Autre titre français moins usité : À 400 millions de lieues de la Terre. Titre VO : Himmelskibet. Titre international : A Trip to Mars.
Encouragé par son père scientifique, un capitaine renommé délaisse la mer pour s'atteler à un projet spatial, visant à traverser l'espace pour aller se poser sur Mars.
Je ne suis habituellement pas très attiré par les premières occurrences de genres cinématographiques les plus typés : on passe la séance à repérer les signes d'un édifice encore mal codifié, à lister les tentatives en carton-pâte... Il devient impossible de regarder le film pour lui-même, il devient une sorte de balise sur un chemin évolutif dont il ne semble pouvoir que constituer la première étape, forcément ingrate.
Mais le muet danois fait moins peur sur la question, parce qu'il a déjà l'habitude de traiter les sujets les plus absurdes (gothiques, fantasmagoriques) avec tout le sérieux du monde : par "sérieux" je ne parle même pas de gravité, mais d'un désintéressement total pour l'improbabilité du sujet. Tout est logé à la même enseigne, et la science-fiction, à ce titre, n'est visiblement pas jugée comme une échappée plus absurde qu'un kidnapping de gitans. Je parle peut-être là d'une non-prise de tête qui serait l'habitude du cinéma en tableau tout entier... Mais la quasi-absence de passion, d'emportement (de quelque chose qui viendrait signifier l'enthousiasme du réal à figurer ce voyage) est quand même une particularité nationale : quand, après deux minutes dans la navette, le cinéaste n'a rien de plus urgent à faire qu'une leçon de morale sur l'alcool, reproduisant machinalement l'un des sujets lambda du ciné de l'époque (jusque dans l'espace ? ok...), on croit rêver.
La deuxième chose qui évite en partie le choc temporel, c'est que Mars est moins l'affaire d'un territoire à inventer/figurer, que d'une allégorie géante. La planète est un mix entre le fantasme d'une Antiquité utopique (civilisation pacifiée en toge et bâtiments à colonnades, monde de science et de sagesse, langue primaire et universelle...) et une relecture de la découverte des Amériques (voyage seul contre tous avec mutinerie, monde végétarien ignorant les armes, jeunes filles innombrables et innocentes, retour de la fille du chef façon Pocahontas).
Le but, en 1918, c'est évidemment de faire la morale à la guerre, le peuple martien avancé préfigurant un temps où la Terre aura dépassé le stade infantile des conflits mondiaux. Pas besoin d'analyse pour ça, le film ayant la main particulièrement lourde sur sa métaphore, bien religieuse la métaphore, pour faire comprendre à son spectateur frivole qu'il serait temps de chercher le salut ("Viens avec moi regarder la danse de la chasteté !", oh yeah). C'est là où le bât blesse : c'est moins dans ses déguisements et décors martiens, que dans son imagerie pure et éthérée, que le film se fait kitsch : pauses inspirées ridicules, gestes maladroitement lents, et ainsi de suite.
Mais il reste quand même cette saveur particulière du muet danois, et pour le coup on peut vraiment parler d'identité nationale tant je ne vois juste aucune différence entre le style d'Holger-Madsen (que je découvre avec ce film) et celui de ses collègues ; à la limite se fait-il plus volontiers imagier, par moments. Mais pour le principal, si on peut comme toujours parler des compositions délicates, du réalisme de jeu, de l'épure et de la mesure, de la perfection technique, il reste assez évident que ce qui fait la personnalité de ce cinéma tient à un truc plus insaisissable.
Ça reste surtout pour moi, je crois, un sentiment général d'atonalité : pas celle, "accidentelle" (= dûe à l'anachronisme de notre regard) qu'on ressent parfois devant les films pré-1915, mais un maintient froid, volontaire et recherché, insensible à quelque situation que ce soit, comme indifférent aux conneries et personnages (parfois très empathiques et solennels, eux) qui s'étalent à l'écran. Avec d'ailleurs les mauvaises conséquences que ça implique (la conclusion toute morne)... Mais les moments où le film devient soudain saisissant, les moments les plus inspirés, sont des moments d'élégance froide (l'orage, par exemple), et ce qu'on retient encore et toujours, via cette approche reproduite quelque soit le sujet, c'est l'idée que les hommes qui ont tourné ce film se font d'eux-même. L'idée d'être des gens civilisés, maîtres d'eux, adultes (ce à quoi répond, d'ailleurs, l'omniprésence abusée d'intertitres : il a tout un tas de choses très sérieuses à nous dire, le réal).
Pour finir, un extrait de la scène du décollage, pour montrer un petit aperçu du goût des atmosphères qui, il me semble, singularise Holger-Madsen parmi ses collègues (soyez prévenus néanmoins, la scène reste peu représentative, dans la forme, du reste du film) :
Bon, le pavé doit donner l'impression que je donne de l'importance à ce film... Y a de beaux éclats, l'étrangeté agréable de cette forme si particulière, et par son sujet motivant c'est sans doute la meilleure porte d'entrée dans le muet danois. Mais je ne veux pas vous mener en erreur : le propos est assené avec une lourdeur rebutante, et l'ensemble n'a rien de fou.
Concernant le DVD : comme toujours chez les danois, hallucination total devant l'état de conservation improbable pour les années 10. Pas une saute, pas une moisissure, que dalle. Aussi nickel et propre sur soi que les films eux-même. On dirait que ça a été tourné hier. L'accompagnement musical est un truc lambda au piano, que je vous conseille de couper.
Où est-ce que tu es allé cherché ce truc ? Un muet danois de science-fiction. Tu mets la barre très très haute, là.
C'était en cherchant les DVD du Danish Film Institute sur le net (vu que les muets qu'ils éditent sont d'une qualité de conservation exceptionnelle, je me disais qu'il fallait en profiter). Ça vient d'un DVD de SF comprenant deux films, celui-là et La fin du monde. Mais c'était moins pour la SF que pour voir du Holger-Madsen, le grand nom de l'époque dont je n'avais rien vu.
Baptiste a écrit:
Tu m'étonnes.
En fait je suis même pas sûr que l'autre titre ait encore cours (même si c'est la traduction littérale du titre danois), c'est surtout son titre international sur lequel je retombe.
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