the black addiction a écrit:
Bon j’ai trouvé ça tellement extraordinaire que je ne sais par où commencer.
Voilà un film d’une intensité particulière et assez inédite du fait de la nouveauté du dispositif mis en place par Ari Folman. Un onirisme aux touches lyriques qui vient souvent être contrecarré par le verbe, par les discours qui servent le processus de résurgence de la mémoire. Et cette confrontation offre à mes yeux (et mes sens) une intensité inédite dans le sens où un élément nous empêche d’atteindre ce qu’un premier est en train de nous faire atteindre.
Tout le paradoxe du dispositif du documentaire animé se trouve là : Le choix de l’animation comme une possibilité absolue de se démarquer de la réalité, qui vient se conjuguer avec ces déclarations. Au fur et à mesure que le film avance, les discours accompagneront des choses plus concrètes, on passe avec les protagonistes d’une description fantasmatique et distancée à un raccordement au fait réel du jour du massacre. Si ce procédé est intelligent c’est parce qu’il colle au sujet de la réhabilitation d’un drame oublié et refoulé. La contenance du récit se modifie au détour d’une mémoire grandissante.
D’ailleurs une des forces du film est d’apporter cet aspect évolutif à tous les éléments de la matière du film. Du récit à l’animation des personnages. Un début quasiment bressonien dans l’aspect figé et raide qu’apporte l’animation, les expressions sont absentes et c’est ce manque qui apporte l’effet désiré, l’idée du refoulement est déjà présente. L’aspect bressonien va encore plus loin car il se radicalise dans l’opposition entre l’acte et le verbe… le personnage affirme ne pas se poser de question sur le passé et une ellipse plus tard les interrogations débutent. La simplicité du style de Folman offre en un passage une esthétique du dénie extrêmement parlante (Cette épure bressonienne habite tout le film… un exemple précis me vient à l’esprit : lors de la mort de l’enfant terroriste Folman évite toute la liberté que lui offre l’animation et préfère traiter ça avec l’agencement épuré et signifiant, on voit les tirs, puis un raccord qui nous déconnecte d’une temporalité linéaire nous montre l’enfant mort. Ce choc des images est percutant car il s’associe parfaitement à l’esthétique de la mémoire… ce n’est pas un choix vain, il agence deux images qui ensembles vont créer l’affect. Seule ses deux images comptent dans le souvenir, l’entre deux disparait).
On a donc cette raideur qui va s’atténuer au cours de l’évolution du film. Le personnage va se raccorder progressivement à lui-même et s’humaniser en même temps que les souvenirs vont refaire surface. Le film est le cheminement de ce personnage robotique (dont on à l’impression qu’il vient de naitre avec le film, on ne sent pas une existence au préalable) vers ce dernier plan en animation, sublime, où le personnage est affolé, transpirant, essoufflé, traumatisé par ce qu’il voit… C’est simplement un film sur la résurgence d’un affect refoulé. Voilà la beauté simple de ce film, celle d’incarner les affects avec des procédés simplifiés au maximum, ce qui découle sur une grande justesse.
Certains pourront dire que le défaut du film est de ne pas être politique, ce serait une grosse erreur à mon avis. Folman dit lui-même que ce « phénomène de refoulement fait partie de l’histoire collective israélienne ». Il dit également que « le film ne tente pas ne serait ce que d’esquisser une description de la situation politique du Liban dans toute sa complexité », mais ce parti pris de distance tout en étant au cœur du sujet est déjà politique. Le but est de faire passer l’horreur et l’inutilité d’une telle guerre en montrant ce qu’il en reste… des traumas, simplement des blessures. Une blessure qu’il faut rouvrir pour ne pas oublier et reproduire. Il est donc clair que ce qui intéresse Folman c’est la représentation affective de ce trauma, comment il va réapparaitre. La grande beauté de ce film cerveau vient donc du fait qu’il ne s’agit pas d’un seul et unique cerveau… le personnage central essaye de se raccorder à la douleur collective pour se retrouver. Il va littéralement renaitre comme le début de la sublime séquence du rêve redondant le laisse entendre lorsqu’ils sortent de l’eau et que l’espace se remplit à nouveau de monde. Le raccordement au monde va se faire par l’émergence de se souvenir.
Chaque parcelle de ce film est parlante, intense, en accord parfait avec l’avant et l’après. Tout ce cheminement pourtant alambiquée m’apparait avec une logique irréductible. On a pas de grands personnages associé à une grande fresque, on passe d’un affect à un autre, d’une situation à une autre en un quart de seconde, par ces simples travellings tentés d’onirisme qui nous situe parfaitement au cœur de l’inter zone mentale. Le personnage fait le lien avec l’intériorité meurtrie d’un peuple, d’où l’aspect documentaire du film, qui est essentiel. Le verbe vient commenter ce qu’il reste, c'est-à-dire des souvenirs qui sont altérés par le temps, il ne reste pas d’image « concrètes ». La valse, qui donne le titre au film, est une incarnation parfaite du projet… le souvenir vient rendre l’acte du soldat poétique. La réalité est altérée par la perception. Voilà ce qu’il reste, des affects, des flashs déréalisant l’acte, et non des raisons d’être là.
Il y aurait à dire sur chaque séquence mais je pense que la structure narrative au sens large prime. Ce raccordement à quelque chose de général, cette manière de passer de l’intime au général et vice versa, de voir que tout ça va ensemble. La construction du film est, encore une fois, guidée par les affects, ce qui apporte une sensorialité de chaque plan.
Donc ce cheminement vers la fin et l’apparition des images réelles. J’ai lu ici ou là que ce n’était pas logique et que cela niait ce qui avait été présenté plus tôt dans le film. Je me demande comment on peut penser ça alors que c’est justement d’une logique qui me semble particulièrement claire. La mémoire et le trauma on refait surface, les souvenirs ne sont plus altérés et la source du refoulement est visible. L’horreur du passé à refait surface, on atteint une image vraie du fait de ce travail sur la mémoire, la poésie et le lyrisme qui tiennent à distance disparaissent.
On a comparé le film à Redacted. C’est envisageable mais Ari Folman n’impose pas une réflexion sur l’image d’une même tonalité. Le film est beaucoup moins intello on va dire. Chez Folman la déréalisation des images vient du fait qu’elles sont altérées par le mémoire, elles sont trop raccordées aux corps. Chez De Palma on en est trop loin et l’image domine seule le monde. Chez De Palma on finit par des images faussées et masquées par un procédé de travail sur l’image, très simple d’ailleurs (visage masqués, censurés… mais c’est aussi de soldat traumatisé qui sera « immortalisé » par une photo dans un sourire forcé), l’image fausse prédomine. Chez Folman c’est tout l’opposé, on finit sur une image vraie, saine, dure mais saine car elle invoque une vérité. Folman ne critique pas le monde des images, il invoque cette nécessité de ne pas oublier.
Bon j’espère que j’ai réussi à faire comprendre pourquoi j’aime ce film. Désolé pour la longueur, mais ce film me passionne réellement. Il rentre dans une catégorie qui, à mon sens, est le renouveau apporté au cours de cette décennie. Les cinéastes de la construction affective, je pourrais les appeler ainsi.
6/6 donc.
Ah ben voilà, là du coup je suis tout à fait d'accord avec toi.
Pas grand chose à ajouter à tout ce qui a été dit : c'est un film essentiel, sincère, profondément émouvant. Voili voilou...