Bondy Blog a écrit:
Il est 5h05. Samedi 14 Novembre. Lendemain d’une nuit apocalyptique à Paris qui m’a empêchée de dormir.
Comme de nombreux Français, j’attends d’avoir des nouvelles de proches résidant dans la capitale. Je ne quitte pas mon écran d’ordinateur des yeux: I-télé ouvert dans une fenêtre, Facebook dans une autre puis Twitter. Je navigue entre les trois depuis 21h49, heure à laquelle ma mère m’a envoyé un SMS : «Il se passe quelque chose à Paris !!!». Ayant en tête les attentats contre l’avion russe, en Turquie, au Liban et celui déjoué à Toulon, je réponds immédiatement: «terroristes ?». Elle ne sait pas. Mais j’ai une intuition, le sentiment que nous allons payer – ce soir – les bombardements en Syrie, comme Daesh nous l’a promis dans ses vidéos. Les attentats des jours précédents étaient une alerte: vous êtes les prochains ! J’aurais tellement aimer me tromper.
Au début, I-télé ne parle que d’une fusillade dans un restaurant. Puis d’une deuxième au Bataclan. Puis d’une troisième au stade de France… Twitter est plus rapide ; des journalistes et des personnes présentes sur place racontent en direct les événements permettant de se rendre compte de leur simultanéité et de leur atrocité. Un témoin affirme qu’un des terroristes a déclaré: «il ne fallait pas intervenir en Syrie. C’est la faute de Hollande !». En recoupant les informations, on peut alors deviner que les terroristes sont plusieurs, sont organisés, sont jeunes et sont Français. Le climat semble valider mon intuition d’attaques vindicatives et je poste alors un premier statut sur Facebook affirmant que ceci est une troisième guerre mondiale différente des précédentes car délocalisée, sans tanks, sans tranchées mais avec des fusillades et des attentats comme modus operandi, propres à l’État islamique.
Applications d’information et réseaux sociaux s’affolent
Tout va très vite. Mon téléphone n’arrête pas de sonner et de vibrer : les applications d’information s’affolent et les nouvelles de certains amis présents sur place me parviennent enfin. L’un d’eux m’écrit : «ça s’est passé en bas de chez moi, 30min avant, je déambulais dans ma rue. J’ai tout vécu depuis ma fenêtre, les coups de feu, les gens qui crient, c’était horrible. J’ai peur», un ami du journal Le Monde : «c’est la merde totale, on va vivre sous cloche maintenant», un autre ami policier: «c’est la pagaille !» et un autre ami journaliste : «dans le restau on était avec des Libanais et des Palestiniens s’il te plaît, ils étaient encore plus tétanisés que nous, ils comprenaient pas». Je mesure alors pleinement l’ampleur des événements et leur gravité puis remarque, touchée, que la solidarité s’organise dans la ville via le hastag #portesouvertes.
Au milieu de ces témoignages je reçois des réactions à mon poste Facebook. Connaissant la tournure des débats sur les réseaux sociaux, je crains le pire. Un ami d’enfance me dit de ne pas tirer de conclusions hâtives, de ne pas faire d’amalgame surtout que «TF1 n’a pas encore parlé d’attentats perpétrés par Daesh». Dans un mélange de théorie du complot et de manipulation des médias, il me dit de ne «pas faire du Morano en mélangeant tout» quand je lui explique mon point de vue selon lequel le djihadisme est en partie le résultat de la pauvreté, du chômage et de l’exclusion sociale en France, surtout dans les banlieues, donc que les bombardements en Syrie et en Irak ne suffisent pas pour lutter contre lui. Tout de suite, je suis accusée de faire un amalgame et d’attaquer la banlieue, quand s’est en fait ses conditions de vie que je critique. Je réalise alors que parler de la banlieue avec un banlieusard, quand on l’a soi même été, est difficile. Paradoxalement, il fera – lui – l’amalgame entre musulman et banlieusard. Peut-être craint-il tellement que celui-ci soit fait par les médias qu’il le fait lui même, comme une fatalité.
La conversation terminée, je continue de suivre les événements sur les réseaux sociaux. Évidemment Twitter s’enflamme. Albert Chennoufmeyer tweet : «l’État doit prendre des mesures radicales en commençant par fermer toutes les mosquées, toutes. Les musulmans doivent parler». Je ne m’étonne pas de cette demande de désolidarisation qui rappelle la réaction après les attentants de Charlie Hebdo. Résignée, je laisse Twitter me raconter un chaos sans précédent en France, entrecoupé par des publications insupportables de ce genre. Plus les attentats se multiplient, plus je suis envahie par l’émotion et le sentiment d’impuissance. Le coeur gros, je publie un autre statut sur Facebook affirmant que je ne pourrais pas fermer l’oeil de la nuit, que ce soir rien ne va mais que demain se sera pire. Parce que demain c’est les débats sur le terrorisme, sur l’identité nationale. Demain, c’est les justifications d’être «français d’origine» et musulmans sans être terroristes. Demain c’est les débats que j’aime pas, qui puent la division du pays. Demain, c’est l’après Charlie puissance dix avec son climat d’insécurité.
Du mal à prendre du recul
Puis, soudain je tombe sur un autre statut Facebook :
«Je ne suis pas Paris, je ne suis pas Charlie. Je suis musulman mais je ne suis pas terroriste. Free Palestine». Il me révolte. Que vient faire faire ici le « Free Palestine» ? La mort d’être humains justifient-elles celles d’autres humains ? Bon sang ! Ne concevez vous la haine comme la seule réponse possible à la haine ?! Que l’on ne soit pas Charlie à cause des caricatures du Prophète, je peux le comprendre même si cela n’excuse en aucun cas des assassinats. Mais que l’on ne soit «pas Paris», je ne le conçois pas. Parce que des Français, cela aurait pu être vous ou moi qu’importe nos origines et nos religions, sont morts en sortant d’un match de foot, en train de boire un verre, de manger au restaurant ou d’assister à un concert parce qu’ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Ils n’étaient accusés de rien, ils n’avaient rien blâmé. Ne pas «être Paris» c’est ne pas reconnaître le hasard total de leurs morts et ne pas partager leurs injustices. Et c’est, encore une fois, répondre au rejet de l’autre par le rejet de l’autre.
Bref, il est 6h01. Samedi 14 Novembre. Lendemain d’une nuit apocalyptique à Paris qui m’empêche de dormir par peur du réveil. Par peur des futurs débats comme ceux de l’après Charlie, par peur de la cristallisation des positons dès lors qu’on parle de banlieue, d’Islam, de Français issus de l’immigration. Par peur que les débats soient obscurcis autant par ceux qui demandent aux français de confession musulmane de se désolidariser alors qu’ils sont, par leurs valeurs, opposés à tout acte inhumain et par ceux qui se posent immédiatement en position victimaire de tout en refusant tout débat liant djihadisme et banlieue. Non, je n’arriverai pas à dormir parce que demain d’un côté, avec plus de virulence encore, on va parler de laïcité, de nécessité de lutter contre l’Islam, des banlieues antisémites territoires perdus de la République et de l’autre côté on va parler des attentats comme un complot politique, critiquer tous les médias sans exception perçus comme des illuminatis corrompus. Aucune critique ne sera constructive parce qu’aucune ne sera nuancée. À partir d’aujourd’hui commence un dialogue de sourd où tout le monde restera campé sur ses positions. Jusqu’au prochain attentat.
Nesrine Slaoui