En 2011, Saeed la vingtaine, étudiant ingénieur, quitte Damas pour Douma (Ghouta orientale) et participer à la révolution syrienne. Il sera rejoint plus tard par son ami Milad, peintre et sculpteur, alors étudiant aux beaux-arts de Damas. Dans Douma libérée par les rebelles, l’enthousiasme révolutionnaire gagne la jeunesse, puis c’est la guerre et le siège. Pendant plus de quatre ans, Saeed et Milad filment un quotidien rythmé par les bombardements, les enfants qui poussent dans les ruines qu’on graffe, les rires, un sniper qui pense à sa maman, la musique, la mort, la folie, la jeunesse, la débrouille, la vie.
Radiographie d’un territoire insoumis, un regard d’une densité exceptionnelle sur la guerre dans un mouvement de cinéma et d’humanité saisissant. Tiré de 450 heures de rush pris lors du conflit dans la Ghouta, monté par deux réalisateurs dont c'est le premier film (pour le coup ce sont plus des monteurs que des réalisateurs, ces images prisent sur le vif ayant été filmées par une vingtaine de "caméraman", dont un certain nombre y a même laissé sa peau), l'entreprise à laquelle ils se sont attelés a quelque chose d'assez effrayant, tant par son ampleur que par son sujet. Le résultat est terriblement poignant.
Retraçant chronologiquement leur parcours (même si j'ai l'impression que les images ne sont pas toutes montées de manière chronologique), le film débute par une "leçon de cinéma" où Saeed explique à ses cameramans la notion de cadre et la mise au point. Mais au-delà de la technique le plus important reste néanmoins qu'il faut coûte que coûte accumuler du matériel: quelle qu'elles soient, les images qu'ils saisiront deviendront Histoire. S'ensuivent la libération de la Ghoutta, l'organisation des forces rebelles et la tentative de reconquête par l'armée d'Assad. J'imagine que Al Batal et Ayoub ont du se poser bien des questions au moment de monter, de ce qu'il était possible ou non de montrer, de ce qu'il était nécessaire ou non de partager, de l'image de la rébellion qu'ils souhaitaient laisser (voir façonner). La réponse qu'il semble avoir trouvé et qu'à peu près tout pouvait/devait être dans le film, du pire (la mort évidemment) au plus léger (les enfants qui repeignent les murs de leur école), de l'intime (plusieurs fois on se retrouve en compagnie des deux réalisateurs et de leurs amis, dont une scène de fête où l'alcool est abondamment présente, comme pour rappeler leur jeunesse et la part d’insouciance qu'ils avaient, au début du conflit au moins) aux scènes de combat les plus bruts (jusqu'à des quasi lynchages de soldats passés du côté des rebelles, ce que la majorité d'entre eux ne semblent pas savoir voir s'en moque, trop occupé à passer leurs nerfs sur ces victimes idéales - discussion improbable avec l'un deux qui répond "je ne l'ai pas tué, je lui ai juste planté un couteaux dans le cul et dans le dos", un peu comme s'il ne lui avait que botté les fesses).
Il en ressort une impression d'un idéalisme qui se serait petit à petit consumé, de lassitude devant les coups incessants de l'armée d'Assad, devant le manque de leadership (ou son trop plein brouillon et contradictoire) de la rébellion. Et reste des images d'une force incroyable, du sniper qui ment à sa mère au téléphone (lui faisant croire qu'il est au lit alors qu'il est en position de tir face à un bâtiment officiel), d'un autre qui passe son temps à créer le doute chez un soldat ennemi au travers d'interminables discussions avec sa radio, de ce mec qui s'entraine en survêtement alors que les bombes pleuvent (ce qu'il considère comme un acte de résistance ultime). Malgré les plus de deux heures ont est totalement happés, toutes les séquences y semblent absolument essentielles, et le film se termine en nous laissant pantois sur notre siège.