobles assiégés disent "accueillons les avec dignité", et il se prennent une foule chaotique dans la gueule. Idem pour la jeune garde royale terrorisée, idem pour la garde de l'impératrice qui se cache effrayée... C'est pas critique, c'est juste que tout n'est plus qu'une immense furie. Et on est paumés, donc.
2)
C'est le meilleur Eisenstein. Et il le sait. A l'ouverture du film, il fait exprès de larguer le spectateur d'emblée, partant directement à 100 km/h, sans te laisser le temps de t'installer, déjà mille fois trop rapidement : c'est comme un virtuose qui va trop vite pour que tu suives ses mains, et que ça flatte. A quelques séquences près, le film est pourtant beaucoup plus statique que les autres : il y a un long moment d'attente, de silence avant l'attaque (d'ailleurs un peu chiant au début, on décroche parfois), ça prend bien la moitié du scénar. Mais le film est toujours entrain de sauter d'un endroit à un autre, d'une figure à l'autre, d'une manière de nous parler à l'autre, ça n'arrête plus, ça trépigne dans tous les sens, c'est complètement ivre de ses propres capacités. La meilleure chose dans tout ça, c'est que dans sa fuite perpétuelle en avant, Eisenstein développe sa fibre suggestive, pour gagner du temps sans doute : montrer peu ou bizarrement, étrangement, laisser la signification ouverte.
Ça libère une fibre poétique que je connaissais pas du tout chez lui (jusqu'à des passages limite ésotériques quand il est question d'objets), qui colore étrangement la violence électrique du film mené tambour-battant. J'adore aussi comment la fin, en même temps que Trotsky, s'écroule d'épuisement, comment le film se referme comme un piano qu'on balancerait de l'appartement et qui s'écraserait d'un seul coup.
3)
C'est un film de nuit. Ça se passe presque entièrement de nuit, contre toute vraisemblance. C'est que des ombres dans l'encre, des lumières qui percent la pénombre, des lampes éblouissantes et des rues dans le noir... Pourquoi de nuit ? Ça paraît très cohérent à la vision sans qu'on sache vraiment pourquoi. Peut-être parce que ça donne une vision mythologique, ou peut-être parce qu'on donne l'impression qu'il se joue là une scène primale, inconsciente, de toute la nation qui va en découler (ne serait-ce que par toute la violence qui explose quand les intertitres te claironnent "pour la paix"). Une sorte de gestation utérine du pays. Le film a un caractère de rêve ou de cauchemar assez surprenant : malgré l'agitation (ou à cause d'elle, peut-être parce qu'il n'y a que ça), il a un côté lunaire et somnambule, dans sa façon de passer avec une facilité souveraine du coq à l'âne, d'une idée à une autre, tout en baignant dans ce magma commun qu'est la nuit.
4)
Eisenstein c'est quand même un gros pédé. Je veux dire, au-delà de ce genre de plans qu'on laisse traîner dans son montage comme un gros dégueulasse...
... y a la sensation ultra précise d'un réal en chaleur, qui ouvre le bal dès le torture porn d'un jeune révolutionnaire capturé par les bourgeoises qui lui arrachent la chemise en le lynchant avec hargne et jouissance. Ça pullule de gros plans de jeune éphèbes au regard inspiré, et quand tu vois un mec beau, tu sais déjà que soit il est gentil, soit il va se rallier à la cause. C'est comme un radar narratif. Mais c'est surtout cette façon de pas tenir en place, avec ce montage qui arrête pas de partir en vrille, de s'accélérer, incontrôlable, et de finir dans des explosions (souvent de vraies explosions à l'image quoi), avec scène qui s'éparpille et se déverse dans tous les sens... Vous visualisez le cliché de comédie du mec qui cligne les yeux, au bord de l'évanouissement, au moment il va jouir ? Bah voilà, le montage est littéralement comme ça, il clignote quand il est tout prêt de venir.
5)
Il existe pas une seule bonne copie disponible. L'édition française est une version censurée visiblement, vu le timing. La seule copie qui semble intégrale est la Rusisco, et pour je ne sais quelle raison absurde, il manque facile 1/5è de l'image sur le côté gauche. Ce qui est pas de tout bonheur pour les compositions de plans, mais ça reste de loin la plus propre. En plus, l'éditeur russe a la gentillesse d'offrir les sous-titres étrangers. Et de m'offrir ce moment magique, donc :
...
Voilà.